Au moment où ce billet apparaît sur les écrans radar de vos blogs, je suis déjà sur la route – seul : Dreux, Chartres, Vendôme, Tours, et enfin Esvres-sur-Indre. Dans ce village situé à quelques kilomètres au sud-est de la ville nommée juste avant lui se trouve cette abomination modernœuse que l'on appelle un crématorium – mot horrible et puant le désinfectant que la chose qu'il désigne mérite bien. C'est là que la présence terrestre du Chinois fou va s'abolir, peu après deux heures et demie de l'après-midi. Je sais déjà que, dans la voiture, afin de faire défiler les kilomètres sans les voir, je vais établir le compte de mes morts professionnels, ceux que j'ai connus peuplant la rédaction du magazine où je traîne encore mes semelles, mais en produisant de moins en moins de bruit. Certains rescapés seront aussi présents à Esvres, rang d'oignons silencieux et roides devant la chaudière psychopompe ; et je parlerai avec eux, après ou avant. Mais comme il n'y a pas que tous les feux le feu dans l'existence, je vous laisse avec ce petit texte de Cau, qui m'a semblé résonner convenablement :
« Je tonitrue, parfois, et fais mine, en tapant sur les casseroles de ma prose, de m'intéresser aux affaires en faillite de ce siècle. C'est une illusion que je donne et c'est une parade que je tambourine. Je m'amuse à jouer les rôles d'“indigné”, de “critique”, de “pamphlétaire”, de “révolté”, de “navré à cause de tout ce qui se passe”. Docteur Jekyll d'une révolte et d'un étonnement ; Mister Hyde d'une indifférence. Je m'en fous, voici l'aveu. Je me divertis (au sens pascalien) à vivre luttes et combats mais je sais que les matches sont truqués car j'en connais le résultat. Je m'en fous donc puisque c'est foutu. Je suis sage. Je sais que le règne de ces “amours” dont parle le Narrateur est aboli, derrière moi, et que ce que j'aime est devenu invivable aujourd'hui et ne sera même pas nommé demain. »
Au retour, parce qu'on m'aura frustré d'un véritable et digne enterrement, et attristé aussi, il est possible que je m'offre une bière ou deux ou trois. Oui, c'est ça : vers le soir je me mettrai en bière tout seul, dans la pénombre du salon.
« Je tonitrue, parfois, et fais mine, en tapant sur les casseroles de ma prose, de m'intéresser aux affaires en faillite de ce siècle. C'est une illusion que je donne et c'est une parade que je tambourine. Je m'amuse à jouer les rôles d'“indigné”, de “critique”, de “pamphlétaire”, de “révolté”, de “navré à cause de tout ce qui se passe”. Docteur Jekyll d'une révolte et d'un étonnement ; Mister Hyde d'une indifférence. Je m'en fous, voici l'aveu. Je me divertis (au sens pascalien) à vivre luttes et combats mais je sais que les matches sont truqués car j'en connais le résultat. Je m'en fous donc puisque c'est foutu. Je suis sage. Je sais que le règne de ces “amours” dont parle le Narrateur est aboli, derrière moi, et que ce que j'aime est devenu invivable aujourd'hui et ne sera même pas nommé demain. »
Au retour, parce qu'on m'aura frustré d'un véritable et digne enterrement, et attristé aussi, il est possible que je m'offre une bière ou deux ou trois. Oui, c'est ça : vers le soir je me mettrai en bière tout seul, dans la pénombre du salon.
Photo : Irrempe.
Une Tsingtao s'impose.
RépondreSupprimerTrès cher Didier, l'issue des combats importe peu, c'est le fait de combattre qui est essentiel et qui fait que tout n'est pas foutu...
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup la chaudière psychopompe.
RépondreSupprimerPourquoi abomination moderneuse ? La crémation est un rite funéraire qui n'a pas été inventé par les modernes (ni par les nœuds).
RépondreSupprimer"Une pratique généralisée de l'incinération conduirait, à terme, à la suppression du cimetière comme lieu de mémoire sociale et comme une des nécessaires images de la succession des générations"
RépondreSupprimerhttp://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/la-celebration-de-la-foi/les-grandes-fetes-chretiennes/toussaint/note-a-propos-de-la-cremation-.html
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RépondreSupprimerPaul : tradition millénaire, certes, mais tradition d'ailleurs…
RépondreSupprimerJ'ai eu comme vous l'occasion l'an dernier d'assister à la crémation d'un de mes amis.
RépondreSupprimerPour le catholique pratiquant que je fus, j'avoue ne pas supporter les galimatias de ces nouveaux prêtres laïcs qui ne sont que de sordides croque-morts ! Je ne sais pas si les familles se rendent bien compte du caractère insupportable que peuvent revêtir de telles "cérémonies".
@Paul
Il n'y a nul besoin de croire en Dieu pour reconnaître au cimetière la vertu d'un lieu de deuil et de mémoire indispensable à la construction des vivants. Contrairement à ce que vous pouvez croire, le cimetière est loin d'être mort !
Mais je ne crois pas qu'ils soit mort. Je trouve très sensés les propos de l’église catholique.
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