À l'instar de la plupart des véritables écrivains, Don DeLillo ne recule pas devant la cocasserie. La sienne est souvent grinçante, tout comme sait l'être celle maniée par Marcel Proust, dans un autre genre. Illustration par ce petit dialogue tiré de la première partie d'Outremonde (page 124 de l'édition Babel), entre deux amis quinquagénaires :
Brian se méfiait de sa famille. il adoptait la pose classique du père qui se plaint constamment de ses rejetons dépensiers et inconséquents, nous avons tous ce rôle à jouer, ça revient à une seconde langue, la lamentation facile du père, et Brian faisait des solos méprisants d'une grande vivacité, mais il renfermait aussi quelque chose de plus triste et de plus profond, le sentiment que c'étaient ses ennemis, des forces déchaînées sous son propre toit, prêtes à le dépouiller de sa dignité, une belle-fille, une fille et un fils, tous lycéens, et une épouse, disait-il, qui n'était plus réellement dans l'axe.
« Ce n'est pas le seul truc qu'elle a planté sur le corps.
– Laquelle ?
– Brittany.
– J'aime beaucoup Brittany. Sois gentil avec elle.
– Sois gentil avec elle. Écoute ça, elle porte un brassard, tu ne vas pas me croire – ils ont eu une journée de simulation de l'apartheid au lycée.
– Qu'est-ce que c'est que ça ?
– Ce que ça dit. Ils essaient de simuler la culture de l'apartheid. Une leçon pour les gosses. Ils portaient tous des brassards. On en avait un doré si on était dans la classe opprimée et rouge je crois si on était militaire et vert si on était l'élite. Brittany s'est portée volontaire pour la classe opprimée et maintenant elle ne veut plus retirer son brassard. La simulation officielle durait juste une journée, mais elle fait ça depuis des semaines maintenant. Personne d'autre ne le fait sauf elle. Elle restreint son accès à la cantine, dix minutes par jour. Elle n'emprunte que certains bus à certaines heures. Elle s'assoit dans une zone spéciale de la classe.
– Comment réagissent les autres ?
– Ils lui crachent dessus et ne lui parlent plus. »
On attend avec une excitation mêlée d'impatience le romancier français qui sera assez talentueux pour décrire avec la même drôlerie féroce les éléments les plus progressistes de la garderie institutionnelle redistribuant chaque matin les rôles de fascistes-Indiens et de résistants-cowboys, afin de rejouer sans fin la même pièce de leur voix tonitruante et mécanique, sous l'œil gentiment approbateur des pédagogues et des assistantes maternelles.
Brian se méfiait de sa famille. il adoptait la pose classique du père qui se plaint constamment de ses rejetons dépensiers et inconséquents, nous avons tous ce rôle à jouer, ça revient à une seconde langue, la lamentation facile du père, et Brian faisait des solos méprisants d'une grande vivacité, mais il renfermait aussi quelque chose de plus triste et de plus profond, le sentiment que c'étaient ses ennemis, des forces déchaînées sous son propre toit, prêtes à le dépouiller de sa dignité, une belle-fille, une fille et un fils, tous lycéens, et une épouse, disait-il, qui n'était plus réellement dans l'axe.
« Ce n'est pas le seul truc qu'elle a planté sur le corps.
– Laquelle ?
– Brittany.
– J'aime beaucoup Brittany. Sois gentil avec elle.
– Sois gentil avec elle. Écoute ça, elle porte un brassard, tu ne vas pas me croire – ils ont eu une journée de simulation de l'apartheid au lycée.
– Qu'est-ce que c'est que ça ?
– Ce que ça dit. Ils essaient de simuler la culture de l'apartheid. Une leçon pour les gosses. Ils portaient tous des brassards. On en avait un doré si on était dans la classe opprimée et rouge je crois si on était militaire et vert si on était l'élite. Brittany s'est portée volontaire pour la classe opprimée et maintenant elle ne veut plus retirer son brassard. La simulation officielle durait juste une journée, mais elle fait ça depuis des semaines maintenant. Personne d'autre ne le fait sauf elle. Elle restreint son accès à la cantine, dix minutes par jour. Elle n'emprunte que certains bus à certaines heures. Elle s'assoit dans une zone spéciale de la classe.
– Comment réagissent les autres ?
– Ils lui crachent dessus et ne lui parlent plus. »
On attend avec une excitation mêlée d'impatience le romancier français qui sera assez talentueux pour décrire avec la même drôlerie féroce les éléments les plus progressistes de la garderie institutionnelle redistribuant chaque matin les rôles de fascistes-Indiens et de résistants-cowboys, afin de rejouer sans fin la même pièce de leur voix tonitruante et mécanique, sous l'œil gentiment approbateur des pédagogues et des assistantes maternelles.
– Comment réagissent les autres ?
RépondreSupprimer– Ils lui crachent dessus et ne lui parlent plus.
-Comme quoi les autres ont également bien appris leur rôle....
Et lisez Libra...son plus grand roman!
RépondreSupprimerEt pourquoi ne seriez-vous pas cet écrivain talentueux ? La lecture de votre blog me fait très souvent espérer que vous publierez un jour un roman "hors collection" !
RépondreSupprimerFredi : oui, c'est l'effet cocassement pervers de cette “sensibilisation”.
RépondreSupprimerLes anonymes : j'ai déjà fait un billet afin d'expliquer pourquoi je ne répondais jamais aux anonymes ! Donc, si vous voulez qu'on fasse salon, il va vous falloir faire l'effort de vous trouver un pseudonyme – si possible pas trop con…
Pourquoi ne pas leur octroyer un pseudonyme, vous-même, comme vous l'avez fait avec moi ?
RépondreSupprimerJe suis sûre qu'ils en seraient heureux et flattés comme je l'ai été moi-même !
Et pourquoi ne seriez-vous pas cet écrivain talentueux ? La lecture de votre blog me fait très souvent espérer que vous publierez un jour un roman "hors collection" !
RépondreSupprimerMildred : putain, je deviens alzheimer ! je n'ai plus aucun souvenir de vous avoir baptisée…
RépondreSupprimerMichalon : parce que je ne suis pas écrivain, tout simplement, ainsi que le me tue à le dire.
En général, dans la blogosphère, ce sont mes ennemis qui me prétendent écrivain, mais c'est pour ajouter aussitôt raté ou encore aigri.
Et si, très sincèrement, je vous soutenais le contraire ? Vous avez des idées, du style... Arrêtez de vous sous-estimer et lancez-vous !
RépondreSupprimerAh mais vous pouvez toujours soutenir ! Le problème c'est que c'est moi qui écris – ou n'écris pas.
RépondreSupprimerJe crois cependant que vous vous trompez : j'écris correctement, ce qui est malheureusement le contraire d'écrire.
http://didiergouxbis.blogspot.com/2010/04/vol-au-dessus-dun-double-nid-de-blogo.html
RépondreSupprimerVoilà qui devrait vous rafraîchir la mémoire, et toutes mes condoléances pour l'alzheimer.
Je viens de regarder "Francesco" le très beau film de Liliana Cavani. Alors la "cocasserie" de votre Don DeLillo, malgré le respect qu'apparemment je lui dois, tombe complètement à plat.
RépondreSupprimerVous trouvez cela bon, littérairement parlant?
RépondreSupprimerAh c'est malin !
RépondreSupprimerMaintenant je vois Mildred sous les traits de l'infirmière démoniaque du Vol au dessus …
Carine,
RépondreSupprimerLe plus fort, c'est que je m'y vois aussi !
"fascistes-indiens" et "résistants-cowboys"!
RépondreSupprimerQuelle inversion des valeurs, digne d'un grand mâle blanc rétrograde tel que vous!
Mildred : merdalors ! j'avais tout oublié !
RépondreSupprimerJe suis toujours épaté par les gens qui savent mieux que moi se débrouiller de ce blog et s'y retrouver.
Le lien de Mildred…
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