C'est une série qui a tout juste vingt ans. En Amérique où elle est née, elle fut baptisée Boston Legal. Quand elle eut franchi l'Atlantique, les distributeurs français se sont trouvés face à une épineuse alternative : devaient-ils traduire ce nom en français ou en charabia ? Ils optèrent pour le charabia, et la série devint chez nous Boston justice, titre bienheureusement inintelligible.
Une fois surmonté cet agacement initial, qui en outre ne touche peut-être que moi, voilà une série télé hautement recommandable. Elle est due à David Kelley, qui avait précédemment conçu Ally McBeal, série parfaitement évitable. Les deux sont ce que l'on appelle des “séries judiciaires". Boston justice, déroule ses cinq saisons et ses cent un épisodes au sein d'un grand cabinet d'avocats bostonien : Crane, Poole & Schmidt. C'est un cabinet qui, pour notre plus grand plaisir, tend assez nettement vers la clinique psychiatrique, tant à cause de beaucoup de ses clients que de certains membres de son personnel. Un ami qui connaît nettement mieux les rouages de la justice américaine que moi, ce qui n'est pas mettre la barre bien haut, me disait récemment qu'à peu près aucun des procès se déroulant dans la série ne tenait debout ; ce qui ne l'empêchait pas d'en avaler les épisodes aussi goulûment que d'autres les demis de bière au comptoir de la Comète.
Ils ne tiennent pas debout — même moi, il m'arrive de m'en apercevoir –, mais ils sont le plus souvent fort réjouissants, animés par des avocats que je n'hésiterais pas à déclarer hauts en couleur si j'étais encore débiteur de clichés journaliste. Lesquels piliers de salles d'audience sont servis par des comédiens à qui je ne vois rien à reprocher, depuis l'encore délicieuse Candice Bergen jusqu'à James Spader, que les Stargatolâtres et les Blacklistophiles connaissent bien.
Mais la vraie découverte, c'est William Shatner. Comme beaucoup de gens, supposé-je, je vivais plus ou moins dans la croyance que ce sympathique mais assez pâlichon Juif montréalais n'avait à peu près jamais rien fait de plus marquant dans sa carrière que de poursuivre des hordes de Klingons dans son pyjama intergalactique, suivi par un transfuge de Mission impossible s'étant fait tailler les oreilles en pointes. Grossière erreur.
C'est avec une jouissance palpable et un véritable talent comique que l'ex-capitaine Kirk campe Denny Crane, co-fondateur du cabinet portant en partie son nom, Républicain très à droite, grand amateur d'armes à feu dont ses tiroirs sont bien garnis, aussi misogyne que grand baiseur, volontiers harceleur de femelles, tranquillement raciste et benoîtement antisémite, attendrissant et irritant, burlesque et parfois émouvant, prétendant expliquer (il ne s'excuse jamais de rien) toutes ses frasques par la “maladie de la vache folle” qui logerait dans son cerveau.
Rien que pour lui, Boston justice “mériterait le détour” comme on dit chez Michelin. Il est en quelque sorte le noyau de combustion d'où jaillissent en gerbe les folies particulières des autres associés et employés. Démence douce, mais contagieuse, puisqu'elle atteint également un certain nombre de juges, pourtant d'apparence vénérable, parmi ceux qui ont à trancher les affaires ubuesques apportées au tribunal par le cabinet Crane, Poole & Schmidt.
Le seule chose qui, dans cette histoire, ternirait un peu ma joyeuse humeur, c'est que nous approchons de la cinquième saison, et qu'après ça il n'y en aura plus. Alors que tant de séries navrantes durent des dix voire douze saisons.
Y a pas de justice.