Deuxième vision de ce film de Denys Arcand, L'Âge des ténèbres, dont je crois bien avoir donné ici, il y a quelques mois, un avis en demi-teintes. J'aurais tendance à réviser mon jugement à la hausse, même si je persiste à trouver tous les passages “oniriques” superflus, ou au moins trop appuyés, notamment vers la fin.
La fin, du reste, est ce qui pèche. Durant les dix dernières minutes, on se croirait presque dans un film de Bertrand Blier, tant Arcand semble soudain incapable d'en finir : les conclusions se succèdent, trois, quatre... Au point que, comme Ludovic le faisait justement remarquer, Arcand en vient à commencer un autre film, tellement il ne sait plus comment conclure celui qu'il vient de faire.
Néanmoins, il s'agit d'une œuvre forte, sombre, glaciale, tranchante, parcourue de bout en bout (sauf la fin, encore une fois) par un ricanement de tête de mort. Mais, pour autant, il ne s'agit pas d'un film réactionnaire. Dans la tonalité générale de cet Âge des ténèbres, un motif réactionnaire (c'était-mieux-avant) sonnerait encore comme une note fausse et joyeuse. Et ce qui nous interdit de céder à cette pente douce, c'est l'épisode à peu près central – mais tout de même décalé vers la conclusion – du tournoi moyenâgeux. Scène burlesque, volontairement outrée et trop longue, mais indispensable pour amputer tout le monde de toute velléité d'espoir. On peut déplorer ce monde, il est naturel que l'on en souffre – comme de son cancer futur, complaisamment mais froidement décrit au personnage central —, mais il est hors de question de l'annuler au profit de celui qui s'est effacé devant lui. Déplorer le passé serait revenir aux tournois de chevalerie qui, eux-mêmes, étaient déjà des combats “pour rire”. Et si on se mêle d'y revenir en effet, les armures se mettent à sentir la boîte de conserve, à sonner comme elle. Et la dame pour qui l'on se bat – dans une scène gesticulante et farcesque qui nous ramène à Chaplin, origine du cinéma comme la chevalerie l'est de l'Occident – n'est plus rien d'autre que de la chair à psys, une pauvre illuminée dont la prise sur le réel est peut-être encore moindre que celle de la mère de Jean-Marc Leblanc, que sa maladie d'Alzheimer plonge dans un silence incompréhensif, d'une intensité pénible.
Car il s'appelle bien entendu Jean-Marc Leblanc. Sa malédiction s'origine dans son état-civil, et aussi dans ce visage qui ne peut plus exprimer quoi que soit, alors que celui de sa mère est d'une furieuse intensité de douleur. Il est Leblanc. Ses seuls amis sont un nègre (ce n'est pas moi qui emploie le mot, mais eux-mêmes) et une lesbienne, qui, écrasés par les mêmes forces mécaniques, finissent eux aussi par devenir des Leblanc comme les autres : c'est l'assimilation terminale. Le nègre a encore la force de “se taper la femme blanche”, mais c'est à la suite d'un speed dating grotesque et morne, et elle est elle-même déjà morte (une sorte de Leblanc au carré), et on sent bien que lui-même n'en a plus pour longtemps : il est encore plus ou moins un souvenir de brousse, un parfum de savane, mais presque entièrement happé, déjà, par le gouvernement provincial du Québec dont il fait désormais partie, telle une métastase rendue inoffensive dans un organisme immunisé contre tout. Il ne sera plus nègre très longtemps : on lui apprendra rapidement à rire selon la technique des voyelles, internationalement reconnue.
J'ai parlé de Chaplin à propos du burlesque de la scène médiévale. Il réapparaît à ce qui aurait pu, aurait dû être la vraie fin du film, sept à huit minutes avant celle qui nous est proposée. Jean-Marc Leblanc sort de sa maison après avoir dit son fait à sa Desperate housewife hyper-battante, et part sur la route, vers l'horizon. Sauf qu'il n'y a pas d'horizon, bouché qu'il est par les pavillons cossus de cette sorte de Wisteria Lane montréalais. Et qu'il n'est pas filmé à hauteur d'homme, mais écrasé par une caméra surplombante. Et qu'on a compris depuis déjà longtemps qu'il fera la route seul, parce que le temps des Paulette Goddard est bien passé, les temps modernes sont derrière nous
La fin, du reste, est ce qui pèche. Durant les dix dernières minutes, on se croirait presque dans un film de Bertrand Blier, tant Arcand semble soudain incapable d'en finir : les conclusions se succèdent, trois, quatre... Au point que, comme Ludovic le faisait justement remarquer, Arcand en vient à commencer un autre film, tellement il ne sait plus comment conclure celui qu'il vient de faire.
Néanmoins, il s'agit d'une œuvre forte, sombre, glaciale, tranchante, parcourue de bout en bout (sauf la fin, encore une fois) par un ricanement de tête de mort. Mais, pour autant, il ne s'agit pas d'un film réactionnaire. Dans la tonalité générale de cet Âge des ténèbres, un motif réactionnaire (c'était-mieux-avant) sonnerait encore comme une note fausse et joyeuse. Et ce qui nous interdit de céder à cette pente douce, c'est l'épisode à peu près central – mais tout de même décalé vers la conclusion – du tournoi moyenâgeux. Scène burlesque, volontairement outrée et trop longue, mais indispensable pour amputer tout le monde de toute velléité d'espoir. On peut déplorer ce monde, il est naturel que l'on en souffre – comme de son cancer futur, complaisamment mais froidement décrit au personnage central —, mais il est hors de question de l'annuler au profit de celui qui s'est effacé devant lui. Déplorer le passé serait revenir aux tournois de chevalerie qui, eux-mêmes, étaient déjà des combats “pour rire”. Et si on se mêle d'y revenir en effet, les armures se mettent à sentir la boîte de conserve, à sonner comme elle. Et la dame pour qui l'on se bat – dans une scène gesticulante et farcesque qui nous ramène à Chaplin, origine du cinéma comme la chevalerie l'est de l'Occident – n'est plus rien d'autre que de la chair à psys, une pauvre illuminée dont la prise sur le réel est peut-être encore moindre que celle de la mère de Jean-Marc Leblanc, que sa maladie d'Alzheimer plonge dans un silence incompréhensif, d'une intensité pénible.
Car il s'appelle bien entendu Jean-Marc Leblanc. Sa malédiction s'origine dans son état-civil, et aussi dans ce visage qui ne peut plus exprimer quoi que soit, alors que celui de sa mère est d'une furieuse intensité de douleur. Il est Leblanc. Ses seuls amis sont un nègre (ce n'est pas moi qui emploie le mot, mais eux-mêmes) et une lesbienne, qui, écrasés par les mêmes forces mécaniques, finissent eux aussi par devenir des Leblanc comme les autres : c'est l'assimilation terminale. Le nègre a encore la force de “se taper la femme blanche”, mais c'est à la suite d'un speed dating grotesque et morne, et elle est elle-même déjà morte (une sorte de Leblanc au carré), et on sent bien que lui-même n'en a plus pour longtemps : il est encore plus ou moins un souvenir de brousse, un parfum de savane, mais presque entièrement happé, déjà, par le gouvernement provincial du Québec dont il fait désormais partie, telle une métastase rendue inoffensive dans un organisme immunisé contre tout. Il ne sera plus nègre très longtemps : on lui apprendra rapidement à rire selon la technique des voyelles, internationalement reconnue.
J'ai parlé de Chaplin à propos du burlesque de la scène médiévale. Il réapparaît à ce qui aurait pu, aurait dû être la vraie fin du film, sept à huit minutes avant celle qui nous est proposée. Jean-Marc Leblanc sort de sa maison après avoir dit son fait à sa Desperate housewife hyper-battante, et part sur la route, vers l'horizon. Sauf qu'il n'y a pas d'horizon, bouché qu'il est par les pavillons cossus de cette sorte de Wisteria Lane montréalais. Et qu'il n'est pas filmé à hauteur d'homme, mais écrasé par une caméra surplombante. Et qu'on a compris depuis déjà longtemps qu'il fera la route seul, parce que le temps des Paulette Goddard est bien passé, les temps modernes sont derrière nous
Prem's. :)
RépondreSupprimerUranus, vous me faites vraiment penser à quelqu'un… mais je n'arrive pas à savoir qui…
RépondreSupprimerGeorges :à Charon sans doute...
RépondreSupprimerÇa va, j'vous dérange pas, les deux ? Y a d'la place pour moi, sur vos planètes ?
RépondreSupprimerPiouuuuuuuuuuuuu !
RépondreSupprimerEt ce film on en parle pas ?
RépondreSupprimerMême à la hausse, votre billet ne donne pas envie d'aller le regarder, mais je peux me tromper.
L'anonyme, là, il commence à se faire un peu pot de colle, si encore il était un peu drôle.
Emma : si, si, il vaut vraiment la peine !
RépondreSupprimerQuant à l'anonyme, faites comme s'il n'existait pas. D'ailleurs, il n'existe pas.
Aucun rapport avec le film, mais j'ai trouvé la recette du pesto d'ortie.
RépondreSupprimerJe ne sais pas si le film est bien, mais le billet me plait, lui.
RépondreSupprimerY'en a et du Chablis y'en a aussi..!
RépondreSupprimerMonsieur Poison : je ne sais pas si vous trouverez à votre goût le noir pessimisme qui se dégage de ce film. Ni la vision qu'il donne de notre monde, ravagé de progressisme...
RépondreSupprimerMais bon : essayez et vous me direz.
Ah le "Poison", j'y crois pas…
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