Ils se croyaient bien tranquilles, dans leur petit pré carré, protégés ad vitam
par le barré tricolore de leur carte de presse, laquelle ne vaut pas
plus que son poids de plastique, mais suffit encore à impressionner
quelques gogos d'arrière-province. Ils dînaient en ville tous les soirs,
entre eux le plus souvent, ou en compagnie d'une danseuse politique
vieillissante qui, à force de minauderies et de privautés buccales, leur
donnait facilement l'illusion de jouer dans la cour des grands.
Ils étaient l'information, ils étaient la presse, ils étaient tout à la fois la liberté et ses garants. Ils voulaient le beurre et l'argent du beurre, les obtenaient sans difficulté. L'argent était souvent liquide, le beurre en motte - ce dernier leur étant fort utile pour se lubrifier la déontologie quand le directeur de la rédaction, au nom d'intérêts supérieurs, exigeait d'eux qu'ils revoient leur copie.
Ils savaient, pratiquement par décret, par constitutive aptitude, ce qui est bon pour le peuple, et aussi ce qui est mauvais pour lui - ils ne se faisaient jamais faute de le lui rappeler, au peuple, d'une voix doctorale et apaisante, mais qui savait aussi se montrer sévère en cas d'avis de tempête. Lorsque le bon devenait mauvais, et l'inverse, au hasard d'un changement d'équipe gouvernementale, ils tournaient leur clavier dans l'autre sens et continuaient de dispenser la bonne parole. Et le rêve continuait, un état de grâce perpétuel.
Ils s'appelaient eux-mêmes des journalistes. Ils revendiquaient une parfaite connaissance du terrain. Et l'habitude fut prise, en effet, de les nommer ainsi et de leur concéder ce mystérieux savoir d'arpenteur.
Or, il advint qu'un matin, d'autres voix se firent entendre, d'abord très faibles, puis de plus en plus audibles. Des voix non autorisées, pas encartées le moins du monde, qui ne prenaient pas leurs ordres au Château. Tels de joyeux barbares abattant les statues de César et faisant rôtir les oies du Capitole, les blogueurs prirent possession de l'espace public, ou, tout au moins, s'y répandirent, firent des émules, s'armèrent de porte-voix et en profitèrent pour rire de tout, de chacun, et même des journalistes.
Les folliculaires prirent très mal cette intrusion d'une parole libre, et parfois débraillée, au milieu de leurs discours policés, de leurs délicates musiques d'antichambres. Bientôt, ils brandirent des chartes comme des baïonnettes, exigèrent des lois, les obtinrent ; elle furent inopérantes. Gambadant entre les colonnes de leurs temples, les blogueurs installaient sans gêne leurs étals au pied de l'ancien autel, devant quoi plus personne ne songeait à s'agenouiller. Tout était en l'air dans le landerneau médiatique et le monde s'en moquait. Les blogueurs disaient certes beaucoup de sottises, mais au moins n'étaient-elles pas rétribuées. Et puis, les grains de vérité qui s'y mêlaient faisaient çà et là exploser quelques dents de sagesse - c'était bien réjouissant.
Quelques grands noms de la presse proposèrent d'interdire les blogs ou, au moins, de les museler aussi solidement que l'étaient leurs propres journaux. Une telle perte de sang-froid ne pouvait signifier qu'une chose : le roi était nu et chacun pouvait désormais s'en apercevoir.
La ronde continua, des blogueurs rigolards et querelleurs, cependant que de méchants courants d'air balayaient les salles de rédaction. Un autre matin, enchifrenés et chagrins, les journalistes purent constater qu'ils s'étaient mis à parler du nez. Nul ne leur tendit de mouchoir.
Ils étaient l'information, ils étaient la presse, ils étaient tout à la fois la liberté et ses garants. Ils voulaient le beurre et l'argent du beurre, les obtenaient sans difficulté. L'argent était souvent liquide, le beurre en motte - ce dernier leur étant fort utile pour se lubrifier la déontologie quand le directeur de la rédaction, au nom d'intérêts supérieurs, exigeait d'eux qu'ils revoient leur copie.
Ils savaient, pratiquement par décret, par constitutive aptitude, ce qui est bon pour le peuple, et aussi ce qui est mauvais pour lui - ils ne se faisaient jamais faute de le lui rappeler, au peuple, d'une voix doctorale et apaisante, mais qui savait aussi se montrer sévère en cas d'avis de tempête. Lorsque le bon devenait mauvais, et l'inverse, au hasard d'un changement d'équipe gouvernementale, ils tournaient leur clavier dans l'autre sens et continuaient de dispenser la bonne parole. Et le rêve continuait, un état de grâce perpétuel.
Ils s'appelaient eux-mêmes des journalistes. Ils revendiquaient une parfaite connaissance du terrain. Et l'habitude fut prise, en effet, de les nommer ainsi et de leur concéder ce mystérieux savoir d'arpenteur.
Or, il advint qu'un matin, d'autres voix se firent entendre, d'abord très faibles, puis de plus en plus audibles. Des voix non autorisées, pas encartées le moins du monde, qui ne prenaient pas leurs ordres au Château. Tels de joyeux barbares abattant les statues de César et faisant rôtir les oies du Capitole, les blogueurs prirent possession de l'espace public, ou, tout au moins, s'y répandirent, firent des émules, s'armèrent de porte-voix et en profitèrent pour rire de tout, de chacun, et même des journalistes.
Les folliculaires prirent très mal cette intrusion d'une parole libre, et parfois débraillée, au milieu de leurs discours policés, de leurs délicates musiques d'antichambres. Bientôt, ils brandirent des chartes comme des baïonnettes, exigèrent des lois, les obtinrent ; elle furent inopérantes. Gambadant entre les colonnes de leurs temples, les blogueurs installaient sans gêne leurs étals au pied de l'ancien autel, devant quoi plus personne ne songeait à s'agenouiller. Tout était en l'air dans le landerneau médiatique et le monde s'en moquait. Les blogueurs disaient certes beaucoup de sottises, mais au moins n'étaient-elles pas rétribuées. Et puis, les grains de vérité qui s'y mêlaient faisaient çà et là exploser quelques dents de sagesse - c'était bien réjouissant.
Quelques grands noms de la presse proposèrent d'interdire les blogs ou, au moins, de les museler aussi solidement que l'étaient leurs propres journaux. Une telle perte de sang-froid ne pouvait signifier qu'une chose : le roi était nu et chacun pouvait désormais s'en apercevoir.
La ronde continua, des blogueurs rigolards et querelleurs, cependant que de méchants courants d'air balayaient les salles de rédaction. Un autre matin, enchifrenés et chagrins, les journalistes purent constater qu'ils s'étaient mis à parler du nez. Nul ne leur tendit de mouchoir.
bel article
RépondreSupprimerVous vous reconvertissez en blogueur gauchiste qui gueule contre les "éditocrates" et tout ça ?
RépondreSupprimerça fait bizarre hein ? j'ai dû revérifier trois fois aussi l'url :)
SupprimerPourtant, c'est pas encore l'heure de l'apéro...
SupprimerDites donc, les deux : vous m'avez souvent vu faire preuve d'indulgence envers mes confrères folliculaires ?
SupprimerMais non, mais non... Mais de là à "défendre" les blogueurs...
SupprimerTenez, je viens de retrouver ceci, que j'écrivais en janvier 2008 (le 21, jour de la mort de notre bon roi Louis XVI…) :
SupprimerTu ne sais rien faire ?
Tu n'as aucun talent particulier ?
Ce ne sont pas les scrupules qui t'étouffent ?
Tu aimes penser comme les autres et croire que ce sont les autres qui pensent comme toi ?
Alors, rejoins-nous...
Le journalisme est TON métier !
Il est mort en 2008 ?
SupprimerHi hi! Un peu dur mais excellent!
RépondreSupprimerTiens, vous passez encore par ici, vous ? Flatté je suis !
Supprimert'as vu Nicolas ? on sent la bouse nous... :)
SupprimerLaisse tomber... Ils sont entre journaleux de droite.
Supprimerc'est fou ça quand même, on se met des alertes et tout pour être les premiers et voilà :)
SupprimerLe plus drôle c'est que le Chafouin vient probablement ici suite à mon <a href="https://twitter.com/jegoun/status/285336502387499008>tweet</a> pour faire croire à Didier qu'il lit son blog.
SupprimerSALAUD !
SupprimerPas du tout, je fais la promotion de votre blog.
SupprimerSALAUD DE DÉTRUIRE MES ILLUSIONS DE BLOGOGLOIRE.
Supprimer(Mais pourquoi j'écris en majuscules, moi ?)
EST CE QUE JE SAIS, moi ?
Supprimersi vous pouviez cesser de hurler dans ma boite mail... en périodes festives c'est extrêmement désagréable voyez vous...
SupprimerGAël, encore un mot sur ce ton et je passe au GRAS !
SupprimerVotre régime !
Supprimeroups.
RépondreSupprimerexcellent article , en plus j'apprends des mots : enchifrenés .
RépondreSupprimerC'est un mot que j'ai moi-même appris il y a fort longtemps, à l'époque où j'écoutais Brassens (dans une chanson pas très connue et pas terrible : Tonton Nestor).
SupprimerExcellente chanson que ce Tonton Nestor ! Je le trouve sympathique en diable cet oncle indigne. Sans compter que ce n'est pas partout qu'on trouver un enfant de cœur enchifrené !
SupprimerJ'y étais aux noces de Jeannette et je confirme que tonton Nestor est une personne bien sous tous rapports.
SupprimerOui, bon, ce n'est pas une pièce maîtresse du répertoire non plus !
SupprimerLe blogueur devrait aussi remercier la presse en ligne qu'il recycle à l'envi.
RépondreSupprimerC'est grace à la transhumance de toute une clique de journalistes sur le net qui s'autorise encore plus d'approximations et d'inexactitudes que dans la presse papier qu'il a matière à bloguer.
tout les blogueurs sont des "Fesses d'huître"…
RépondreSupprimer(spécialement ceux de gauche, il faut bien le reconnaître)
et les journalistes des "Phalus de baleine", et encore je reste poli
C'est tout ce que j'ai à dire !
avec deux ailes à Phallus…
SupprimerBonne année à vous, Didier!
RépondreSupprimerPareillement !
SupprimerIl n'est pas gravé dans la marbre qu'un éventuel bras de fer entre blogueurs et journalistes suffise à déplacer le curseur du niveau de la langue.
RépondreSupprimerPour le dire autrement, il me semble que nombre de blogueurs ont volontiers recours à ces formules toutes faites qui semblaient jusque-là l'apanage des journalistes.
À part ça, si je puis me permettre, votre landernau me semble excessivement perecquien.
RépondreSupprimer(et je ne parle pas de mon gravé dans la marbre, qui ne vaut guère mieux…)
RépondreSupprimerLanderneau, bon sang !
RépondreSupprimerExcellent billet et excellents commentaires !
Oh, minute, laissez-moi le temps d'aller corriger !
SupprimerBon, voilà, c'est fait…
Sauf un.
SupprimerEt bien si ce billet nous donne un aperçu de ce que seront les suivants, en 2013, il va falloir se brancher le Didier Goux en perfusion, c'est trop réjouissant.
RépondreSupprimerTous mes meilleurs vœux à vous et à vos proches !
Merci ! Et la même chose en retour…
SupprimerIl est un peu tôt pour les voeux mais soit.
RépondreSupprimerPuisque nous avons échappé à la fin du monde, que la nouvelle année qui s'annonce vous soit douce et faste, pleine de lectures judicieuses et de commandes renouvelées dans votre périodique préféré.
Espérons, espérons (pour les commandes…), car il va falloir commencer à payer les traites de ma grosse Volvo de bourgeois satisfait et arrogant !
Supprimerc'est pas tout ça mais j'attends le journal de novembre, moi !
RépondreSupprimerCe sera pour mercredi : quand tout le monde aura repris le collier et pourra de nouveau bloguer durant ses heures de travail…
SupprimerToute note d'optimisme sur votre blog m'enfonce dans le désespoir. 2013 sera la pire des pires.
RépondreSupprimerPas du tout, votre optimisme vous trahit : 2014 sera encore pire.
Supprimer"des blogueurs rigolards et querelleurs,"
RépondreSupprimerC'est une excellente définition. Bonne fin d'année à vous !
Je ne suis pas blogueux mais bonne année quand même Monsieur Goux
RépondreSupprimerMine de rien le monde entier s'apprête à célebrer une fête chrétienne.
RépondreSupprimerCar que fêtons nous sinon l'arrivée de 2013 après Jésus Christ ?
Partout dans le monde des feux d'artifice seront tirés en souvenir de Bethléhem et du petit Jésus.
Un commentaire de M. Eron Amburst :
RépondreSupprimerY a d'ça, y a d'ça…
Bon, en espérant que vous n'allez pas changer de logiciel, je vous souhaite une bonne année 2013, Didier Goux.
Et ma foi, à tous les autres aussi.
Mes meilleurs voeux à vous en espérant continuer de lire vos excellents billets tout au long de cette année.
RépondreSupprimerBien à vous !
Vous savez, il suffit d'un petit tour sur beaucoup de blogs ("celle-dont-le-nom-ne-doit-pas-être-écrit-ici") pour faire vite regretter les journalistes professionnels.
RépondreSupprimeroui, joli billet.
RépondreSupprimerTrès, très joli billet, en effet !
RépondreSupprimerCe commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
RépondreSupprimer