Donc, après moult atermoiement engendré par un temps éminemment variable, nous partîmes pour Jumièges – pas plus énervés que cela. Allez savoir pourquoi, en ces confins de l'Eure et de la Seine-Maritime (proverbe local : avant l'Eure c'est pas l'Eure, après l'Eure c'est la Seine-Maritime), le fleuve se franchit par bacs : traversée un peu frustrante puisque après dix minutes d'attente elle doit en durer moins de deux…
Néanmoins, l'abbaye ou plutôt ce qu'il en reste (“Plus belle ruine de France”, aurait sentencé Victor Hugo, qui se croyait obligé de bricoler une phrase impérissable devant chaque monument que croisait sa route) “mérite un détour”, voire “vaut le voyage” comme on dit dans les guides sérieux. Première impression : il est étonnant – et fort déprimant si l'on y songe – de constater que des bâtiments médiévaux presque totalement défigurés par le temps et les vandales post-révolutionnaires présentent encore mille fois plus de beauté que n'importe quelle réalisation architecturale contemporaine. Peut-être simplement parce qu'ils sont encore là alors même qu'ils ont cessé d'être.
L'aspect le plus immédiatement séduisant de Jumièges est qu'il est possible de tout découvrir ou presque, chaque détail d'architecture, voussure, amorce d'arcs, échappée de paysage, à travers les cadres naturels formés par les différentes fenêtres restant debout, et qui donnent à voir des tableaux sans cesse changeants à mesure que l'on se déplace de quelques pas dans un sens ou dans un autre. Chaque élément, pierre ou frondaison, se présente dans un écrin d'air et de lumière, tantôt roman, tantôt gothique, et même l'un après l'autre, selon l'endroit où l'on se place pour le regarder.
La présence des échafaudages, bien sûr regrettable, mais il est nécessaire de consolider les ruines, ne réussit pas à gâcher cette certitude du miracle que l'on éprouve ici, faite sans doute de deux impressions en principe contradictoires, celle d'une beauté fragile, toujours sur le point de s'évanouir, et celle d'une éternité à peine de ce monde-ci – et peut-être en a-t-il été de même, durant plus de mille ans, du lien qui unissait à Dieu les hommes qui ont vécu et prié entre ces murs dont on ne sait plus bien, au moment de repartir, ce qui subsiste d'eux, de l'ébauche ou du souvenir.
D'autres photos…
D'autres photos…
Pfuuu,Victor est un misérable, la belle ruine d'abbaye de France C Vauclair.
RépondreSupprimerJe reviendrai lire plus tard.
RépondreSupprimerJ'adore les photos.
Je crois que ce genre de ruines, malheureusement ou heureusement - suivant le point de vue où on se place - il y en a beaucoup en France.
Petit Louis : un lien, bon sang !
RépondreSupprimerMildred : oui, il y en a beaucoup. Mais il m'a semblé que celles-ci étaient à un point d'équilibre presque parfait : suffisamment en ruines pour mériter ce nom et encore assez debout pour que ce qu'on voit reste tout à fait “lisible”.
Très bel échafaudage ! C'est un Layher ?
RépondreSupprimerMildred, merci pour le compliment.
RépondreSupprimerEt puis c'est grand !
RépondreSupprimerJe connais des chapelles à moitié effondrées, des restes d'églises brûlées, de jolies ruines touristovalorisées, astiquées, fleuries ou des pans de murs en plein champ avec des vestiges d'arcs romans ou des dentelles de pierre Renaissance , mais je ne connaissais pas Jumel.
Jolies photographies, Catherine.
Je me souviens être allé voir Jumièges avec Mme Plouc "malgré" Victor Hugo. Merci pour ce billet et ces photos (la première n'est pas la plus parlante...)
RépondreSupprimerNB: Je ne vois toujours pas le rapport avec les Ponts de Cé angevins...
Merci Suzanne, je viens de mettre d'autres photos chez moi.
RépondreSupprimerSuzanne : oui, c'est un ensemble très impressionnante. Mais Jumièges fut la plus importante abbaye bénédictine de Normandie durant des siècles.
RépondreSupprimerLe Plouc : aucun rapport immédiat, simple association d'idées parce que je venais de parler de pont et de bac…
Cette voiture nickel propre m'étonne, je ne vous voyais pas si soigneux de ces futilités modernes. les photos sont magnifiques.
RépondreSupprimerQuant aux bacs, pour les avoir souvent utilisés en Afrique ou en Guyane, cela a un charme fou, une pause dans le voyage, un peu comme une machine a stopper le temps.
Enfin, je me comprends.
Corto : pour la voiture, c'est parce que vous ne voyez pas l'intérieur !
RépondreSupprimerSinon, les bacs qui traversent la Seine stoppent peut-être le temps, mais vraiment pas longtemps…
Songez à remercier nos glorieux révolutionnaires qui, en la pillant, ont fabriqué ces ruines magnifiques. Sinon, ils auraient fallu prendre son ticket et passer par les vêpres voire les matinales.
RépondreSupprimerC'est un effet pervers de l'Histoire.
Reste un autre paradoxe : entretenir une ruine.... Je ne sais pas ce qu'en auraient pensé nos anciens. Ils sont morts leurs tombes ne sont même plus des ruines elles ont disparu
Tout ça très curieux.
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerLes futures ruines de nos actuelles architectures contemporaines ne seront qu'amas de ferrailles rouillées et de verres brisés… Cela en dira long sur ce que nous fûmes…
RépondreSupprimerMerci pour les photos et vos commentaires. On n'insistera jamais assez sur les dégâts commis par la Révolution en matière de patrimoine. Force cependant est d'admettre qu'il est fort probable que sans elle les abbayes n'auraient probablement pas survécu, vu qu'à la veille de la révolution elles étaient quasiment vides de moines et que leur entretien posait problème. Ainsi, si mes souvenirs sont bons, à Aubazine (Corrèze) l'abbé fit au XVIIIe siècle abattre la moitié de la nef de son abbatiale devenue trop grande...
RépondreSupprimerUne erreur cependant: après l'Eure (27), c'est l'Eure-et-loir (28). Je ne dis pas ça par chauvinisme (je cesserai d'être Eurélien dans quelques jours) mais par amour de la vérité.
Pierre Robes-Roule,
RépondreSupprimerVous vouliez sans doute parler des matines, rappelez-vous : "Sonnez les matines ..."
Parce que les matinales c'est à la télévision et cela n'a absolument rien à voir.
@mildrer
RépondreSupprimerJe n'ai jamais été très matinal effectivement.
A@ le plouc: aucun sinon que je suis en train décrire un abécédaire et Pont de Cé est tombé avec la 3ème lettre bien sur... la veille du mot de DG. Oui ça coïncide drôle donc le hasard, tout ça... j'adore les photos. Ça donne envie de faire un saut...
RépondreSupprimerJ'ai cru un instant que vous aviez transfomré Roselyne en dépanneuse...
RépondreSupprimerFière allure en tout cas.
Dominique
Si d'aventure vous poussez votre exploration vers le sud ouest, je vous conseille les ruines de l'Abbaye de La Sauve Majeure, c'est d'une beauté et d'une grandeur à couper le souffle.
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