mercredi 29 mai 2013

Méfiez-vous tout de même un peu de la Pension des Nonnes


Encore une fois, merci à Denis Tillinac, pour avoir évoqué Pierre Veilletet dans sa dernière chronique, et l'avoir fait en des termes qui m'ont donné envie de faire venir jusqu'ici le volume de ses écrits complets édité par Arléa. Je viens de lire le texte qui ouvre le livre, et qui se trouve aussi inaugurer l'œuvre : La Pension des Nonnes. Court roman de soixante pages ? Plutôt longue nouvelle de soixante pages, centrée sur – non : construite autour d' – un Génois nommé Domenico, né 35 ans auparavant sur le port, où l'on n'est personne, et qui, à force de débrouillardises en tous genres, est parvenu à se hisser jusqu'aux dernières hauteurs de la ville, où l'on peut croire qu'on est devenu quelqu'un. Domenico a une maîtresse, bourgeoise “de souche”, elle. Au moment où débute le récit, elle tente de convaincre son amant – sinon en titre, du moins en durée : voilà six ans que dure leur affaire – de la rejoindre à Hambourg. Domenico se laisse entraîner plutôt que convaincre. Ce que Laura ni lui ne sait, c'est qu'il ne se rend pas à Hambourg pour la rejoindre, mais au contraire pour la perdre. Quant à lui-même, se perd-il ou se réinvente-t-il ? Dilution ou métamorphose ? Ce sera au lecteur d'en décider, ou de s'abandonner au flou et à une certaine langueur, comme Domenico le fait lui-même. À la dernière des soixante pages, si Domenico n'est certes pas devenu allemand, il a cessé à tout jamais d'être génois.

Dès l'entame de ce récit miroitant et comme étouffé, on sait que l'on est en présence d'un écrivain, par la distance juste que Veilletet installe entre lui et son personnage quasi unique : une bienveillance sans jugement, mais çà et là piquetée d'ironie – quelque chose comme ça. La langue est insinuante, discrète avec quelques minuscules éclats de cocasserie : langue de tweed et de cachemire. Et voyez le prodige : bien qu'il se perde, se dissolve, se transforme en quelqu'un d'autre dont nous et lui-même ignorons tout, Domenico existe indubitablement.


Pierre Veilletet est né le 8 octobre 1943. Il a été rédacteur en chef de Sud-Ouest et, horresco referens, a fondé une revue consacrée à la tauromachie. Il est bêtement mort en janvier dernier.

3 commentaires:

La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.