jeudi 9 mai 2013

Sartre, un moderne d'arrière-garde ?


L'impression qui naît, après lecture des quatre-vingts premières pages de L'Age de raison, est celle d'un écrivain finalement moins éloigné qu'il ne l'aurait voulu d'un Roger Martin du Gard, d'un Romain Rolland, voire d'un François Mauriac, malgré l'éreintement de ce dernier auquel Sartre s'est livré dans le premier volume de ses Situations. Penser que les Chemins de la liberté arrivent plus de dix ans après Céline, trente après Proust, qu'ils sont contemporains des premiers essais littéraires de Nathalie Sarraute et du Murphy de Samuel Beckett permet sans doute de mieux comprendre pour quelle raison Sartre a eu si tôt fait d'abandonner le roman. Lorsque, dès 1951, Jacques Laurent s'amusait à établir un parallèle entre Bourget et lui (Paul et Jean-Paul), il ne cédait peut-être pas seulement à des exagérations polémiques. Mais, pour le savoir, il faudrait relire Paul Bourget ; et la vie est bien courte, en ce qu'il reste d'elle…

23 commentaires:

  1. Je suis trop jeune pour avoir connu Paul Bourget. Par contre, je connais bien Marcel Roissy.

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    1. C'est le Marcel qui a remplacé Marcel le Fiacre à la Comète et que vous appelez Marcel l'Avion ?

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  2. Robert Marchenoir9 mai 2013 à 23:47

    Attention, attention
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    Commentaire bas de gamme
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    Ne venez pas vous plaindre après
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    La maison n'assure aucun service après-vente
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    On voit bien qu'à l'époque, il n'y avait pas d'étagères Ikea.



    VOUS AVEZ PAYE
    AU REVOIR

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    1. Nous savons désormais que le mystérieux Marchenoir est un restaurateur belge : je communique immédiatement à Médiapart.

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    2. Mon bureau ressemble à celui de Sartre sans les pipes... Est-ce bon signe ?

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    3. ... pour le savoir il faudrait regarder sous le bureau, plutôt que dessus, si je puis me permettre cette remarque quelque peu triviale

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  3. Bien, vous nous livrez une intuition et vous nous laissez là, pognes dans les poches et bite au vent ? La suite bordel !

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    1. Eh ! oh ! laissez-moi le temps !

      De plus, ça ne va pas beaucoup progresser ces jours-ci : j'ai quatre livres sur Johnny à me farcir d'ici lundi…

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    2. Bon, je viens de commander Le Disciple de Bourget. Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour la clientèle…

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  4. Curieusement, je préfère lire vos commentaires de lecture sur Sartre, que Sartre lui-même, dont je n'ai jamais, jamais, été fan.

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    1. Normal : ils sont beaucoup plus brefs…

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    2. Je vous assure que ses lettres sont très bien, très vivantes, souvent drôles. Et les Carnets de la drôle de guerre sont passionnants également (si on saute les passages philosophiques, avec leurs en-soi, pour-soi, être-dans-le-monde et autres Mémère-dans-les-orties).

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    3. Les Carnets, je dois avoir ça dans un coin, si ma mémoire est bonne. A l'occasion...

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  5. La philosophie de Sartre est très intéressante, mais il faut en effet se farcir un jargon souvent pénible et inutile.
    Le plus simple est de lire le tout petit "L'existentialisme est un humanisme", que même des élèves de Terminale peuvent comprendre et qui résume avantageusement l'indigeste L'Etre et le Néant.

    On y découvre un Sartre athée, bien sûr, mais loin du gauchisme. Il rejette par exemple avec force l'idée de "morale laïque" chère au totalitaire Peillon (en se montrant d'accord avec Dostoïevski, qu'il cite : "Si Dieu n'existait pas, tout serait permis", sauf que Sartre considère que Dieu n'existe pas, et que tout n'est pas permis pour autant à celui qui veut vivre de façon "authentique"). On le voit également critiquer et même moquer l'humanisme classique, selon lequel l'homme est par définition un être formidable. Position catastrophique, pense-t-il, en ce qu'elle n'incite pas les hommes à se donner une valeur, à exister par leurs actes, puisqu'ils sont d'emblée des réussites, quoi qu'ils fassent. Sartre estime au contraire que seuls nos actions nous construisent ; c'est donc un fervent apologiste de l'action individuelle, de la mise en oeuvre de la liberté. Il s'oppose d'ailleurs explicitement à Zola et à ses excuses déterministes ("c'est pas de la faute des gentils délinquants, c'est parce que la société est méchante").

    On voit donc que Sartre n'a rien du penseur de gauche actuel. Ses engagements politico-médiatiques, tous à peu près lamentables, s'expliquent en grande partie, selon moi, par la volonté farouche de réussir, d'être célèbre, ce qui impliquait à l'époque d'être au moins un compagnon de route du communisme.

    Je crois qu'il est très dommage de ne lire que les romans, le théatre ou les souvenirs de Sartre, en négligeant sa philosophie, qui est comme l'argument et la clef de toute sa littérature.

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    1. À porter aussi au crédit de Sartre, me semble-t-il, son soutien constant à Israël (en tout cas son refus de le condamner), malgré les pressions de ses "amis" gauchistes dans les années 70.

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  6. Cher M. Goux,
    Je vous conseille vivement de lire "Entretiens avec Sartre (Grasset)", lecture qui pourrait bien modifier votre point de vue concernant les positions de Sartre vis à vis du conflit Israélo-Palestinien.

    C'est un livre de conversations menées de 1970 à 1974 entre un universitaire américain, John Gerassi, et Sartre, et qui a été publié en français en 2011.

    Interrogé sur les contradictions entre sa position et celle de la Gauche prolétarienne, Sartre répondait :

    « Nos positions ne sont pas si éloignées que ça. J’ai toujours été favorable à un Etat israélo-palestinien, au sein duquel tous seraient égaux. Le problème, c’est que la droite religieuse est trop puissante. Ils veulent un Etat juif, quel qu’il soit, avec cette connerie historique dont on a embrouillé leur constitution, ce qui bien sûr leur aliène non seulement tous les musulmans et tous les chrétiens mais également tous les Juifs laïques. Donc voilà, si on envisage les choses comme ça, je suis favorable à l’existence de deux Etats indépendants, égaux et libres. » Avant de préciser qu’Israël « asservit les Palestiniens, leur prend leurs terres, les empêche de vivre libres ».

    Concernant les opérations suicide et les kamikazes, Sartre affirme : « J’ai toujours soutenu la contre-terreur contre la terreur institutionnelle. Et j’ai toujours défini la terreur comme l’occupation, la saisie des terres, les arrestations arbitraires, ainsi de suite... » Une position proche de celle qu’a toujours défendue Nelson Mandela : « C’est toujours l’oppresseur, non l’opprimé, qui détermine la forme de la lutte. Si l’oppresseur utilise la violence, l’opprimé n’aura pas d’autre choix que de répondre par la violence. Dans notre cas, ce n’était qu’une forme de légitime défense. »

    Sartre critique ensuite Claude Lanzmann qui déclara, en plein milieu de la guerre du Vietnam, que si le président américain Lyndon B. Jonhson soutenait Israël, il crierait « Bravo, Johnson ! »

    Dans une autre partie du livre, le philosophe revient sur les Jeux olympiques de Munich de 1972 et la prise d’otages israéliens par un commando palestinien. « Les Palestiniens n’ont pas d’autre choix, faute d’armes, de défenseurs, que le recours au terrorisme. (...) L’acte de terreur commis à Munich, ai-je dit, se justifiait à deux niveaux : d’abord, parce que tous les athlètes israéliens aux Jeux olympiques étaient des soldats, et ensuite, parce qu’il s’agissait d’une action destinée à obtenir un échange de prisonniers. Quoiqu’il en soit, nous savons désormais que tous, Israéliens et Palestiniens, ont été tués par la police allemande. »

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    1. En effet, c'est du brutal ! Je me demande si mon souvenir de tout cela ne se référait pas plutôt aux d'autres entretiens, ceux avec Benny Levy. Mais, du coup, je ne suis plus sûr de rien…

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    2. Le livre de Gerassi est bourré d'erreurs chronologiques et factuelles, qui invitent à considérer avec beaucoup de précautions les propos que l'auteur prête à Sartre, et qui n'ont jamais été confirmés publiquement par ce dernier. Il ne fait aucun doute pour ma part que Sartre a été jusqu'à la fin un ami d’Israël.

      Si les propos que lui prête Gerassi sont authentiques, il resterait à expliquer pourquoi, trois ans avant sa mort, il accepte de recevoir (en novembre 76) le titre de docteur honoris causa à l’ambassade d’Israël à Paris, et pourquoi l'ambassadeur d’Israël a pu déclarer à cette occasion "qu'il n'avait aucune divergence avec Jean-Paul Sartre sur ses vues concernant le problème palestinien". On ne peut pas dire que Sartre courait après les honneurs, et encore moins à la fin de sa vie ; s'il a tout de même accepté ce titre-là, c'est sans doute parce qu'il avait pour lui une signification particulière. Cela dit, il est évident que Sartre a proféré beaucoup de conneries dans sa période mao, mais il n'est jamais revenu sur son amitié pour Israël.

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    3. Ah ! merci de ce commentaire, qui correspond exactement à ce dont je me souvenais des positions de Sartre sur la question!

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  7. Je ne suis effectivement pas loin de penser que Sartre n'a pas toujours été très ferme sur ses positions et il est vrai qu'il a été très influencé à une certaine époque par Benny Levy, qui était plus que sioniste, bien qu'ayant fait partie des courants communistes de l'époque, milieu dans lequel le sionisme était plutôt rare... Il est probable que le discours de Sartre ait été plus mesuré dans les échanges avec, ou en présence de, Benny Levy.

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