L'Œuvre des mers, d'Eugène Nicole, est un livre fascinant. Composée de quatre parties, écrites entre 1983 et 2003, foisonnante de personnages, elle ne s'occupe finalement que d'un seul : Saint-Pierre-et-Miquelon, où l'auteur est né et a passé son enfance.
(Saint-Pierre est la petite île en bas de la photo. Au-dessus, on rencontre l'île de Langlade, reliée à celle de Miquelon par une sorte d'isthme artificiel appelé "la dune". Saint-Pierre compte 6500 habitants et Miquelon environ 300.)
Géographie minuscule, et donc universelle, L'Œuvre des mers est en outre un va-et-vient incessant entre différentes époques, et ce ressac temporel épouse celui de la mer, aussi dangereuse qu'indispensable à la vie des îliens. La composition du livre, l'écriture elle-même se plient aux nécessités de la géographie, et même à celles de la météorologie, thème sans cesse présent, tout au long. Une brume presque continuelle estompe les silhouettes, brouille les contours des multiples anecdotes enchevêtrées, les onirise. C'est un livre où la chaleur et le froid s'affrontent sans cesse, exactement comme le font le Gulf Stream et le courant du Labrador au large des côtes, créant précisément les brouillards tenaces. Mais le brouillard n'est pas l'ennemi. Il est attendu, espéré même, par Lucien et Clément, les deux frères de retour de leur exil volontaire. C'est lui qui unifie le tableau et fait que le poudroiement des anecdotes devient finalement l'Histoire, celle de tous.
Il faudrait aussi dire quelques mots sur l'effet de grande familiarité des lieux, que Nicole parvient à faire naître chez le lecteur, lequel n'a pourtant jamais mis les pieds à Saint-Pierre, pas plus qu'à Miquelon, ainsi que sur la poétique des noms propres (Le Cap des morts, la route d'Iphigénie, etc.) – mais j'ai la flemme de développer – qui sont évidemment une seule et même chose.
L'effet global est que ce bout-du-monde, recréé à distance, par la mémoire, en devient assez vite le centre : le reste de la planète perd de sa réalité, à mesure que Saint-Pierre acquiert la sienne.
Centre de ce centre, véritable nœud du livre, L'Œuvre-des-mers, le théâtre au rideau rouge, d'où sortent toues les magies et où reviennent tous les personnages. Y compris ce narrateur finalement assez proustien (Eugène Nicole enseigne la littérature française à l'université de New York, et il est un spécialiste de Proust), qui a en projet d'écrire un livre intitulé Juillet sans brumes. Car il y eut, nous dit-on, dans l'histoire de Saint-Pierre-et-Miquelon, un mois de juillet sans brumes – et on en parle encore.
(Saint-Pierre est la petite île en bas de la photo. Au-dessus, on rencontre l'île de Langlade, reliée à celle de Miquelon par une sorte d'isthme artificiel appelé "la dune". Saint-Pierre compte 6500 habitants et Miquelon environ 300.)
Géographie minuscule, et donc universelle, L'Œuvre des mers est en outre un va-et-vient incessant entre différentes époques, et ce ressac temporel épouse celui de la mer, aussi dangereuse qu'indispensable à la vie des îliens. La composition du livre, l'écriture elle-même se plient aux nécessités de la géographie, et même à celles de la météorologie, thème sans cesse présent, tout au long. Une brume presque continuelle estompe les silhouettes, brouille les contours des multiples anecdotes enchevêtrées, les onirise. C'est un livre où la chaleur et le froid s'affrontent sans cesse, exactement comme le font le Gulf Stream et le courant du Labrador au large des côtes, créant précisément les brouillards tenaces. Mais le brouillard n'est pas l'ennemi. Il est attendu, espéré même, par Lucien et Clément, les deux frères de retour de leur exil volontaire. C'est lui qui unifie le tableau et fait que le poudroiement des anecdotes devient finalement l'Histoire, celle de tous.
Il faudrait aussi dire quelques mots sur l'effet de grande familiarité des lieux, que Nicole parvient à faire naître chez le lecteur, lequel n'a pourtant jamais mis les pieds à Saint-Pierre, pas plus qu'à Miquelon, ainsi que sur la poétique des noms propres (Le Cap des morts, la route d'Iphigénie, etc.) – mais j'ai la flemme de développer – qui sont évidemment une seule et même chose.
L'effet global est que ce bout-du-monde, recréé à distance, par la mémoire, en devient assez vite le centre : le reste de la planète perd de sa réalité, à mesure que Saint-Pierre acquiert la sienne.
Centre de ce centre, véritable nœud du livre, L'Œuvre-des-mers, le théâtre au rideau rouge, d'où sortent toues les magies et où reviennent tous les personnages. Y compris ce narrateur finalement assez proustien (Eugène Nicole enseigne la littérature française à l'université de New York, et il est un spécialiste de Proust), qui a en projet d'écrire un livre intitulé Juillet sans brumes. Car il y eut, nous dit-on, dans l'histoire de Saint-Pierre-et-Miquelon, un mois de juillet sans brumes – et on en parle encore.
Merci pour ces intéressantes notations cher Didier et bonne route !
RépondreSupprimerJe suis vaguement inquiet : ma moitié tourmente les drosophiles sur certain forum... ;))
RépondreSupprimerDoit-on, après ce livre, aller "pour de vrai" à SP&M ? Une barrière de plus qui empêche le départ. Non ?
RépondreSupprimerMerci de nous en parler si bien, Didier, car je sais maintenant que je serais incapable de lire ce livre. Aucun jugement esthétique la-dedans. Vous serez mon anti-libraire : les bons livres que je ne peux pas lire.
RépondreSupprimerTrès beau billet, vous écrivez merveilleusement bien Didier.
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour cette incitation à lire Nicole, un auteur que je ne connais pas encore (mais à ma prochaine virée à la bibliothèque, je saute dessus)
RépondreSupprimerOh le joli (et juste) billet que voici !
RépondreSupprimerDiexaie a raison.
Comment se fait-il que le billet "Réveillez-vous mes soeurs", vous savez celui dégoulinant de fiel, apparaisse sur le fil RSS et pas sur votre blog?
RépondreSupprimerApu 2 burqa ?
RépondreSupprimerA tous : à la relecture, j'ai trouvé mon billet "burkinien" bien mauvais (pas d'argumentation sérieuse, juste un jet d'invectives, etc.) et ai préféré le supprimer. Pardon à ceux qui avaient laissé un commentaire. Et puis, ne sachant quand je pourrais me connecter à nouveau, je trouvais plus agréable de vous laisser avec l'admirable Eugène Nicole plutôt qu'avec les belphégors...
RépondreSupprimerce n'était donc pas une défaite, ni un abandon, pas de renoncement, trahison, juste une respiration. L'offensive était maladroite voire suicidaire. Le calme est revenu. Nous sommes de nouveau dans les brouillards de Saint-Pierre et Miquelon. Ca caille.
RépondreSupprimerJ'ai entré le nom de l'auteur dans Google et je me retrouve ici, c'est vous qui en parlez le mieux.
RépondreSupprimerC'est un livre superbe.
Deux cents pages avalées, et je me dis pour l'instant que c'est un "Cent ans de solitude" de l'autre côté de la mer, écrit par un compagnon de Proust (et en général,pourtant, je m'endors très vite avec les romans écrits par les exégètes de Proust).
Merci.
Suzanne : vous comprenez mieux mon envie de séjour là-bas ?
RépondreSupprimerOui et non !
RépondreSupprimerSi vous y allez, vous n'en aurez pas pour autant la mémoire, c'est la sienne et pas la vôtre.
Vous avez vu qu'il y a un film (La veuve de Saint-Pierre) de Leconte, sur l'affaire Néel ?
Bien entendu ! Mais la confrontation peut être intéressante tout de même.
RépondreSupprimerPour le film, oui, je l'ai signalé dans un autre billet, ou peut-être en commentaire, je ne sais plus.
En tout cas, Nicole parle des dernières charrettes à chien (Terre-Neuve). Je comprends mieux, maintenant, pour monsieur Biche... (pauvre bête !)
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