mardi 16 avril 2013

On est prié de concentrer toute son attention sur l'animal…


Elle s'appelait Mitaine, pour une raison qui sera expliquée plus loin. Elle était née en janvier 1997, à Québec, Canada, chez Adeline (là, on peut aller rapidement jeter un coup d'œil à la jeune fille en question…) ; Catherine l'avait rapportée plus ou moins en fraude dans l'avion, peu désireuse qu'elle était de franchir un à un les obstacles douaniers. Pourquoi aller chercher une chatte aussi loin ? Parce que Mitaine était une chatte “à pouces” : c'est une particularité génétique qui, à ma connaissance, ne se rencontre que dans cette région du monde, et uniquement chez les femelles. Elles ont alors un véritable pouce, opposable à leurs autres “doigts” : lorsqu'il est suffisamment développé, certaines chattes apprennent à s'en servir pour saisir de menus objets, comme le ferait un singe – ou à la rigueur un homme.

Bref, en mars 1997, Mitaine a débarqué dans la maison que nous louions alors à Villeneuve-la-Garenne (photo du jardin d'icelle), dans une sorte d'enclave juive sépharade au mitan d'une ville déjà presque totalement arabe à cette époque – mais ce n'est pas le sujet, comme dirait l'autre gros. Comme on peut le voir sur cette même photo, nous avions déjà des chats à son arrivée ; celui que l'on aperçoit en fond s'appelait Monaco. Ce dernier avait eu une sœur nommée Imola, donnée par nous à nos amis Loiseau (donner un chat à des Loiseau : inversion sacrilège des valeurs, caractéristique du gauchiste idiot que j'étais encore plus ou moins alors). Une entente cordiale s'est rapidement instaurée entre les divers greffiers.

La vie de Mitaine s'est brusquement assombrie l'année suivante, lorsque, ayant déménagé en Basse-Normandie – Sainte-Scolasse-sur-Sarthe, près de Mortagne-au-Perche –, nous nous sommes mis en tête d'avoir un chien. Le jeune Balbec a eu plus d'une fois la truffe ensanglantée par les griffes de l'animal à pouces, ce qui ne l'a jamais découragé dans ses multiples tentatives de rapprochement interspécifique. De rapprochement il n'y eut finalement pas, mais à la place une coexistence plus ou moins pacifique, basée sur une sage et réciproque ignorance.

L'affaire s'est gâtée en 2001, lorsque, fraîchement arrivés en Haute-Normandie, à Houlbec-Cocherel, tout près d'ici, nous avons décidé d'offrir un compagnon canin à Balbec ; et ce fut Swann, né cette année-là en avril. C'en fut trop pour Mitaine qui, de ce jour, n'a plus jamais remis les pattes dans la maison. En juillet 2002, quand nous avons pris possession de la maison du Plessis, la chatte s'est réfugiée au sous-sol, entrant et sortant par un soupirail laissé ouvert pour elle à l'année longue. Elle devait y passer les onze années suivantes.

Onze années à peine. Cette petite marque à son cou, il y a quelques mois, Catherine a d'abord voulu croire qu'il s'agissait d'une simple blessure, et l'a traitée en conséquence. Lorsque la petite marque est devenue sanguinolente et grosse comme une pièce de vingt centimes, rendez-vous a été pris chez le vétérinaire. Le mot “tumeur” a commencé à tournoyer dans les cervelles…

Catherine est partie au rendez-vous à quatre heures, aujourd'hui. Elle en est revenue avec les yeux rouges et un panier vide. Mitaine avait seize ans et trois mois.

Quant à Adeline, elle va très bien. Après plusieurs années passées en Espagne, elle vient de repartir vivre à Québec, fermant ainsi la boucle.

31 commentaires:

  1. Très difficile de rester concentré sur une chatte

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    1. Je me demandais qui allait la faire en premier. En vérité, je penchais pour Nicolas. Donc, félicitation pour avoir dégainer avant lui, qui est pourtant surentraîné…

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    2. Il est occupé ce soir, il a Kdb, j'en ai un peu profité

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    3. Je travaille. Condoléances et tout ça.

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  2. Elle avait l'air d'avoir un bon petit caractère de merde cette Mitaine, ce qui la rend encore plus sympathique.
    Je m'abstiendrai de faire un mauvais jeu de mots avec le croque-mitaine.
    Courage tout de même à Catherine, j'espère que ça passera vite.

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    1. Et encore, Didier n’a pas parlé de sa sœur qui est morte jeune mais qui le détestait. Elle se perchait sur le dossier d’un divan et le griffait chaque fois qu’il passait à sa portée. Ce qui me faisait hurler de rire !
      Oui, ça passera et tous mes animaux restent de beaux souvenirs.

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    2. Catherine, je dois vous avouer que j'ai eu un chien, au départ il était un cadeau pour ma soeur, et il est finalement devenu mon plus fidèle compagnon, et ça a duré 16 ans. Avec le recul, je m'aperçois que ce chien était comme mon frère. Il avait aussi son petit caractère de merde, un vrai chien de salon, montrant les crocs dès qu'on voulait le déloger de son fauteuil, mais qu'est-ce que ça me plaisait.
      Il était à la fois gentil et caractériel, ce qui me le rendait encore plus sympathique.
      Je crois qu'il avait fini par prendre mes traits.

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  3. Quand j'étais petite, en Chine, je me souviens qu'il y avait des enfants qui avaient un petit pouce surnuméraire qui poussait à la racine du vrai pouce.
    C'est bête ma mère aurait pu penser à en ramener un en fraude.

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    1. Lol, Mildred ! Chez nous, c'est le réparateur de bicyclette local qui avait un doigt surnuméraire -mais c'était manifestement du côté de l'auriculaire. Nous l'appelions Sidoigts, d'ailleurs.

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  4. Seize ans! Apparemment nous sommes maudits, n'ayant jamais pu garder le moindre chat plus de 4 ans!

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    1. Oh ! c'est de très loin notre record : aucun, avant elle, n'avait seulement approché une telle longévité.

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  5. Je souhaite de tout coeur qu'au paradis des chattes, aucun chien incongru ne vienne jamais lui pourrir l'éternité.

    Paix à son âme.

    Suis toute émue, moi....

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    1. Elle est censée y retrouver Balbec, en principe. Mais comme l'entente n'était guère cordiale entre eux, je ne suis pas sûr que ces retrouvailles la ravissent beaucoup…

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  6. Les chats polydactyles sont fréquents aux Etats-Unis. Ils sont parfois appelés "Hemingway cats", l'écrivain américain en ayant hébergé des dizaines dans le jardin de sa maison en Floride.

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  7. Il y a un second félin au fond à droite... il s'appelle ou s'appelait Moufle ??... (voire sans le "o" puisqu'il(elle) nous tourne le dos !)
    Je n'ai pas pu me retenir comme Fil !...désolé...

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    1. Il s'appelait Monaco (et c'est dit en toutes lettres dans le billet…).

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  8. Tiens un soupçon d'ailleurs concernant les greffiers. Avant que vous ne sombriez dans les NAC, si ça vous branche j'ai un plan pour un matou rescapé de l'Isle bourbon livrable a Orly ...

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    1. C'est très gentil à vous, mais il nous en reste encore deux (en plus des trois chiens…), ce qui suffit à notre bonheur.

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  9. Il est bien normal d'être triste à la mort de son animal de compagnie. Mais de là à afficher cette tristesse, il y a un pas qu'on peut ne pas vouloir franchir.

    En ce qui me concerne j'ai pris de longue date la résolution de ne pas attrister mes amis en leur racontant la lente agonie de mes animaux de compagnie. N'est-ce pas Pascal qui remarquait qu'on est plus affligé de la perte de son chien que de la mort d'un millier de Chinois ? C'est tellement vrai ! Il y a cependant un vice étrange à vouloir que des gens qui n'ont pas connu ledit chien s'affligent également de cette perte.

    Pour tout dire, j'ai même du mal à supporter les gens, et mes amis aussi, qui me racontent leur douleur d'avoir perdu un père ou une mère. Il y a un ordre des choses, et les vieux doivent mourir avant les jeunes. Le seul vrai scandale moral, à mon sens, est la perte d'un enfant, ce qui arrive quelquefois, et justifie peut-être le manque d'humanité apparent dont je semble faire preuve ici.

    En réalité, c'est plutôt par un excès de sentiment que je suis incapable de verser une larme à la lecture de ce billet, et je m'en excuse.

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    1. Oh ! vous savez, ce billet n'était pas spécialement conçu pour faire verser des larmes à qui que ce soit ! Moi-même, je n'en ai pas versé une seule, je dois dire.

      Pour le reste, je ne vois pas en quoi la mort d'un enfant, pour horrible qu'elle soit en effet, serait un “scandale moral”. Jusqu'au second XXe siècle, perdre un ou deux enfants, spécialement en bas âge, était un malheur assez répandu, contre lequel la révolte n'aurait eu, aux yeux de nos aïeux, aucun sens.

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    2. Certes, et souvent on en perdait plus d'un ou deux. C'était bien un scandale moral, que seule la foi pouvait aider à supporter. L'enfant baptisé allait directement au paradis, croyait-on, puisqu'il n'avait pas eu le temps de pécher, d'où il pouvait prier pour ses parents.
      Que la mort des enfants soit un scandale moral, cependant, je ne suis pas le premier à le dire.

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    3. Le lien avec la religion catholique ne me semble pas très pertinent, dans la mesure où des enfants mouraient bien avant son apparition.

      D'autre part, je persiste à ne pas bien comprendre ce que signifie l'expression "scandale moral" : comment peut-il y avoir scandale si personne n'est responsable. Fatalité, destin, etc., je veux bien. Mais scandale ? Il ne peut, me semble-t-il, y avoir scandale que si un enfant meurt en raison directe d'une défaillance humaine.

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    4. C'est une expression très adaptée au contraire. Voici la définition que j'ai trouvée sur l'excellent site du CNRTL :

      Scandale :
      "Ce qui paraît incompréhensible et qui, par conséquent, pose problème à la conscience, déroute la raison ou trouble la foi. Le scandale de la croix; le scandale du mal, de la souffrance. Le bonheur des méchans, le malheur des justes! C'est le grand scandale de la raison humaine (J. de Maistre,Soirées St-Pétersb., t. 1, 1821, p. 12).On sait le rôle que jouent chez Pascal ce mystère de la vérité humiliée, chez Kierkegaard le scandale du sacrifice d'Abraham (Jankél.,Je-ne-sais-quoi, 1957, p. 156)."

      Quant au catholicisme, il n'est sans doute pas seul en cause. J'imagine que toutes les religions, toutes les spiritualités veulent donner un sens à la mort, la rendre tolérable. Il paraît que c'est même un peu pour ça que les hommes les auraient inventées.

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  10. Après Simenon, Colette ?

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  11. Bonjour Monsieur Goux :

    Je ne croyais pas à cette histoire de chat à pouces (parce que, tout simplement, je n'en avais jamais entendu parler). Donc je suis allée vérifier chez l'ami Wikipedia et, outre le fait que vous racontiez la vérité, j'ai appris que l'écrivain Ernest Hemingway était raide dingue de ces chats. Chez lui, à Key West, il hébergeait une centaine de chats, dont la moitié était composée de chats polydactyle.
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Chat_polydactyle

    Donc, forcément, ce type de chat se devait de plaire à un "écrivain en bâtiment"...

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    1. Il reste que, à pouces ou sans pouce, une centaine de chats, ça commence à faire un peu beaucoup !

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  12. Mignonne à croquer...la mitaine!

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  13. Ben moi ça me touche et je le dis, d'autant plus que j'ai caressé cette chatte en exil. Je fais un gros poutou tendre à Catherine.

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