jeudi 17 octobre 2013

Leonarda et le rêve de flammes


Elle n'y est évidemment pas pour grand-chose, la petite clandestine kosovarde – ou kosovarane, ou kosovarienne, ou kosovareuse, I don't care –, mais à cause d'elle j'ai replongé la nuit dernière dans ce délicieux rêve récurrent que je fais depuis plusieurs années et dont je suis toujours désolé, m'éveillant, de constater la nature purement onirique.

Il a pour théâtre une cité sinistre et multicule, trois blocs d'appartements, avec antenne parabolique à chaque balcon, disposés en carré ouvert, le centre commercial – deux boutiques sur trois définitivement fermées, rideau de tôle tagué jusqu'au dégoût – formant le quatrième côté. Au milieu, posé sur un souvenir de pelouse, à côté des deux bacs à sable : celui des enfants un peu plus vaste que celui réservé aux chiens, un bâtiment rectangulaire à un seul niveau, assemblage de plaques préfabriquées et avec des panneaux d'affichage devant : c'est un genre de centre culturel, de “maison pour tous” dans laquelle personne ne met jamais les pieds, sauf les deux permanents d'une association à subventions municipales et régulières, qui s'y relaient pour ouvrir le matin et fermer le soir. Entre les deux, ils ramassent les cannettes de bière vides et les emballages de Mac Do qui jonchent les trois marches et le semblant de perron protégé de la pluie par un auvent de plastique plus ou moins translucide.

Mais, dans mon rêve, la maison pour tous affiche complet, exceptionnellement. C'est que s'y tient la réunion mensuelle des antennes locales de diverses officines pleurnichardes et procédurières : LDH, RESF, Debout la Cité !, Ainsi front, front, front (la dernière née, spécialisée dans la lutte antifasciste par les armes du surréalisme), DAL, Valls à trois temps (citoyens en colère contre les expulsions d'enfants au berceau et de femmes indisposées), plus deux ou trois autres que je n'ai pas le temps de nommer ici mais dont, il n'en faut pas douter, l'histoire retiendra tous les noms. Ils sont au moins cinquante, là-dedans, en état de surchauffe physique et émotionnelle. Ça schlingue la transpiration de vieux, la brillantine qui tourne, la fuite urinaire mal colmatée – ça sent le militant citoyen, si vous voulez vous faire une idée du mélange. La motion qui vient d'être présentée par le président de section d'Ainsi front, front, front lézarde un tantinet la belle unité d'action : certains, notamment parmi les plus de 75 ans, rechignent un peu à aller s'allonger en plein cagnard sur le tarmac de l'aéroport voisin, à seule fin d'empêcher de décoller l'avion qui doit reconduire la famille Popolescu en sa Roumanie natale. On va pour mettre aux voix, c'est alors que ça se produit.

Six types sautent à bas du camion débâché qui vient de s'arrêter devant la galerie marchande. Ils portent des casques de moto à visières fumées, deux grosses bouteilles dans le dos et un bizarre fusil entre les mains. Ils piétinent sans vergogne l'absence de pelouse et se déploient en demi-cercle autour de la maison pour tous. C'est au moment où ils pressent avec un bel ensemble la queue de détente de leurs armes que Mohammed Diop, accoudé à sa fenêtre au troisième étage du bloc B (escalier 1), comprend qu'il ne s'agit pas de fusils mais de lance-flammes.

La maison pour tous s'embrase presque tout de suite ; l'hospice se fait mouroir, des parfums de barbecue couvrent les relents de pisse vendanges tardives. Les couinements citoyens qui s'échappent du brasier sont en grande partie couverts par les sifflements furieux des bouches à flammes. Il ne se passe pas plus de cinq minutes avant que les anges exterminateurs – mission terminée, aucun survivant – ne remontent dans leur camion, lequel tourne rapidement le coin de l'avenue Albert-Jacquard avant de filer vers la cité des Primevères qui borde l'autoroute de Paris.

En général, c'est à ce moment-là que je me réveille.

40 commentaires:

  1. S'il n'y a plus que ça pour vous donner des érections...

    DANNY L

    RépondreSupprimer
  2. Moi, les rêves de flammes ça me donne une de ces soifs en plein milieu de la nuit! Je préfère de loin rêver d'océans, vastes, sombres, profonds et habités.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. L'eau des océans est salée : ça peut donner soif aussi…

      Supprimer
  3. Saviez-vous que dans le film Narco (non ce n'est pas du verlan) Guillaume Canet fait aussi des rêves terribles ?
    Décidément, il y a des coïncidences troublantes.
    Billet très proustien, comme d'hab, des odeurs ennivrantes de petites Madeleines (non pas le biscuit) crâmées...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je me demande si ce pauvre Marcel aurait été d'accord avec votre appréciation…

      Supprimer
    2. Toujours est-il que maintenant on comprend pourquoi vous vous couchez de bonne heure.

      Supprimer
  4. Réponses
    1. Je pense qu'on ne devrait plus tarder à voir apparaître les procès pour activités oniriques nauséabondes…

      Supprimer
    2. Ismaïl Kadaré décrit quelque chose de ce genre dans "Le palais des rêves"

      Supprimer
  5. Bon démarrage d'un BM : les casqués sont des roms serbes qui n'aiment pas les kosovars
    Thierry

    RépondreSupprimer
  6. Vous allez encore fâcher la France de demain… (enfin d'aujourd'hui…)
    Mes rêves sont moins réalistes que les vôtres…

    RépondreSupprimer
  7. Eh bien, elle vous en fait faire de beaux rêves la petite Léonarda! Charmante enfant...
    Cependant, je suis désolé d'avoir à vous le dire, certains détails de votre rêve révèlent votre grand âge.
    Le lance-flammes, c'est dépassé, désuet, et pour tout dire, réactionnaire.
    De nos jours on a trouvé beaucoup mieux pour nettoyer des locaux de leur vermine citoyenne. Par exemple ça.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Sentimentalement, je reste très attaché au lance-flammes, que voulez-vous !

      Supprimer
    2. More guns, less crime...
      En France, avec la proportionnalité de la riposte, ça serait coton de plaider la légitime défense.

      Popeye

      PS : ça dépôte vos vidéos. Quant aux Russes, 44kt mais en conventionnel ! Sympa, mais l'arme pèse au moins 7 tonnes : l'emploi n'est pas facile. Le syndrome "tsar bomba" a encore frappé

      Supprimer
  8. C'est terrible, on voit bien les images en vous lisant... ^_^

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Comme dirait l'autre, il n'y manque que le bruit et les odeurs…

      Supprimer
  9. Que vient faire ce pauvre Albert Jacquard dans cette histoire !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ce n'est tout de même pas sa faute si on a donné son nom à une rue !

      Supprimer
    2. Le pauvre, il méritait de finir purifié avec les citoyens vigilants que vous décrivez si bien.

      Supprimer
  10. Réponses
    1. Ça doit venir d'une mauvaise position pendant le sommeil…

      Supprimer
  11. Vous devriez peut-être quand même songer à décrocher ce portrait d'Anders Breivik, au-dessus de votre lit.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Vous croyez que ça peut venir de là ? Je n'y avait point songé. Je vais commencer par ôter la Croix de fer qui orne le cadre…

      Supprimer
    2. De première classe avec épée et diamants, c'est le minimum.

      Supprimer
  12. Deux grenades quadrillées suffisent pour faire du bon boulot et si on veut fignoler le travail quelques mines anti-personnelles disséminées ça et la et point de survivants.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, mais, visuellement, c'est beaucoup moins joli.

      Supprimer
    2. Si vous insistez, des petits grenades au phosphore, là ç'est joli tout plein, les petits gars courant partout en se consumant, j'en ai la larme à l’œil.

      Supprimer
    3. Vous êtes décidément trop moderne pour moi…

      Supprimer
    4. Le piège à loup reste, a mon avis, un grand classique. Combiné avec le tromblon, ça passe nickel...

      Supprimer
  13. Robert Marchenoir18 octobre 2013 à 10:52

    Même dans le choix des armes, on voit les réactionnaires. Non seulement ils portent au pinacle une France moisie et des auteurs poussiéreux, mais en plus ils rêvent à des armes qui n'existent plus.

    Quand j'étais enfant, j'avais un petit soldat agenouillé, qui actionnait un lance-flammes. Beau travail, figurine probablement fabriquée en France par des ouvriers syndiqués. Il me semble bien que c'était un soldat nazi. On n'échappe pas à son destin.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La question fondamentale est : comment un auteur peut-il moisir dans une atmosphère poussiéreuse ?

      Supprimer
  14. Ya pas un allemand moustachu qui nous parlait de ressentiment ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne saurais vous dire : contrairement à ce qu'une blogo-légende tenace aimerait accréditer, je n'ai pas d'Allemands dans mes relations – ni vivants, ni morts.

      Supprimer
  15. "Les couinements citoyens" et peu renouvelables ni durables, cette fois-ci.
    Enfin, si, c'est renouvelable et remplaçable.
    Mais il faudra trouver des "bénévoles" n'ayant pas entendu parler du premier barbecue.

    RépondreSupprimer
  16. Le lance-flammes, quel beau symbole phallique...Il serait temps de passer à des rêves non classés X

    RépondreSupprimer
  17. De la fièvre... un grog maison... et voilà le résultat : le syndrome du pyromane. Je dois l'avouer humblement, cela m'arrive aussi.

    RépondreSupprimer
  18. Ça devrait vous plaire d'apprendre que vous êtes à la pointe de l'acualité pour la chasse aux nuisibles.

    RépondreSupprimer

La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.