jeudi 30 mai 2013

Ça commencerait comme une histoire de nains…


Tiago est un nain andalou. Il vit à Ubeda, où il est tour à tour, chaque jour, cireur de souliers, aide-coiffeur, garçon de ménage au couvent des Carmélites, rendeur de services en tous genres pour Mme Polentinos, la tenancière de l'hôtel de passe où il loge. En outre, il se rend tous les après-midis chez don Luis Fernandez de Los Cobos, vieil aristocrate aveugle à qui il lit le journal, et en particulier les comptes rendus tauromachiques ; pour complaire au vieillard, il lui invente des corridas imaginaires lorsque celles du journal ne sont pas propres à satisfaire ses marottes. Un jour, à la suite d'un événement particulier, il décide de rendre enfin visite à sa correspondante épistolière qu'il n'a jamais vue – et il part pour Lisbonne. Tout cela prend quelques semaines.

Art est un nain nord-américain, il vit à Chicago. Métis d'un noir et d'une Mexicaine, il est pianiste, comme Art Tatum qu'il révère et dont il porte le prénom. Il n'écoute jamais Lester Young ni Thelonious Monk, parce qu'ils lui font peur. Il déteste les chiens, mais aime beaucoup Wren, la jeune Chinoise fumeuse de joints qui travaille à l'Étoile de Siam, la gargote asiatique occupant le bas de son immeuble de brique, planté au milieu d'un terrain vague. Art est sur le point de sortir son premier disque, mais se fâche avec son producteur, avant de se rendre au Park Wyatt, où il doit accompagner une fille de famille qui enterre sa vie de chanteuse médiocre. Un jour, à la suite d'un événement particulier, il décide de rendre enfin visite à sa correspondante épistolière qu'il n'a jamais vue – et il part pour Lisbonne. Tout cela dure une journée.

Jacques est un nain de Gascogne. Contrefait, bossu, boiteux, sa description fait penser à Michel Petrucciani, sauf qu'il ne joue pas de piano contrairement à Art. Entre son père et sa mère, il porte tous le poids moral de sa propre disgrâce et se laisse traîner de lieux de pèlerinage consacrés en fontaines miraculeuses sans jamais protester. Après la mort de son père devenu alcoolique, il se fait lui-même alcoolique, au sein de la même bande de Gascons dont il devient une sorte de mascotte. Puis, renonçant à l'alcool, il prend le chemin de Compostelle : c'est Jacques le Minus – son surnom à l'école – claudiquant à la rencontre de Jacques le Majeur. Un jour, à la suite d'un événement particulier, il décide de rendre enfin visite à sa correspondante épistolière qu'il n'a jamais vue – et il part pour Lisbonne. Tout cela s'étale sur de nombreuses années.

En dehors de leur correspondante lisboète, ces trois nains n'ont aucun point de contact entre eux (même si, un jour, sur une plage des environs d'Arcachon, Jacques lit un roman de la Série noire se déroulant à Chicago). Quant à la correspondante, elle apparaît une fois dans chacun de ces trois chapitres, en une très courte annotation rédigée à la première personne, imprimée en italique – et c'est pour nous avertir que le temps n'est pas encore venu pour elle d'intervenir dans l'histoire.

Elle ne ne prend vraiment la parole que dans les toutes dernières pages de cette première partie, intitulée assez mystérieusement (mais en fait pas tant que ça) : Les Invités sont des fuyards. C'est pour nous présenter, brièvement, les quatre autres nains qui, d'un peu partout, s'apprêtent eux aussi à converger vers Lisbonne.

Et je suis arrêté là dans ma lecture de Mari-Barbola, second roman publié par Pierre Veilletet, écrivain bordelais dont j'ai commencé de parler hier. Et dont je suis, pour le moment, ébloui.

6 commentaires:

  1. Merci pour ce billet apéritif !

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    1. L'apéritif à neuf heures et demie ? Nicolas, sortez de ce corps !

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  2. Vous est-il déjà arrivé d'avoir, non pas une indigestion de lecture, mais comme une espèce de lassitude comblée... enfin, presque comblée, avec un petit grain d'insatisfaction et encore un désir d'autre chose, oui mais pour que ce soit aussi bien, il faudrait que ce soit légèrement mieux, sinon le principe de lecture s'émousse... On a lu deux ou trois excellents livres, on reste sur la lancée du dernier, on en a bien deux ou trois autres entamés, et aussi celui-ci sur lequel on piétine et on cale, alors que pourtant ou voudrait bien le finir, et aussi celui-là qu'on hésite à entamer, par manque d'appétit sans doute... Jusqu'à ce qu' arrive LE LIVRE APERITIF (pas le livre apéro, hein, cousin du roman de gare, semblable à ces apéros qui vous saoûlent traitreusement quand vous êtes à jeun ou vous indisposent quand vous avez encore des restes du Bourgogne de la veille dans le sang)
    Voilà qui vous confortera dans l'idée que la Bretonne peut être ivre avant dix heures du matin.
    Je trouve qu'en ce moment, vous manquez de folles exaltées qui vous balancent des tas de phrases emmêlées et stupides, aussi. Il faut de tout pour équilibrer un blog.

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    1. Cela m'arrive régulièrement. En général, comme vous le dites plus ou moins, si je vous ai bien lue, cela se manifeste par une multiplication des livres commencés et par une raréfaction des livres terminés. Le plus souvent, chez moi, ce sont les romans qui sont touchés par ce phénomène. L'une des solutions consiste à se plonger dans un livre d'histoire, un journal, une biographie, une correspondance, etc.

      Au sens où vous l'employez, il est possible en effet que Veilletet soit mon actuel apéritif.

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  3. C'est pas bientôt fini, là, de nous inciter à acheter de nouveaux livres, alors que la bibliothèque est encore pleine de livres à-moitié lus ou pas encore lus du tout ?

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    1. D'un autre côté, je vous propose 800 pages d'une prose superbe pour seulement vingt euros : de quoi vous plaignez-vous ?

      (Cela dit, je vous comprends…)

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.