dimanche 12 janvier 2025

Des impératifs wokiformes dans les séries télé


 J'ai déjà noté ailleurs qu'ici (journal de ce mois de janvier, entrée du 7 : un peu de patience, quoi…) que, dans la première saison de Departure, série canadienne et netflicarde, le pilote de l'avion s'écrasant dans l'Atlantique nord était bigame : un couple à voile, l'autre à vapeur, pour faire bon poids. Amusante particularité qui n'apporte rien à l'intrigue générale, et qui reste en soi assez peu crédible, même avec beaucoup d'indulgence post-moderne. 

Dans le premier épisode de la seconde saison — où l'avion de la première a été remplacé par un train —, on nous fait découvrir dès les premières minutes un couple de lesbiennes, en revenant plusieurs fois sur ces deux greluches, qui n'arrêtent pas de rire bêtement, sans doute pour qu'on comprenne bien, stupides armoires à préjugés que nous sommes, à quel point c'est merveilleux et ô combien épanouissant d'être ce qu'elles sont. 

Or, la première de ces deux demoiselles meurt au bout d'un quart d'heure (mini-spoiler : dans le déraillement du train), et la seconde, n'ayant rigoureusement aucun rôle prévu par les scénaristes, disparaît définitivement avant même la fin de l'épisode initial. Il est caricaturalement visible qu'elles n'ont été placées dans leur voiture ferroviaire, et filmées avec tant d'application et d'insistance, que pour “cocher la case” homosexuelle, afin que les producteurs soient bien en règle avec les diktats en vigueur. 

Lesquels diktats ne sont rien d'autre qu'une sorte de nouveau Code Hays, tout aussi imbécile que son ancêtre, lequel fut et reste abondamment moqué par tout ce que nos contrées comptent d'esprits forts.
 
Mais chaque génération de crétins a le code qu'il mérite, n'est-ce pas ?

mercredi 8 janvier 2025

Du “respect humain” à géométrie variable


 Comme prévu dès hier — ce n'était pas très difficile —, les antifascistes en chambre et les Jean-Moulin de boudoir s'en donnent à cœur joie dans le dépeçage de cadavre encore tiède. Au moins, pendant qu'ils gesticulent devant l'écran, ils ne sont pas à se ruiner la santé dans les bistrots : restons positifs. Il se passe pourtant de bien curieuses choses, il est des morts dont le pouvoir était jusqu'ici insoupçonné…

Ainsi, tout soudain, eux qui traitaient depuis des mois les Israéliens d'héritiers de Hitler, voilà nos amis gauchistes saisis par une sainte indignation devant l'antisémitisme de Jean-Marie Le Pen.

Autre chose divertissante : depuis des lustres, tous ces irréprochables concessionnaires à vie du Camp du Bien nous somment d'appeler, par respect humain (moi aussi je peux jargonner, quand je veux...), les nains des personnes de petite taille, les clodos des sans-abri, les aveugles des non-voyants, les sourds des mal-entendants et les culs-de-jatte des personnes en situation de non-jambisme, mais cela ne les empêche nullement de célébrer à son de trompes la mort du “Borgne”. 

De l'indignation réversible et du respect humain à géométrie variable...

dimanche 5 janvier 2025

À ne pas revoir là-haut

 


Hier soir, pour rester dans le climat “Grande Guerre” où nous avait plongés la veille le remarquable À l'Ouest, rien de nouveau (film allemand de 2022) proposé par le gang des Netflicards, nous avons regardé le film d'Albert Dupontel intitulé Au revoir là-haut : mauvaise idée.

Rien ne tient debout, dans ce film : personnages masculins caricaturaux — en particulier le “salaud” interprété par Laurent Laffitte —, féminins inconsistants et superflus, situations téléphonées, coïncidences cousues de fil blanc, invraisemblances historiques, etc. Je pourrais détailler tout cela, mais je me suis suffisamment ennuyé durant deux heures en regardant la chose, je ne vais certainement pas lui consacrer une demi-heure supplémentaire aujourd'hui.

Albert Dupontel, pour qui j'éprouve une certaine sympathie en raison de ses deux ou trois premiers films, a tiré celui-ci d'un roman, prix Goncourt 2013, écrit par un certain Pierre Lemaître, qui a par ailleurs co-signé l'adaptation de son opus magnum : encore un romancier dont je ne risque pas d'ouvrir les chefs-d'œuvre, même dans un moment de distraction. 

Car il me paraît évident que toutes les faiblesses, invraisemblances et absurdités vues hier sur l'écran devaient déjà se trouver entre les pages du livre. Ainsi que le climat frelaté de faux merveilleux qui met fâcheusement en valeur la vague niaiserie de l'ensemble.

Prix Goncourt, n'est-ce pas ? J'aurais dû me méfier : chez Drouant, rien de nouveau...

mercredi 1 janvier 2025

2024 côté cour

 


En décembre, gelés,

Que de temps nous passâmes,

Quasi ensorcelés,

À la Ferté-Vidame !

vendredi 27 décembre 2024

Justice légale


 C'est une série qui a tout juste vingt ans. En Amérique où elle est née, elle fut baptisée Boston Legal. Quand elle eut franchi l'Atlantique, les distributeurs français se sont trouvés face à une épineuse alternative : devaient-ils traduire ce nom en français ou en charabia ? Ils optèrent pour le charabia, et la série devint chez nous Boston justice, titre bienheureusement inintelligible.

Une fois surmonté cet agacement initial, qui en outre ne touche peut-être que moi, voilà une série télé hautement recommandable. Elle est due à David Kelley, qui avait précédemment conçu Ally McBeal, série parfaitement évitable. Les deux sont ce que l'on appelle des “séries judiciaires". Boston justice, déroule ses cinq saisons et ses cent un épisodes au sein d'un grand cabinet d'avocats bostonien : Crane, Poole & Schmidt. C'est un cabinet qui, pour notre plus grand plaisir, tend assez nettement vers la clinique psychiatrique, tant à cause de beaucoup de ses clients que de certains membres de son personnel. Un ami qui connaît nettement mieux les rouages de la justice américaine que moi, ce qui n'est pas mettre la barre bien haut, me disait récemment qu'à peu près aucun des procès se déroulant dans la série ne tenait debout ; ce qui ne l'empêchait pas d'en avaler les épisodes aussi goulûment que d'autres les demis de bière au comptoir de la Comète.

Ils ne tiennent pas debout — même moi, il m'arrive de m'en apercevoir –, mais ils sont le plus souvent fort réjouissants, animés par des avocats que je n'hésiterais pas à déclarer hauts en couleur si j'étais encore débiteur de clichés journaliste. Lesquels piliers de salles d'audience sont servis par des comédiens à qui je ne vois rien à reprocher, depuis l'encore délicieuse Candice Bergen jusqu'à James Spader, que les Stargatolâtres et les Blacklistophiles connaissent bien.

Mais la vraie découverte, c'est William Shatner. Comme beaucoup de gens, supposé-je, je vivais plus ou moins dans la croyance que ce sympathique mais assez pâlichon Juif montréalais n'avait à peu près jamais rien fait de plus marquant dans sa carrière que de poursuivre des hordes de Klingons dans son pyjama intergalactique, suivi par un transfuge de Mission impossible s'étant fait tailler les oreilles en pointes. Grossière erreur. 

C'est avec une jouissance palpable et un véritable talent comique que l'ex-capitaine Kirk campe Denny Crane, co-fondateur du cabinet portant en partie son nom, Républicain très à droite, grand amateur d'armes à feu dont ses tiroirs sont bien garnis, aussi misogyne que grand baiseur, volontiers harceleur de femelles, tranquillement raciste et benoîtement antisémite, attendrissant et irritant, burlesque et parfois émouvant, prétendant expliquer (il ne s'excuse jamais de rien) toutes ses frasques par la “maladie de la vache folle” qui logerait dans son cerveau.

Rien que pour lui, Boston justice “mériterait le détour” comme on dit chez Michelin. Il est en quelque sorte le noyau de combustion d'où jaillissent en gerbe les folies particulières des autres associés et employés. Démence douce, mais contagieuse, puisqu'elle atteint également un certain nombre de juges, pourtant d'apparence vénérable, parmi ceux qui ont à trancher les affaires ubuesques apportées au tribunal par le cabinet Crane, Poole & Schmidt.

Le seule chose qui, dans cette histoire, ternirait un peu ma joyeuse humeur, c'est que nous approchons de la cinquième saison, et qu'après ça il n'y en aura plus. Alors que tant de séries navrantes durent des dix voire douze saisons.

Y a pas de justice.

vendredi 20 décembre 2024

Les urnes et les autres

 

À Fredi Maque…

Conversation entre André Gide et Paul Léautaud, au Mercure de France, dans le bureau du second, janvier 1935. On parle de choses et d'autres, puis :

« Nous nous trouvons d'accord sur ce point : il n'a jamais voté, comme je n'ai jamais voté, et sur le même état d'esprit : d'une façon ou d'une autre, nous serons toujours dupes. Au moins n'y aurons-nous pas prêté la main. Ce que j'ai exprimé dans une note de Passe-Temps : supporter sans participer. »

Voilà.

mardi 17 décembre 2024

Le banc et l'arrière-banc

 

 
 
La cour de Versailles, à sa grande époque, fait souvent penser à un monceau de brindilles sèches que la plus anodine étincelle suffit à embraser. Ainsi en cette année 1696 où, par la grâce du duc mémorialiste, me voici rendu. Au roi qui lui demandait pourquoi on ne le voyait pas aux sermons du père Séraphin, dont lui-même était entiché, le duc de la Rochefoucauld répondit (en gros...) qu'il n'avait pas envie de faire la queue en attendant que l'officier chargé de cette tâche veuille bien lui indiquer une place où se mettre. 
 
Le roi, alors, sans penser à la tempête qu'il allait ce faisant déclencher, lui dit de s'assoir à la quatrième place sur le banc juste derrière lui (peu importe ici à qui revenaient procolairement les trois premières). Ce quatrième rang était ordinairement occupé par M. de Coislin, évêque d'Orléans, qui n'y avait aucun droit particulier, officiel, qui s'y était installé un jour et qu'on avait ensuite pris l'habitude de voir assis là. En outre, il se trouvait à ce moment-là dans son diocèse, ce qui est tout à son honneur mais laissait conséquemment sa place vacante : funeste erreur…

Or, à quelque temps de là, parce qu'il n'est si bon diocèse qui ne se quitte, notre évêque revient à la cour... et entend récupérer “sa” place au séraphinesque sermon ; place que le duc, pourtant son ami, refuse tout aussitôt de lui rendre. Et la voilà, notre étincelle !

Comme l'écrit Saint-Simon, “toute la cour se partialisa”, les plus grands personnages prenant fait et cause pour l'un ou pour l'autre, disputant à n'en plus finir pour savoir qui, du duc ou de l'évêque, devait occuper cette fucking quatrième place sur le banc presque royal. Le roi lui-même essaie de “calmer le jeu”, de rabibocher les deux ex-amis, mais rien à faire : il y aura toujours, désormais, ce banc entre eux.

« Monsieur d'Orléans fut inflexible, conclut Saint-Simon, et, quand il vit que tout cet éclat n'aboutissoit qu'à du bruit, il s'en alla bouder dans son diocèse. »

N'importe : l'alerte avait été chaude...

jeudi 12 décembre 2024

Billet au décrochez-moi-ça

 Saint-Simon écrit : « [...] notre procès demeura accroché jusqu'à l'hiver suivant. » Le très-précieux Boislisle indique aussitôt en note : « C'est-à-dire suspendu. » 

Du coup se produit, pour nous du XXIe siècle, un phénomène curieux : jamais nous n'avions songé à trouver bizarre qu'une affaire, ou une activité, ou une conversation, pût être suspendue ; mais voici que, remplacé un instant par son synonyme, accroché, le mot devient tout à fait étrange à l'esprit, pas très loin d'être inexplicable d'emploi. 

Heureusement Boislisle est encore là qui nous précise : « On sait que les pièces de chaque procédure se conservaient dans des sacs, qui pouvaient s'accrocher au mur ou au plafond, quand on n'en avait plus besoin. » 

Et voilà pourquoi, en notre âge d'ordinateurs, nous continuons à suspendre nos procès, nos activités, nos débats et conversations sans nous en étonner plus que ça.

Il nous resterait à nous demander si l'expression “l'affaire est dans le sac” aurait elle aussi quelque rapport avec les suspensions juridiques sus-évoquées. Mais il se trouve que l'heure du déjeuner approche, et qu'il y a tout de même des priorités dans l'existence qui ne sauraient être négligées sans conséquences plus où moins fâcheuses.

C'est pourquoi je m'en vas suspendre ce billet.



 

mercredi 11 décembre 2024

Une conférence spatialement engeôleuse


 Je sens que je vais m'en vouloir longtemps d'avoir manquer cette conférence essentielle, majeure, primordiale, bouleversante, radicale :

Littératures carcérale : le care dans les espaces d'enfermement ?

Passons sur la faute d'accord — une seconde de distraction est toujours possible — et l'emploi d'un mot étranger imbitable en francais. Mais suis-je seul à trouver d'un cynisme répugnant la juxtaposition de ces deux mots, “espace” et “enfermement”, vis-à-vis de ceux qui, justement, sont avant tout privés d'espace en raison même de leur enfermement ? 

Et de même qu'être passé de l'état d'infirme à celui de personne-en-situation-de-handicap n'améliore en rien la vie quotidienne de l'aveugle ni du cul-de-jatte, de même je doute que les taulards trouvent plus riante leur prison anoblie en espace d'enfermement. 

Même avec une louche de care dans la gamelle.

mercredi 4 décembre 2024

Tout est au duc ou Les mémoires interrompus


 Je viens de tirer d'une très longue léthargie le premier tome des Mémoires du duc de Saint-Simon, Louis de Rouvroy pour les intimes : voilà une grosse quarantaine d'années qu'il est en ma possession, et il ne… Mais je sens qu'il me faut reprendre toute l'affaire depuis le début.

En 1975, tricentenaire de la naissance du vidame de Chartres et futur duc de Saint-Simon, une édition reprenant celle de Boislisle — elle-même mise en chantier peu après le bicentenaire de la dite naissance — avait été proposée à la convoitise des saint-simoniens frustrés ; au nombre desquels je n'avais encore jamais songé à me compter. Édition en 25 très beaux volumes et limitée à 3000 collections, acquérables par souscription.

C'est monsieur Pain, le démiurge de la librairie “Variétés” de Neuilly, qui me proposa un jour, au début des années quatre-vingt, de devenir l'un de ces trois mille. Il me suffirait pour cela, me fit-il miroiter, d'acheter le premier volume, de payer en même temps les deux derniers, à titre de garantie, puis d'acquérir les 22 volumes intermédiaires à raison d'un par mois. Comme la proposition était parfaitement déraisonnable, notamment à cause du prix relativement élevé de ces livres — surtout en regard de mon salaire de l'époque —, je souscrivis sans hésiter et me retrouvai ainsi l'heureux possesseur, largement virtuel encore, de la collection n° 705. Le mois suivant, j'achetai le second tome, puis le troisième trente jours plus tard, puis le quatrième, puis...

Puis plus rien. Je me suis arrêté là. Pourquoi ? Disons, pour faire bref : par imbécilité de jeunesse ; ou par inconséquence d'ivrogne ; ou l'inverse. J'ai d'abord laissé passer un mois, pour cause de situation financière vraiment épineuse ; puis un deuxième, vu que je n'avais rien fait pour redresser entre-temps les comptes de la nation, puis encore un autre... et comme cela jusqu'à la fermeture définitive des “Variétés” de M. Pain. Sur le moment, je crois n'en avoir eu aucun regret, même pas celui des tomes 24 et 25 que j'avais payés d'avance et que je n'ai jamais eus. Ce n'est que beaucoup plus tard, tout récemment même, que, racontant cela à Michel Desgranges, il m'a fait sentir, sans même me dire rien, combien j'avais été léger et inconséquent et sot en cette affaire. Surtout lorsqu'il m'a renseigné sur les prix qu'atteignent aujourd'hui les collections complètes de cette édition du tricentenaire...

Cela dit, pourquoi regretter mon non-achat, dans la mesure où je n'ai même jamais lu les quatre volumes en ma possession, me contentant au fil des années de quelques “coups de sonde” assez paresseux dans ces fameux mémoires que, finalement je ne connais pas, ou si peu, ou si mal ? Même si, de chacune de ces plongées brèves, je ressortais ébloui par cette langue sancta-simonienne, tressautante, vibrante, obscure parfois mais crépitante d'éclairs ; une langue ne ressemblant à rien qu'à elle-même, et comme tombée d'une planète non encore découverte. Il n'empêche que, chaque fois, j'abandonnais très vite ce pauvre duc fertois.

Mais alors, mais alors… pourquoi en avoir rouvert le tome premier tout à l'heure ? Je serais infoutu de le dire. Ça fait partie, sans doute, de ces envies fugacissimes qui nous traversent régulièrement le cerveau sans s'y arrêter — mais qui parfois s'y arrêtent, la preuve.

Il reste maintenant à espérer, pour les finances conjugales, que je ne me prenne pas d'une passion aussi dévorante que sénile pour Saint-Simon. Car alors, parvenu au bout des quatre volumes qui dorment dans la Case, il faudra bien que j'achète le reste. Oh ! Pas dans l'édition Boislisles du tricentenaire, non ! Je ne suis pas, ou plus, auto-munificent à ce point. Mais même en “simples” volumes de la Pléiade, ça risque de me coûter chaud...

Quel crétin il a été, quand j'y repense, ce jeune Didier Goux de 1982 ou 3 ! Il aurait pu penser à moi, quand même…

dimanche 1 décembre 2024

Plaine, ô mon immense plaine


 En novembre, nous fûmes soviétiques en diable.

dimanche 24 novembre 2024

La nécropole Léautaud


 Depuis deux ou trois semaines, je termine mes après-midi avec Paul Léautaud, c'est-à-dire avec son Journal littéraire, lecture qui se marie parfaitement avec la tombée du jour. Ce n'est pas ma première relecture, il s'en faut. Mais chaque fois, la surprise est intacte, de constater à quel point tout est encore intensément vivant dans ces presque sept mille pages bien tassées.

Le journal est vivant, mais que de morts on y croise ! Je ne parle pas des disparus de corps : ils le sont évidemment tous. Je parle des morts littéraires. De tous ces gens de lettres devenus armée des ombres. Certains sont encore vaguement connus de nom. D'autre même pas, qui n'existent plus que par un fil : celui, justement, qui les relie à ce journal léautaldien. Pourtant, tous ont écrit et publié ; ils ont eu des ambitions, se sont agités, poussés, autopromus ; ils ont obtenu des prix, des médailles, des prébendes, parfois même des ambassades. Et que reste-t-il d'eux ?

Lors de cette nouvelle relecture, j'ai pris une nouvelle habitude : chaque fois qu'apparaît entre les pages l'un de ces fantômes, je demande à Dame Ternette de me renseigner sur sa situation, de me fournir en quelque sorte ses états de service. Quatre fois sur cinq, sa réponse est un couperet : gloire et renom sont tombés en poussière, poussière elle-même invisible, et aucun des multiples livres de l'écrivain visé par ma recherche n'a été réédité depuis sa mort physique. Pas un. Parfois, on trouve tout de même certains de leurs ouvrages dans des éditions séculaires, comme cryogénisés dans l'une ou l'autre des nombreuses catacombes de l'occasion qui se sont creusées à notre époque. Mais qui pour les décongeler et les lire ?

C'est ainsi que ce journal, si vivant en lui-même, se met à prendre des allures de cimetière à gens de plume. Ses trois tomes sont des stèles et ses pages une nécropole. La nécropole Léautaud, du nom de son intuable gardien. Voici ce que j'en disais en 2015, lors d'une précédente relecture : 

Enchantement intact ! Chaque paragraphe y déborde de vie, le quartier de l'Odéon s'anime, les rues de Paris s'emplissent de cris, d'odeurs, du bruit des voitures à chevaux, des appels des marchands ; on croise Vallette et Gourmont, Rachilde et Van Bever, Charles-Louis Philippe ou Paul Valéry, Apollinaire et Carco, Gide, Gallimard et Paulhan ; eux aussi vivent leur existence à pleine force ; un monde entier, géographiquement restreint certes, sort tout bruissant de ces pages, donnant l'impression au lecteur qu'il lui suffirait de quitter son fauteuil et de faire un pas en avant pour y pénétrer physiquement et sans retour. 


Et puis, bien sûr, il y a Léautaud lui-même, courtois et emporté, sarcastique et timide, provocateur fleur bleue (comme il me haïrait pour le traiter ainsi !), vivant, grognant, riant, écrivant pour se demander s'il doit écrire, s'examinant sans complaisance, se soupesant au juste poids, uniquement préoccupé de soi mais ne laissant rien échapper du monde alentour, tiraillé entre la femme de chair qui l'encombre et les filles fantômes qu'il ne cesse de ramener du passé pour soupirer après elles ; Léautaud irritant et touchant, Léautaud écrivain de belle race, Léautaud gentilhomme égaré dans son siècle comme il l'aurait été en d'autres.
 
Car il y a tout de même, en effet, d'autres encore-vivants que l'auteur, dans ce journal ; et qui, parfois, vivent davantage ici que dans leurs propres œuvres. Contradictoire ? Mais ce journal vit en grande partie de ses contradictions, c'est peut-être la plus précieuse partie de son charme !

J'avais en tête encore d'autres choses à noter ici ; des choses essentielles, évidemment, comme toutes celles que finalement on n'écrit pas. Mais voici qu'approche l'heure d'aller nourrir le chien. Et s'il y a une personne qui ne me pardonnerait pas le moindre retard de gamelle, la plus courte rétention de croquettes, c'est bien Léautaud.

jeudi 21 novembre 2024

La yourte au chat


 Autant l'avouer : quand Catherine a fait l'acquisition de cette espèce d'abri pour félins sans-papiers, j'étais un peu sceptique quant à son attrait sur Petit Loup. Comme pour me donner raison, il l'a d'abord ostensiblement négligé, en ressortant en toute hâte dès que Catherine l'y installait, dédaignant ostensiblement les pièges qu'elle ourdissait pour l'y attirer.

Finalement, sur un coup de tête dont il serait vain de chercher à déterminer les puissants ressorts, le chat a décidé que cette sorte de yourte mongole serait dorénavant à lui, chez lui, et il est allé s'y installer sans que l'on ait besoin de l'en prier.

C'est moi qui ai décidé que ce cocon pelucheux serait une yourte. J'ai bien fait : depuis neuf heures ce matin, il neige sur le Plessis ; assez dru, même s'il serait sans doute exagéré de parler de “peaux de lapins”. Disons des peaux de hamsters et n'en parlons plus. En tout cas, ce n'est pas ce temps ouaté qui risque d'inciter Petit Loup à mettre le museau dehors.

mercredi 13 novembre 2024

Un dernier écho, puis le silence


 J'ai bien fait d'ouvrir La Fin de l'homme rouge de Svetlana Alexievitch juste après en avoir fini avec Les Chuchoteurs d'Orlando Figes : s'ils sont très différents de conception et d'écriture, ces deux livres remarquables ressortissent malgré tout au même genre, que j'appellerai faute de mieux la “littérature de temoignage(s)”. 

Il s'agit, dans les deux cas, d'aller au devant de ces fameuses et difficilement saisissables “vraies gens”, afin de les faire parler d'eux-mêmes avant qu'ils ne disparaissent, de tenter de comprendre quel regard ils portent sur leur propre vie et sur l'époque où le hasard les a fait naître. De plus, il se trouve que les deux livres se font plus ou moins suite chronologiquement, celui de Figes couvrant la période allant du coup d'État léniniste jusqu'au “dégel” khrouchtchevien, tandis que celui de Mme Alexievitch débute avec l'arrivée au pouvoir de Gorbatchev, mais enrichi par de nombreux “coups de sonde” dans la préhistoire brejnévienne, voire stalinienne.

Enfin, ces deux livres “soviétiques” peuvent également être rattachés à celui de Daniel Mendelsohn, Les Disparus, qui, lui aussi, ô combien, était une sorte de corps à corps avec la mémoire des encore vivants et l'ombre ténue mais tenace des sacrifiés.

lundi 11 novembre 2024

Pensées impies


  Je me demandais tout à l'heure pourquoi le 11 novembre continuait à être jour férié, alors qu'il ne reste aucun ancien combattant vivant de la Première Guerre, et ce depuis déjà quelques années. À qui rend-on désormais hommage ? On me dira qu'il est bon, pour l'édification de nos chères têtes crépues, de perpétuer le souvenir de bla bla bla. Certes. Mais, à ce compte-là, pourquoi ne pas décréter férié le 27 juillet en mémoire de Bouvines, le 14 septembre pour commémorer Marignan, et ainsi de suite ?

La question, d'ailleurs, ne devrait pas tarder à se poser aussi pour la Seconde Guerre, les plus jeunes de ses rares anciens combattants survivants — deux ou trois mille à peine — devant désormais frôler le centenariat. D'autant plus que, à la victoire finale contre l'Allemagne nazie, la France n'a pris qu'une part infime, en dépit des gesticulations d'un de Gaulle.

On viendra m'objecter que l'on persiste bien à ne point travailler le 25 décembre, afin de célébrer une naissance s'étant produite il y a plus de deux millénaires. Mais quand toutes les raisons de célébrer Noël viendraient à s'évanouir, il en resterait toujours au moins une, et non des moins agissantes : celle d'emmerder jusqu'à la gauche nos islamolâtres-sous-X.

Plaisir qui, à l'instar du Paris des âges anciens, vaut bien une messe.

vendredi 8 novembre 2024

L'Amérique en trans


 Les inondations espagnoles sont un aimable pipi de chat, à côté du raz-de-marée à mèche blonde qui a déjà commencé à ravager l'Amérique. Il faut s'attendre à du pogrom et du meurtre de masse comme s'il en neigeait. Déjà, désespérément plus lucides que vous et moi, certains s'y préparent, en tirant toutes les sonnettes d'alarme leur passant à portée de phalanges. Ainsi, tel ravagé-sous-X :

« si vous ne suivez pas beaucoup de personnes trans, sachez que nous on a passé la journée à voir les trans américain-es de notre tl se demander s'iels avaient d'autre choix que de détransitionner ou se tuer. c'est là qu'on est. »

Je ne suis pas trop expert en détransitionnement, je le reconnais. Mais, pour ce qui est de se tuer, c'est parfaitement inutile : chacun sait bien que, dès le 21 janvier de l'année qui menace — ou à la rigueur le 22 si le 21 tombe un dimanche — L'Attila-à-la-houppe va envoyer ses armées dans toutes les villes américaines afin qu'elles massacrent tous les dégenrés à la mitrailleuse lourde. En incendiant au passage toutes les officines avortifères.

C'est pour tenter de s'armer contre ces horreurs se profilant que l'université de Harvard, comme me le signalait il y a un instant un mien et jubilant ami, vient de décider la suspension de certains cours, afin de permettre à ses étudiant.es de surmonter leur traumatisme électoral.

J'ai peur que la mesure ne suffise point. Et je sais bien que, si j'étais moi-même étudiant à Harvard en ces temps de cauchemar, je songerais sérieusement à me désétudiantiser dare-dare. Je n'hésite pas à le proclamer à son de trompe.

C'est là qu'on est.

vendredi 1 novembre 2024

De divers voyages vers l'Est

Daniel Mendelsohn, 1960 — 20..

 Cet homme nous aura beaucoup promenés en octobre.

dimanche 27 octobre 2024

Préparez vos mouchoirs !

 

Catherine a beau disposer à l'envers ses boîtes de kleenex, Petit Loup a très vite compris qu'il était facile de les retourner d'un coup de patte pour, ensuite, se livrer à sa passion dominante : en extraire un voire plusieurs tire-jus et les emporter entre ses mâchoires pour aller les déchiqueter un peu partout dans la maison.

C'est sans doute pour cela que j'ai moins la cote que Catherine auprès de lui : je n'utilise que des mouchoirs en tissu…

mercredi 16 octobre 2024

Tempête sous un crâne approximatif

Jacob Wassermann (1873 — 1934), écrivain ostracisé.
 

Voilà ce qui arrive, quand on prétend faire des économies de bouts de chandelles, dont on pourrait, en outre, se dispenser sans la moindre douleur budgétaire. Sur l'amicale incitation de Me Rosalie, experte en bizarreries (voir ma blogoliste, à gauche), j'ai acheté récemment L'Affaire Maurizius de Jacob Wassermann, écrivain juif allemand dont j'ignorais — honte sur moi pour sept générations — jusqu'à l'existence.

J'étais fort satisfait d'avoir trouvé un exemplaire du roman pour une somme ridicule, deux ou trois euros : quelle bonne affaire je réalisais là ! quelles savoureuses et longues heures de lecture pour le prix de deux ou trois baguettes, même pas “tradition” !

Las… Ce que j'ai reçu — j'aurais pu et dû m'en aviser au moment de la commande —, c'est un livre de poche aux pages jaunies par les années, le volume étant sorti des presses à peu près dans le temps où, résigné, fataliste, je quittais les entrailles de ma mère ; et les caractères en étaient si minuscules et tassés qu'après une soixantaine de pages péniblement lues, j'ai bien dû m'avouer vaincu et jeter l'éponge — ou plutôt le livre.

Il ne me reste, asteure, qu'une alternative : racheter le roman de Herr Wassermann, cet écrivain que je viens de méchamment ostraciser, stigmatiser, invisibiliser, tout ce qu'on voudra, par le truchement de la poubelle jaune — jaune comme l'étoile que sa mort judicieusement précoce l'a empêché de porter —, dans une édition meilleure, et donc probablement plus coûteuse ; ou bien renoncer à sa lecture.

Au moment de cliquer sur “publier”, aucune décision irréversible n'a encore été prise...

samedi 12 octobre 2024

Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau

 

Parlant des millions de morts provoquées tant par Hitler que par Staline et Pol Pot, Daniel Mendelsohn évoque vers la fin de son extraordinaire livre (1) “les pensées qui ne seront jamais pensées, les découvertes qui ne seront jamais faites, l'art qui ne sera jamais créé”.

Pour l'art et les pensées, nous sommes d'accord. Mais je crois qu'il se trompe pour ce qui est des “découvertes” ; lesquelles seront, elles, nécesssairement faites ultérieurement par quelqu'un d'autre. Car on ne peut découvrir que ce qui est pré-existant. L'objet d'une découverte est toujours déjà là, comme dirait l'autre. 

Ainsi, avant même la naissance d'Einstein, et depuis la plus haute Antiquité, l'énergie de masse était déjà égale au produit de cette masse dans un référentiel par le carré de la vitesse de la lumière dans le vide. Et, donc, si Albert était malencontreusement tombé dans le Danube, ou la Blau, ou l'Iller vers 1885, par exemple, un autre physicien aurait fini par établir que E vaut MC2, et vice-versa. 

En revanche, Rembrandt succombant à une quelconque fièvre puerpérale à cause de l'humidité malsaine des canaux amstellodamois, personne, jamais, n'aurait peint la Ronde de nuit. Ce qui aurait été une perte sèche pour le Rijksmuseum. 

De même, si le petit Marcel s'était étouffé avec sa madeleine en mangeant comme un goinfre, nul n'aurait, à sa place, écrit À la recherche du temps perdu — et les boulangers-pâtissiers d'Illiers (qui ne serait pas devenu Illiers-Combray en 1971) ne pourraient que pleurer leur manque à gagner.

À moins qu'ils ne se soient décidés à vendre des macarons.

(1) Daniel Mendelsohn, Les Disparus, Flammarion, 650 p.

samedi 5 octobre 2024

Petit billet franchement librairophobe


 Il n'empêche : si l'on m'avait dit, il y a seulement une quinzaine d'années, qu'un jour j'achèterais la plupart de mes livres à une société allemande par l'intermédiaire d'une entreprise japonaise, et tout ça sans même soulever le cul de mon fauteuil, je crois que j'aurais eu un certain mal à le croire.

D'un autre côté, je suis plutôt content de ne plus rapporter le moindre liard aux “petits libraires” qui, de plus en plus — mais je sais qu'il subsiste d'héroïques exceptions —, se comportent comme de minuscules idéologues à la mords-moi-la-nouille, prétendant décider à la place de leurs malheureux clients de ce qu'ils peuvent lire et de ce qu'ils doivent fuir avec des moues de dégoût, des livres fréquentables et de ceux qui mériteraient le bûcher ou, à défaut, le plus épais et gluant silence : qu'ils crèvent.

Vivent Herr Momox et Rakuten-san, bon sang !

mardi 1 octobre 2024

Septembre, mois judéo-centré

 


 En septembre, les Juifs ont envahi le Plessis-Hébert  

comme une vulgaire bande de Gaza…

vendredi 27 septembre 2024

Surtout, ne dites rien à GdV !

Allant faire quelques emplettes tout à l'heure, nous avons croisé, au bas de la côte de la déchèterie, un camion qui arborait sur ses flancs l'inscription suivante : SAS Trans — mais moins impressionnant que celui de la photo ci-dessus.

Je me suis dit in petto (je m'adresse régulièrement à moi-même de cette manière) que ce pauvre Gérard de Villiers était mort à temps pour ne pas connaître une pareille horreur : voir son fier et viril prince Malko Linge muter brusquement en une vulgaire Malka Lingette, probablement maquillée comme un char de gay pride, lui aurait à coup sûr causé un choc irrémédiable.

mercredi 25 septembre 2024

Mémoires d'outre-futur

 

Au printemps 1792, retour d'Amérique, Chateaubriand redécouvre Paris après un an d'absence. Voici le souvenir qu'il en gardait encore trente ans plus tard, écrivant ses Mémoires d'outre-tombe :

« Tandis que la tragédie rougissait les rues, la bergerie florissait au théâtre ; il n'était question que d'innocents pasteurs et de virginales pastourelles : champs, ruisseaux, prairies, moutons, colombes, âge d'or sous le chaume, revivaient aux soupirs du pipeau devant les roucoulants Tircis et les naïves tricoteuses qui sortaient du spectacle de la guillotine. [...] Les Conventionnels se piquaient d'être les plus bénins des hommes : bons pères, bons fils, bons maris, ils menaient promener les petits enfants ; ils leur servaient de nourrices ; ils pleuraient de tendresse à leurs simples jeux ; ils prenaient doucement dans leurs bras ces petits agneaux, afin de leur montrer le dada des charrettes qui conduisaient  les victimes au supplice. Ils chantaient la nature, la paix, la pitié, la bienfaisance, la candeur, les vertus domestiques ; ces béats de philanthropie faisaient couper le cou à leurs voisins avec une extrême sensibilité, pour le plus grand bonheur de l'espèce humaine. »

Comment un homme mort depuis près de deux cents ans a-t-il fait pour voir et comprendre aussi bien notre merveilleux début de XXIe siècle ? Quel est ce prodige ?
 
Car enfin, je ne rêve pas : on les rencontre un peu partout, ces tricoteuses qui, dames de charité durant le jour, réclament à grands cris le couperet virilicide dès qu'elles retrouvent leur clavier vespéral.
 
Ils sont à chaque carrefour, ces “plus bénins des hommes”, déconstruits à s'en pisser parmi, heureux d'être transformés en nourrice, s'attendrissant à toute niaiserie, mais qui, à la moindre moquerie, au plus petit sourire en coin, exigent envers l'insolent “le bâillon pour la bouche et pour la main le clou”.
 
Et ce sont bien ceux-là, non ?, que le bonheur futur de l'espèce humaine, dont ils sont certains d'être les bâtisseurs, fait éructer de menaces et baver d'anathèmes.
 
Enfin, quelle peut être cette diable d'époque où le sang coule dans les rues, tandis que s'étale sur les scènes subventionnées et les écrans désertés le doucereux catéchisme d'une fraternité d'autant plus contrainte qu'elle est plus bêlante ?
 
 

vendredi 20 septembre 2024

Le Nazi et le Barbier

Edgar Hilsenrath, 1926 — 2018.

 Malgré ce que le béret pourrait incliner à croire, Edgar Hilsenrath n'était nullement français mais allemand ; juif de surcroît et, durant un temps, pensionnaire obligé de divers ghettos. Ce fut aussi un écrivain, ce qui explique qu'il resurgisse ici.

Très curieux roman que Le Nazi et le Barbier, où le macabre et le burlesque sont intimement liés, où la farce et l'horrible forment un mélange parfait, mais où l'insupportable est tempéré par l'exagération volontaire. C'est ainsi que le narrateur se fait enculer par l'amant de sa mère — lequel est doté d'une bite énorme — alors qu'il est âgé d'à peine une semaine. Plus loin, on rencontre une quinquagénaire allemande, affligée d'une jambe de bois, que les Russes, au moment de la prise de Berlin en 1945, ont violée 59 fois.

Ce narrateur, Max Schultz, n'est pas qu'une victime, loin s'en faut. Fils d'une putain aryenne “de souche”, on le voit s'engager dans la SS et devenir exterminateur dans un camp de la mort, où il massacre sans hésiter plus que cela Itzig Finkelstein, son ami d'enfance, juif indiscutable mais au physique de parfait aryen, tandis que son bourreau, lui, ressemble par une incompréhensible ironie génétique à une caricature de youpin publiée dans le Völkischer Beobachter.

Ce faciès outrancièrement typé va être sa chance ; ou, disons, sa planche de salut : en 45, à l'écroulement de ce Reich qu'il a servi avec zèle et conscience, Max Schulz endosse l'identité de son ami tué par ses soins, après s'être fait déprépucer par un médecin complaisant, un ex-nazi compréhensif. Devenu juif par ce tour de passe-passe, il choisit fort logiquement d'émigrer en Palestine, où il  reprend son premier métier, coiffeur, et devient un intransigeant sioniste. La suite ? La fin ? Je ne sais pas : il m'en reste à lire.

Si j'ai écrit plus haut les mots “bite”, “enculer” et “youpin”, ce n'est pas par puéril désir de choquer les prudes ni les antiracistes de profession, mais parce que Hilsenrath lui-même manie une langue sans périphrase ni litote, une langue souvent verte et roide, qui tressaute et rebondit, un peu à l'image de son effrayant et pitoyable “héros”. Il y a, dans ces quatre cents et quelques pages, un peu de Rabelais et pas mal de Père Ubu : on s'y amuse beaucoup.

Mais enfin, il faut admettre que c'est plutôt une boisson d'homme.

jeudi 19 septembre 2024

Recette de la pintade au chat


Prenez deux bestioles de plusieurs livres.

Une fois que vous avez les ingrédients de base, 

le plus dur est fait.

Pour les proportions et les temps de cuisson… 

débrouillez-vous.

 

mercredi 18 septembre 2024

Loin d'où ?

 Claudio Magris a 85 ans, ce qui prouve bien que le temps passe, contrairement à ce que voudraient nous faire croire certains rêveurs pernicieux. De plus, il est italien, ce qui constitue un second motif de se réjouir. De lui, je ne connais qu'un livre, lu deux fois avec le même plaisir : Danube. Il s'agit d'une promenade ; ou d'un voyage ; ou d'une expédition, si l'on ne craint pas les mots qui ronflent un peu. L'important, est que nul autre que Magris, ce grand amoureux et connaisseur de la Mitteleuropa, ne nous sert de guide.

On tourne la première page pas très loin de Fribourg-en-Brisgau, à Donauschingen précisément, là que sort de terre la source du fleuve éponyme (et où je me souviens d'être allé avec mes parents, quelque part dans les années soixante), et quand on referme la dernière, on est au bord de la Mer Noire. Entre les deux, on a contemplé des paysages, on est entré dans des maisons, masures ou palais, on a découvert des peuplades, leur histoire et leurs histoires, on a goûté des cuisines locales. On a aussi, chemin faisant, fait la révérence devant Goethe, salué prudemment Kafka, adressé un petit signe fraternel à Joseph Roth puis à Élias Canetti, pris un verre ou deux avec le trio des roumains francisés : Mircéa Éliade, Panaït Istrati et Cioran. On n'a pas perdu son temps, à avaler ainsi les kilomètres ; ou, plutôt, on l'a perdu de la meilleure et plus agréable façon qui puisse être.

Revenu sur terre, je pensais en être quitte avec Claudio Magris.

Et voilà que, ce matin, m'étant plus ou moins perdu dans un lacis de chemins qui bifurquent, je me suis retrouvé à lire sa fiche ouiqui. Et que découvris-je ? Que mon Triestin — terroir qu'il possède en commun avec le merveilleux Italo Svevo que j'évoquais ici même il y a six ans — avait, à l'aube des années soixante-dix, consacré tout un livre à ce même Joseph Roth que l'on vient de laisser sur les bords du Danube, et à qui j'ai consacré plusieurs billets, que l'on retrouvera en tapant son nom dans la petite fenêtre idoine (juste à votre gauche, en levant un peu les yeux…).

Le titre de cet essai de jeunesse est celui que j'ai choisi à mon tour pour ce billet. Le sous-titre est : Joseph Roth et la tradition juive-orientale. Sortant de deux semaines passées dans la compagnie d'Isaac Bashevis Singer (lui aussi “chroniqué” dans ce blog), commander ce livre était évidemment un excellent moyen de ne pas quitter encore la dite tradition, qui exerce tant d'attraits sur ma goyesque personne.

Commande qui fut aussitôt passée.

mardi 17 septembre 2024

Y a-t-il un surineur zen dans la salle ?


 Quelque part en France, donc, un homme de 41 ans a, le week-end dernier, je ne sais déjà plus où, poignardé sa femme et ses deux filles. Le Parisien parle d'un “coup de folie”, ce que c'est à l'évidence. Mais une certaine Marianne Maximi, députée LFI, ne l'entend pas de cette oreille, et s'indigne sous X :

« Ce n'est pas un “coup de folie” mais un féminicide et de multiples infanticides. Mal nommer ces violences, c'est les réduire à des faits divers. Et en invisibiliser l'origine [...]. »

Sa première phrase est idiote, en ceci qu'elle ne dit absolument rien : des mots alignés machinalement, comme on est agité d'un tic nerveux irrépressible. Le fait que les victimes soient une femme et des enfants (les siens en plus !) n'exclue nullement que cet homme ait été pris d'un coup de folie : ce n'est pas l'un ou l'autre. Au contraire : on ne voit pas très bien comment notre manieur de lame aurait pu se livrer à une telle boucherie “familiale” en restant maître de lui-même et parfaitement serein : un genre de surineur zen, en quelque sorte.

Quant à la seconde phrase de notre insoumise en surchauffe, elle appellerait plutôt le rire sarcastique, si on avait l'esprit au sarcasme, ce qu'à Dieu ne plaise. Car “mal nommer les violences”, les “réduire à des faits divers” et en “invisibiliser l'origine”, c'est précisément ce que les gens de sa sorte, les chevaliers de la Justice et les grandes prêtresses du Bien, s'empressent de faire chaque fois qu'un allogène d'outre-Méditerranée égorge un passant ou en écrase quatre ou cinq d'un coup au volant d'une camionnette d'emprunt, en braillant Allah Akhbar ! Là, pour Mme Maximi et ses pareils, il s'agit bel et bien d'invisibiliser l'origine le plus vite et le plus complètement possible. Ils sont alors les premiers à brandir le “coup de folie” multifonctions et à pratiquer une réduction expresse au fait divers.

Mais le coup-de-folie est un outil qu'ils ont préempté depuis déjà jolie lurette, et il ferait beau voir que d'autres qu'eux s'avisassent de s'en servir !

jeudi 12 septembre 2024

Revenons à l'essentiel…

Petit Loup sur son pouf : un mois et demi d'existence…

 Non, parce que ça va un moment, les billets consacrés aux malfaisants laïques ou aux monstres cathos !

Le chat lui-même, malgré son âge tendre, semble se demander quel petit démon pervers a bien pu me pousser, ces jours derniers, à parler des deux bipèdes en question.

Je n'ai aucune réponse convaincante à lui fournir.

mardi 10 septembre 2024

Entre les dents, la soutane, Monsieur l'abbé !


 Je trouve tout à fait réjouissante la récente et brusque mutation de l'abbé Pierre, passant du statut de saint auréolé, ou quasi, à celui de pustuleux monstre ; d'un coup, sans passer par la case purgatoire. De ce fait, par ce “saut qualitatif”, il se retrouve tout à fait digne d'occuper une place d'honneur dans un roman de Sade — et donc d'entrer dans la Pléiade, ce qui n'est pas donné à tout le monde. 

J'imagine par ailleurs la frustration rageuse des Justine modernes, nos metooffettes à l'infortunée vertu, leur victime ayant eu la diabolique habileté de mourir avant qu'elles ne puissent sortir les griffes. Évidemment, il y aurait toujours la ressource de déterrer le cadavre délictueux et de lui arracher publiquement ce qu'il peut lui rester de gonades, lors d'une grande cérémonie expiatoire, éco-responsable et inclusive, avant de le faire passer par les onze mille verges. 

Malheureusement, ce pourrait être mal perçu par quelques dizaines de millions d'attardés moraux, ces réfractaires de la pureté, ces handicapés de l'avenir radieux, pas encore tout à fait prêts pour applaudir aux ravages du Bien absolu.