À mesure que je lisais ce billet de blog, un nom s'imposait de plus en plus à mon esprit jusqu'à y occuper toute la place (ce qui n'est pas un exploit bien grand, d'accord), celui de Sénécal. Tapant ce nom dans Google en espérant y trouver un autre patronyme qui m'échappait obstinément, je suis tombé sur l'un de mes propres billets, datant de février 2009, dont je tire cet extrait plus ou moins réaménagé :
Sénécal est sans doute le personnage le plus glaçant de L'Éducation sentimentale. Il est d'une pureté sans faille, terrible ; il se veut constamment et tout entier au service de l'idée, y compris lorsqu'il travaille sans paraître en avoir conscience à son propre intérêt le plus matériel. Il veut la Justice, ou la Fraternité, ou la Révolution ; il exige le bonheur du Peuple – Sénécal est ce type d'homme qui ne peut se mouvoir que dans une forêt de majuscules initiales. Quand par hasard il est amené à cotoyer le peuple-avec-un-petit-p, lorsqu'il devient brièvement le contremaître de Jacques Arnoux, il se montre, au nom de l'Équité – retour de la majuscule – un épouvantable petit chef "psychorigide", ainsi que l'on bavocherait aujourd'hui. L'apogée, si l'on peut dire, de Sénécal intervient tout à la fin du chapitre VI de la troisième partie, lorsque, devenu sergent de ville, il passe son épée au travers du corps de l'un des émeutiers, Dussardier, le personnage le plus pur, le plus naïvement bon de l'Éducation sentimentale – Dussardier qu'il connaît et fréquente pourtant depuis plusieurs années. Scène dramatique, brève, presque foudroyante. Dans les dernières pages du roman, qui se passent près de 20 ans plus tard, tous les protagonistes de l'histoire sont passés en revue, par Frédéric Moreau et son ami Deslauriers. Le seul dont nul ne sait ce qu'il est devenu, mais dont il est aisé de deviner qu'il doit, quelque part, continuer ses méfaits au nom d'autres majuscules, c'est bien entendu Sénécal. Il m'est apparu alors que notre monde était grouillant de petits Sénécal ; qu'ils avaient merveilleusement proliféré depuis le temps de Flaubert ; ces jeunes gens dont je dis souvent qu'ils n'aspirent qu'au mirador, afin de pouvoir tenir le Mal à l'œil d'un peu plus haut. Bien sûr, ils ne sont plus sergents de ville et manient rarement l'épée. Mais ils réclament des lois à hauts cris, s'indignent à grande vertu des crimes qu'ils suspectent, contre le Bien, la Tolérance, le Respect, la Fraternité ; ils traquent les Discriminations et les Phobies, le Racisme et ses corollaires. Sénécal a parfaitement survécu aux barricades de 1848, et il est resté tel, à l'endroit où on pouvait s'attendre à le rencontrer ; dans la forêt de majuscules moderne, fraîchement replantée à la place de l'ancienne, dévastée par les tempêtes du siècle.
Le Supernono que je vous ai mis en lien et dont je me suis infligé la lecture est un Sénécal à peine repeint aux couleurs de Modernœud. L'affaire Strauss-Kahn lui a fait remonter aux babines quelques renvois si aigres qu'il ne peut pas les supporter sous peine de brûlures irréversibles : il lui faut cracher cette bile excédentaire dans toutes les directions, car s'il se risquait à la ravaler elle lui niquerait le foie. Se scandalise-t-il de la possibilité du viol ? Point. On sent bien qu'il se moque absolument de cela. Ce qui est insupportable, pour ce petit rentier dont l'indignation fleure un peu la vieille pisse de chat, c'est le fait que Dominique Strauss-Kahn soit riche. Non, même pas : que Dominique Strauss-Kahn soit riche, alors que lui ne l'est pas. Le ressentiment est si fort que, bientôt, le personnage qu'il s'est choisi comme modèle-obstacle ne lui est plus suffisant, le voilà forcé de convoquer dans le désordre et à la hâte une douzaine d'autres hommes politiques afin qu'ils épongent ses excédents de suc gastrique. Mais, ce faisant, il ne fait qu'accroître encore ses fureurs impuissantes. Car, constatation terrifiante pour supernono : tous ceux qu'il fait comparaître au tribunal de son deux-pièces-cuisine – vue sur cour – se révèlent aussitôt incomparablement plus heureux, plus doués, plus riches que lui. Et en plus on dirait bien qu'ils baisent. La haine mimétique de supernono c'est comme le Blob au cinéma : elle se nourrit de tout ce qui passe et profite d'un rien. Il finit pas obtenir des effets comiques bien involontaires mais tout à fait chatoyants. Et c'est au moment où la rage le fait bafouiller qu'il devient le plus clair, lorsqu'il ne dit plus rien d'audible qu'il se met enfin à parler sincèrement de lui-même.
Supernono, c'est l'homme du souterrain qui, à la place de Dostoïevski, aurait croisé Stéphane Guillon : on a les sondeurs d'âme qu'on peut.
Sénécal est sans doute le personnage le plus glaçant de L'Éducation sentimentale. Il est d'une pureté sans faille, terrible ; il se veut constamment et tout entier au service de l'idée, y compris lorsqu'il travaille sans paraître en avoir conscience à son propre intérêt le plus matériel. Il veut la Justice, ou la Fraternité, ou la Révolution ; il exige le bonheur du Peuple – Sénécal est ce type d'homme qui ne peut se mouvoir que dans une forêt de majuscules initiales. Quand par hasard il est amené à cotoyer le peuple-avec-un-petit-p, lorsqu'il devient brièvement le contremaître de Jacques Arnoux, il se montre, au nom de l'Équité – retour de la majuscule – un épouvantable petit chef "psychorigide", ainsi que l'on bavocherait aujourd'hui. L'apogée, si l'on peut dire, de Sénécal intervient tout à la fin du chapitre VI de la troisième partie, lorsque, devenu sergent de ville, il passe son épée au travers du corps de l'un des émeutiers, Dussardier, le personnage le plus pur, le plus naïvement bon de l'Éducation sentimentale – Dussardier qu'il connaît et fréquente pourtant depuis plusieurs années. Scène dramatique, brève, presque foudroyante. Dans les dernières pages du roman, qui se passent près de 20 ans plus tard, tous les protagonistes de l'histoire sont passés en revue, par Frédéric Moreau et son ami Deslauriers. Le seul dont nul ne sait ce qu'il est devenu, mais dont il est aisé de deviner qu'il doit, quelque part, continuer ses méfaits au nom d'autres majuscules, c'est bien entendu Sénécal. Il m'est apparu alors que notre monde était grouillant de petits Sénécal ; qu'ils avaient merveilleusement proliféré depuis le temps de Flaubert ; ces jeunes gens dont je dis souvent qu'ils n'aspirent qu'au mirador, afin de pouvoir tenir le Mal à l'œil d'un peu plus haut. Bien sûr, ils ne sont plus sergents de ville et manient rarement l'épée. Mais ils réclament des lois à hauts cris, s'indignent à grande vertu des crimes qu'ils suspectent, contre le Bien, la Tolérance, le Respect, la Fraternité ; ils traquent les Discriminations et les Phobies, le Racisme et ses corollaires. Sénécal a parfaitement survécu aux barricades de 1848, et il est resté tel, à l'endroit où on pouvait s'attendre à le rencontrer ; dans la forêt de majuscules moderne, fraîchement replantée à la place de l'ancienne, dévastée par les tempêtes du siècle.
Le Supernono que je vous ai mis en lien et dont je me suis infligé la lecture est un Sénécal à peine repeint aux couleurs de Modernœud. L'affaire Strauss-Kahn lui a fait remonter aux babines quelques renvois si aigres qu'il ne peut pas les supporter sous peine de brûlures irréversibles : il lui faut cracher cette bile excédentaire dans toutes les directions, car s'il se risquait à la ravaler elle lui niquerait le foie. Se scandalise-t-il de la possibilité du viol ? Point. On sent bien qu'il se moque absolument de cela. Ce qui est insupportable, pour ce petit rentier dont l'indignation fleure un peu la vieille pisse de chat, c'est le fait que Dominique Strauss-Kahn soit riche. Non, même pas : que Dominique Strauss-Kahn soit riche, alors que lui ne l'est pas. Le ressentiment est si fort que, bientôt, le personnage qu'il s'est choisi comme modèle-obstacle ne lui est plus suffisant, le voilà forcé de convoquer dans le désordre et à la hâte une douzaine d'autres hommes politiques afin qu'ils épongent ses excédents de suc gastrique. Mais, ce faisant, il ne fait qu'accroître encore ses fureurs impuissantes. Car, constatation terrifiante pour supernono : tous ceux qu'il fait comparaître au tribunal de son deux-pièces-cuisine – vue sur cour – se révèlent aussitôt incomparablement plus heureux, plus doués, plus riches que lui. Et en plus on dirait bien qu'ils baisent. La haine mimétique de supernono c'est comme le Blob au cinéma : elle se nourrit de tout ce qui passe et profite d'un rien. Il finit pas obtenir des effets comiques bien involontaires mais tout à fait chatoyants. Et c'est au moment où la rage le fait bafouiller qu'il devient le plus clair, lorsqu'il ne dit plus rien d'audible qu'il se met enfin à parler sincèrement de lui-même.
Supernono, c'est l'homme du souterrain qui, à la place de Dostoïevski, aurait croisé Stéphane Guillon : on a les sondeurs d'âme qu'on peut.
Concernant votre lien vers le moderneuneu du jour: est-ce qu'il n'y a que moi à qui ça le fait ? Je m'explique: je n'arrive plus à lire les billets de blog où, quel que soit le sujet, il y a le mot "Sarkozy" dans la première phrase. J'ai carrément les yeux qui se ferment, et le clic qui claque. Je n'en peux plus. Tous des cons. C'est vrai, quoi. La plus insigne des informations, la plus grosse des catastrophes, c'est d'la faute à Sarko, aux médias vendus à Sarkozy qui nous jettent des écrans de fumée pour cacher les vrais problèmes. La sécheresse, les accidents d'avions, les collégiens qui se poignardent, même le concombre espagnol, tout ça n'est rien que ritournelles et distractions échappatoires pour endormir l'électeur ou le paniquer pour qu'il vote Sarkozy.
RépondreSupprimerCe n'est pas nouveau, mais là, avec l'affaire Strauss-Kahn, on touche le fond.
Comme la providence nous joue des tours, en mettant le diable dans la queue du prince du FMI plutôt que dans celle de notre nano-dictateur... Les choses auraient été si évidentes et si faciles alors!
Plus que l'envie d'être aussi riche que lui, il y a la honte et la gêne si on est électeur de gauche, pétri et caparaçonné de valeurs de gauche.
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
RépondreSupprimerBelle anticipation. Pas pour Flaubert, lui on le savait déjà.
RépondreSupprimerJe suis comme Suzanne. J'ai vaguement essayé d'expliquer à un modernono que "Sarko, c'est un peu nous" mais rien à faire, c'est plus efficace que la moutarde....
Je me demande si je n'ai pas encore dégoté un truc pour Modernoeud dans le Figaro du 13 juin :
RépondreSupprimerUn proche de Martine Aubry parlant de son entrée en campagne présidentielle :
"Si elle ne loupe pas la marche, j'espère qu'elle fera l'écart".