Ils sont assis tous les deux à l'avant ; ils ne se parlent pas ; on les sent un peu crispés. Ils doivent être dans une voiture d'auto-école car chacun dispose, à sa place, de deux pédales, accélérateur et frein : on en déduit qu'il s'agit d'un véhicule à boîte de vitesses automatique. La bizarrerie est qu'il y a également deux volants : ils sont couplés de telle manière que lorsque l'un est en action, l'autre devient tout à fait inopérant – et réciproquement.
Modernœud et Groréac roulent sur une très longue portion rectiligne de route déserte, dans une campagne très vallonnée, limite montagneuse si on voulait dramatiser. Ils voient très bien que là-bas, tout au bout, ils vont devoir affronter des virages serrés et dangereux, bordés tantôt d'un côté, tantôt de l'autre par un ravin abrupt – et chacun se demande comment il va pouvoir neutraliser son co-pilote afin de garder la pleine maîtrise du volant, dans le but de préserver leurs deux vies. Car chacun, il convient de bien le noter, a conscience de devoir œuvrer pour le bien commun de leur minuscule communauté, d'être responsable pour l'autre qui, nul n'en doute, perdra le contrôle de lui-même et du véhicule à la première difficulté périlleuse.
La route est peut-être droite mais elle n'est pas horizontale, pas du tout. Au contraire, elle suit une pente assez forte, et qui va encore s'accentuant à mesure que l'on se rapproche de la succession de virages. Le problème est que – jeu de la brume ? Miroitement de la lumière ? Traîtrise des plans et des couleurs ? Aberration optique des protagonistes ? – il est impossible de savoir si cette pente est ascendante ou son contraire.
Voyant nettement la route monter vers des sommets où le soleil lui semble triompher de la brume, Modernœud se dit qu'ils doivent prendre de la vitesse s'ils ne veulent pas caler dès le second ou troisième virage : il enfonce l'accélérateur – mais progressivement, pour ne pas faire hurler son compagnon de voyage, toujours prompt à s'émouvoir du moindre changement. De son côté – c'est lui qui tient la place du mort –, Groréac est bien certain que la route dévale vers la zone dangereuse : voulant l'aborder aussi lentement que possible, voire immobiliser la voiture en bout de ligne droite si la chose est encore possible, le voilà debout sur le frein.
Chacun ne tarde pas à comprendre la manœuvre de l'autre et se met à agiter son volant en tous sens, dans l'espoir d'ôter à son voisin la maîtrise du véhicule. Le seul résultat est que les deux volants, maniés simultanément et au mépris de toute contingence mécanique, les deux volants se déconnectent avec un ensemble parfait. Modernœud et Groréac se rendent compte alors que tout est foutu et qu'il ne leur reste plus qu'à imputer à l'autre la totalité du désastre imminent, en sautant en marche de la voiture juste avant le premier virage. Ils relâchent tous deux la pédale qu'ils enfonçaient du pied et ouvrent chacun sa portière, juste à l'amorce du premier virage – un méchant, bien serré à gauche, avec un peu de gravillons en bord de bitume.
Et le ravin est là, juste en face.
La voiture plonge dans la brume crémeuse, désormais en léger contrebas ; il fait un soleil superbe.
Modernœud et Groréac roulent sur une très longue portion rectiligne de route déserte, dans une campagne très vallonnée, limite montagneuse si on voulait dramatiser. Ils voient très bien que là-bas, tout au bout, ils vont devoir affronter des virages serrés et dangereux, bordés tantôt d'un côté, tantôt de l'autre par un ravin abrupt – et chacun se demande comment il va pouvoir neutraliser son co-pilote afin de garder la pleine maîtrise du volant, dans le but de préserver leurs deux vies. Car chacun, il convient de bien le noter, a conscience de devoir œuvrer pour le bien commun de leur minuscule communauté, d'être responsable pour l'autre qui, nul n'en doute, perdra le contrôle de lui-même et du véhicule à la première difficulté périlleuse.
La route est peut-être droite mais elle n'est pas horizontale, pas du tout. Au contraire, elle suit une pente assez forte, et qui va encore s'accentuant à mesure que l'on se rapproche de la succession de virages. Le problème est que – jeu de la brume ? Miroitement de la lumière ? Traîtrise des plans et des couleurs ? Aberration optique des protagonistes ? – il est impossible de savoir si cette pente est ascendante ou son contraire.
Voyant nettement la route monter vers des sommets où le soleil lui semble triompher de la brume, Modernœud se dit qu'ils doivent prendre de la vitesse s'ils ne veulent pas caler dès le second ou troisième virage : il enfonce l'accélérateur – mais progressivement, pour ne pas faire hurler son compagnon de voyage, toujours prompt à s'émouvoir du moindre changement. De son côté – c'est lui qui tient la place du mort –, Groréac est bien certain que la route dévale vers la zone dangereuse : voulant l'aborder aussi lentement que possible, voire immobiliser la voiture en bout de ligne droite si la chose est encore possible, le voilà debout sur le frein.
Chacun ne tarde pas à comprendre la manœuvre de l'autre et se met à agiter son volant en tous sens, dans l'espoir d'ôter à son voisin la maîtrise du véhicule. Le seul résultat est que les deux volants, maniés simultanément et au mépris de toute contingence mécanique, les deux volants se déconnectent avec un ensemble parfait. Modernœud et Groréac se rendent compte alors que tout est foutu et qu'il ne leur reste plus qu'à imputer à l'autre la totalité du désastre imminent, en sautant en marche de la voiture juste avant le premier virage. Ils relâchent tous deux la pédale qu'ils enfonçaient du pied et ouvrent chacun sa portière, juste à l'amorce du premier virage – un méchant, bien serré à gauche, avec un peu de gravillons en bord de bitume.
Et le ravin est là, juste en face.
La voiture plonge dans la brume crémeuse, désormais en léger contrebas ; il fait un soleil superbe.
Magnifique !
RépondreSupprimerComme disait Bashung " c 'est comment qu 'on freine, je veux descendre de là"
Sympathique :-)
RépondreSupprimerDans les BM ça doit être un peu plus polisson mais bon… Et dans les fables, il y a même (c’est aujourd’hui un luxe, je sais…) une « morale » à la fin de l’histoire.
RépondreSupprimerOn voit bien le mec un peu commercial (faut bien vivre) qui s’économise pour faire durer le plan de charge : Et alors ?
Bon, la conclusion (provisoire) de la fable, c’est pour la prochaine « saison ». Une œuvre littéraire dont les dernières lignes s’écriront « post mortem », c’est pas nouveau et ça le restera ^^
Tranche de vie :
RépondreSupprimerQuand j'ai connu Groréac, mon second mari, il venait de s'acheter une magnifique Ondine Gordini, toute neuve.
Modernoeud, mon premier mari, a toujours été persuadé que si je l'avais quitté c'était pour la belle voiture, parce que lui, roulait dans une vieille 4CV.
Et le pire, c'est que ce n'était pas complètement faux !
Heureusement pour moi ils n'ont jamais conduit de voiture ensemble, ce qui explique qu'un milliard d'années plus tard, je partage toujours et encore la vie d'un Groréac.
dxdiag et snake : marci ben !
RépondreSupprimerLe Plouc : j'aurais peut-être mieux fait d'écrire “allégorie” ou “pararabole” plutôt que “fable”. Mais bon : ce qui est fait est fait…
Mildred : 4 CV, première voiture de mes parents ! (Ma mère a fait deux tonneaux et demi avec, mon frère et moi dedans…) Et je me souviens fort bien des Ondines (et des R 8) Gordini.
Groréac serait vraiment un gros réac si il considérait comme tout vrai réac que l'on ne peut se marier qu'une fois...
RépondreSupprimer---
Didier,
Bon billet. Et lucide avec ça...
Dorham,
RépondreSupprimerMais Groréac, lui, ne s'est bel et bien marié qu'une fois !
Oui, mais il a épousé une femme déjà mariée et qui ne pourra plus jamais l'être une seconde fois (puisqu'elle n'est pas veuve)... En gros, il fait de vous une polyandre...
RépondreSupprimerDorham, si Mildred devient veuve, son Grosréac pourra l'épouser ; )
RépondreSupprimerCurieux texte. Vous avez du lire l'auto-journal pendant une digestion difficile ou alors c'est Renault Camus ?
RépondreSupprimerPRR : oui, il y a des matins, on se demande ce qui a bien pu nous arriver durant le sommeil de la nuit…
RépondreSupprimerDorham et Catherine,
RépondreSupprimerC'est quoi ce délire ?
Je suis mariée avec mon Groréac et divorcée de ce crétin de Modernoeud.
Il n'y a, pour l'instant, pas plus de polyandre que de veuve.
Alors on se calme !
Mildred,
RépondreSupprimerOui, j'avais bien compris. Vous êtes polyandre néanmoins, puisque le divorce n'existe pas.
Les musulmans sont dans le coffre ?
RépondreSupprimerMildred, je suis allé voir sur wikipedia ce que signifiait polyandre. Votre situation est en fait celle d'une monogame séquentielle.
RépondreSupprimerDorham,
RépondreSupprimerDésolée, vous êtes à côté de la plaque !
sniper,
Oserais-je avouer qu'il m'est arrivé aussi d'être dans la situation d'une "polyandre séquentielle" ?
Mais comme dit à peu près Saint Augustin : L'important c'est d'aimer".
Mais non, Dorham a raison.
RépondreSupprimerCatherine,
RépondreSupprimerAh oui ! Dorham a raison ?
Je serais curieuse que vous m'expliquiez en quoi il a raison
Mildred,
RépondreSupprimerNe prenez pas la mouche, je vous taquine. Catherine et moi sommes catholiques. Selon cette religion, il n'est pas possible d'être marié deux fois. Quand les pharisiens demandent à Jésus ce qu'il pense de la loi de Moïse qui permet de répudier son épouse dans certains cas, ou d'épouser telle veuve sous telles conditions, il leur répond : "ce que Dieu a fait, seul Dieu peut le défaire". Vous allez me dire que vous ne vous êtes jamais mariée à l'Eglise. Je rétorquerai que l'Eglise catholique reconnait le mariage civil. Voilà.
Dorham,
RépondreSupprimerAh ! Et en plus vous êtes une fine mouche.
Je suis catholique, en effet.
Une mauvaise catholique, sans doute, car effectivement je ne me suis jamais mariée à l'église.
Mais figurez-vous que j'y songe.
Ha ! J'aimerais bien qu'on m'indique dans quelle voiture Groréac est autorisé à monter...
RépondreSupprimerSinon, la Dauphine est bien mignonne. Quoique probablement déconseillée pour la route de montagne de merde sur laquelle elle se trouve.
Pas mal, mais moi j'aurais fait ça avec un tandem : les deux pédalent dans la choucroute, dans le même sens (ou pas, peu importe) De toute façon : droit dans le ravin. On y est aussi sûr. (en plus le vélo, ça réduit le bide et donc le poids et la chute sera plus longue ainsi. Le masochisme est à la mode de nos jours)
RépondreSupprimerRompez.
Dorham,
RépondreSupprimer"Je rétorquerai que l'Eglise catholique reconnait le mariage civil. Voilà."
D'où tenez-vous ça ? Hors mariage religieux, c'est un adultère. L'église accueille les divorcés, d'accord, mais ils n'ont droit à aucun sacrement.
Catherine,
RépondreSupprimerEt bien, je le tiens d'un prêtre. Tenez, j'ai trouvé vite fait un lien que je n'ai pas trop le temps de htmlisé :)
http://saint-denis.catholique.fr/rubriques/gauche/vie-chretienne/jai-une-question/dois-je-etre-baptise-avant-de-me-marier