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Remarque liminaire : je ne sais pas qui est ce garçon (avachi sur l'escalier menant à mon blog), je ne l'ai jamais entendu, ne souhaite pas que telle expérience m'échoie, ne l'écouterai sans doute jamais. En vérité, pour les lambeaux de vers de mirliton tombés de sa plume que j'ai pu lire çà ou là, il me semble à la lettre ne rien dire – comme le font la plupart de ses camarades chanteurs. En revanche, les gens qui parlent d'Orelsan
ad nauseam depuis des semaines et des mois me paraissent singulièrement bavards sur eux-mêmes. L'affaire devient donc intéressante.
Je ne m'attarderai pas sur l'entrée en francofanfare de l'inénarrable Ségolène dans cette affaire. Que l'on puisse s'étonner d'une quelconque attitude moralo-répressive venant de cette terrifiante greluche, voilà ce qui, moi, me surprend. Passons-la par pertes et profits comme l'histoire contemporaine, dans sa sagesse, l'a déjà fait.
Je vois deux axes, deux pistes dans cette affaire Orelsan, chacune illustrée par sa troupe de blogueurs – certains jouant les transfuges sans même s'en apercevoir, par faute de neurones ou manque d'habitude de les utiliser. Le moins que l'on puisse dire est que ce garçon
cristalise un max, si l'on veut bien m'accorder le relâché de l'expression.
Il y a la piste “bouc émissaire”, assez correctement illustrée aujourd'hui par le camarade
Dagrouik (que je salue au passage). Le titre de son billet dit tout, dévoile les intentions cachées :
« Orelsan, aussi homophobe ». En effet, depuis un moment, on sentait que ça manquait ; que le garçon n'était pas complet, pas fini d'habiller-pour-l'hiver. Être
gynophobe (je préfère ça à “misogyne”, plus dans l'air du temps, voyez...), c'était déjà bien, pour bricoler un petit monstre, mais il lui fallait une dimension supplémentaire : dans le cas d'un bouc, on ne charge jamais assez la mule, si je puis dire – Dagrouik s'en est vaillamment chargé, on peut le remercier. On ne serait pas étonné que ce malheureux décervelé (je parle d'Orelsan...) accède dans les jours prochains au rang enviable d'islamophobe, de judéophobe (la
bouc-émissairisation ne craint pas la contradiction amusante : c'est un de ses signes distinctifs), voire de crypto-pédophile.
Dans son long billet, tout émaillé de sottises que je n'ai ni le courage ni le temps de relever ce soir (mais le lien ci-avant n'est pas fait pour les chiens), Dagrouik lâche cette perle magnifique, qui dit tout (pas sur Orelsan, sur lui-même) :
Peut-on faire confiance à un con comme lui pour éduquer les gens par la chanson ? [J'ai rectifié la syntaxe originale.] On apprend donc, au passage, que la chanson a été inventée pour
éduquer les gens (ce qui surprendrait beaucoup Charles Trenet, je pense). Et donc, forcément, les éduquer
dans le bon sens, dans le sens de l'histoire, dans le sens de Dagrouik et consort. Comme Orelsan ne le fait pas – ni n'y prétend, à ma connaissance –, on va donc en faire un monstre et empiler sur sa tête toutes les
---phobies qu'on pourra trouver, et Dieu sait s'il en pousse de nos jours. Ça lui apprendra à ne pas éduquer les gens, ou au moins – autre reproche du camarade – à ne pas préciser qu'il s'agit de deuxième, troisième, quatrième degré.
Car la chanson doit être
morale. L'art doit être
moral. La parole doit être
morale. Tout doit être
moral. Et il est bien naturel que Donatien Alphonse François de Sade soit enfermé à Charenton (actuellement Saint-Maurice), ça lui apprendra : enfermé pour défaut de signalisation de troisième degré. C'est précisément là que notre piste “bouc émissaire” rejoint l'autre, et que Dagrouik prend la queue de cortège de nos amies féministes (de
certaines de nos amies : j'en connais qui renâclent un peu à crier haro sur ce baudet-là...).
Là, on arrive dans le lourd. Car si les palinodies de Dagrouik amusent plus qu'autre chose, parce que ne débouchant finalement sur rien (il y a beau temps que les boucs émissaires ont perdu leur efficacité de résolution violente), nos féministes sont moins folkloriques, moins
poum-poum-tralala-pride : ce qu'elles visent ce sont les marches du Palais de Justice. Elles veulent faire taire ce petit crétin boutonneux, elle n'ont pas honte de le dire. Et si elles n'ont pas honte, c'est parce que leur cause est juste : Orelsan bafoue la dignité des femmes, elles se battent pour la dignité – qui pourraient leur en vouloir ? Ne pas être d'accord ? Orelsan traite les femmes comme des chiennes, elles refusent d'être considérées comme des chiennes (sauf “de garde”, mais c'est un détail) : qui ne s'embarquerait derrière cette noble bannière, cette oriflamme incontestable ? La cause des femmes est juste et bonne, elle mérite d'être défendue, on ne peut tolérer qu'elle soit salie. Fort bien.
Il fut une époque où l'Église et la Famille tenaient le rôle enviable de causes nobles. Où s'en prendre à elles revenait à exhiber sa vilenie en plein jour. Pis : à humilier des centaines de milliers de gens dans ce qu'ils avaient de plus précieux, de plus pur, de plus porteur d'avenir. C'est pourquoi l'on chargea le procureur Ernest Pinard de poursuivre et de condamner les Charles Baudelaire et les Gustave Flaubert qui, avec des ricanements insupportablement cynique, prenaient plaisir à piétiner ces valeurs partagées par tous – partagées parce que
vraies.
Et les ligues de vertus applaudirent bruyamment à la condamnation de Baudelaire ; et les ligues de vertu se désolèrent à juste titre qu'au nom de je ne sais quelle liberté de l'art, Flaubert échappât à l'infamie qu'il méritait. Et il y eut bien sûr des esprits fins et élevés pour noter que, au fond, toute cette affaire avait été une excellente publicité à leur dépravation morale – que l'on avait sanctifié les prospérités du vice.
Il n'aura manqué qu'un Dagrouik pour accuser Charles et Gustave d'homophobie : ils ne perdaient rien pour attendre.