Hier, la chaîne Histoire proposait une “soirée Céline”, que nous avons regardée faute de films possibles sur les canaux concurrents, et nous nous en sommes bien trouvés. En lever de rideau, une émission de Claude-Jean Philippe, datant de 1976 mais composée en partie d'extraits d'une autre plus ancienne, signée Pierre Dumayet. Ensuite, une réalisation due en grande partie à Michel Polac et remontant, elle, à 1969. D'abord, il y a ce sentiment étrange d'irréalité qui s'installe lorsque l'on vous envoie l'interview d'une personne – une femme, mercière passage Choiseul – qui a très bien connu Céline, ou plutôt Destouches en l'occurrence, enfant. Puis, un deuxième fait vient vous frapper : tous ces gens à qui Philippe, Dumayet ou Polac tendent un micro s'expriment dans un français non seulement fort correct mais en outre, souvent, d'une admirable élégance. On mesure d'autant mieux notre triste dégringolade que ce ne sont pas seulement les intellectuels qui usent de cette langue ondoyante, construite, toute pleine de détours et de voies adjacentes, mais absolument toutes les personnes interrogées, y compris cette vieille mercière dont je parlais, qui semble n'avoir jamais quitté son passage Choiseul, n'a jamais lu une ligne de Céline et n'a pas dû, à l'école, aller au-delà du certificat d'études. On mettra à part, cependant, le peintre Gen Paul (à gauche sur la photo que j'ai choisie), vieil ami de Céline (qu'il nomme Ferdine), portraituré en cul-de-jatte dans Féérie pour une autre fois, qui, lui, parle avec un naturel et une aisance parfaits exactement comme un roman de Boudard ou de Simonin. Et l'on se prend à penser que si, en ces époques noir et blanc, la France était moisie comme on nous le serine, sa langue, elle, était encore fleurie et vivace. Nous en terminerons avec la voix de Gen Paul et ses fleurs de rhétorique populaire – populaire au sens ancien du mot.
C'est assez drôle parce que votre billet "Double chassé-croisé amoureux" m'a inspiré un texte, écrit cette nuit et intitulé "Reine et le cinéma" qui débute ainsi :
RépondreSupprimer"Reine était née en 1884. C'était une enfant de l'Assistance publique. Elle avait débuté dans la carrière de bonne-à-tout-faire à onze ans, à la mort de sa bienfaitrice, mademoiselle Ocagne de Sainte Croix qui s'était ruinée en son château, pour éduquer des orphelines.
A onze ans Reine avait réussi le Certificat d'Etudes, elle comptait comme personne et avait cette belle écriture penchée faite de pleins et de déliés qu'on peut encore admirer sur quelques fac-simile de nombres d'écrivains du XIXème siècle..."
C'est très bien tout ça, mais on l'aura quand le journal de juin ?
RépondreSupprimerLa magie de notre langue disparait un peu plus chaque jour pour faire place à de simples slogans rabâchés ad nauséam par de parfaits petits clones formatés pour un avenir radieux parce qu'imposé. Céline était un génie , je suis tombé "dedans" dès l'âge de quinze ans avec le roman "Nord",un vrai coup à l'estomac.Depuis il ne m'a plus quitté et j'ai même appelé ma chienne Bessie en hommage à son animal ramené du Danemark à Meudon et dont les derniers instants m'ont bouleversé
RépondreSupprimerAssez curieusement j'avais noté qu'en Guadeloupe, pendant les longues grèves, les gens du coin, des antillais, parlaient un français bien mieux construit qu'ici, un peu comme une forme de volonté de distinction
RépondreSupprimerPierre Robes-Roule,
RépondreSupprimer"... un peu comme une forme de volonté de distinction."
Je ne crois pas. La "volonté de distinction" ne fait faire que des impairs supplémentaires : voyez monsieur Jourdain !
Je crois tout simplement que dans les îles leurs instituteurs, pardon, leurs professeurs des écoles, mettent du coeur à leur apprendre un bon français.
Estelle : je journal de juin est à sa place depuis le 1er août, mais bizarrement cette foutue blogroll refuse de le prendre en compte !
RépondreSupprimerOui, moi aussi j'ai remarqué ce français exceptionnel dans de vieilles émissions de radio. Enfin, exceptionnel par rapport à ce qu'on entend aujourd'hui, bien entendu.
RépondreSupprimerJe parle de l'homme de la rue, pas de journalistes ou d'intellectuels.
Je me rappelle de gamins interrogés dans la campagne profonde aux alentours des années cinquante, qui parlaient un français parfait.
Trop cool, me botte vraiment ce billet, il decoiffe de la mort car trop de la balle ! N'est-il pas, en bon français d'aujourd'hui
RépondreSupprimerCe n'est pas tant que les instituteurs et professeurs d'aujourd'hui ne "veulent" (!!!) plus apprendre un "bon" français aux enfants... C'est, qu'avec ce qu'ils entendent à la télévision ou bien chez eux ( et je ne parle pas de France inter où en entend des mots qu'il y'a trente ans une personne bien élevée n'était pas censée même connaitre!) il n'y a aucune raison de parler correctement, alors de façon complexe!!! Et cetera ... Geargies
RépondreSupprimerOui, ça, ça vaut vraiment le coup.
RépondreSupprimerMerci.
Un bref retour dans notre monde,
celui qu'on nous a tué sans nous demander notre avis. Une femme
qui a connu Céline au temps du
"Passage", ça nous remet avant la guerre de 14,dites donc. Même à l'époque de l'interview elle faisait un peu dinosaure. Fabuleux.
Mais tout cela est cuit, foutu et
enterré.
Amitiés.
Comme on se sentait bien dans sa langue à cette époque!
RépondreSupprimerJ'ai pu consulter récemment un épais manuel de culture générale daté de 1971, à l'attention des candidats au B.E.P. de secrétariat de l'époque. Ébahissante lecture : abondance de textes d'écrivains, poètes, philosophes, etc. — et extraits copieux qui plus est. Aujourd'hui on n'oserait même plus donner ces textes à lire à des bac + 3.
RépondreSupprimerRetrouvez toute l'actualité célinienne sur Le Petit Célinien : www.lepetitcelinien.com
RépondreSupprimerJ'ai récemment compulsé des cahiers d'écolier de membres de ma famille, datant des années 1920. Eh bien, je peux vous dire que ça calme...
RépondreSupprimerQue ce soit dans les matières étudiées ou la complexité des exercices demandés, quel gouffre avec ce qui existe aujourd'hui, ou même avec ce que j'ai personnellement connu !...
Exemple : des pages et des pages de calculs d'intérêts composés, à la plume et à la main... Même un banquier adulte est incapable de vous le faire aujourd'hui... A l'époque, on demandait ça à des enfants...
Marchenoir, arrêtez de nous déprimer. Sinion, je peux le faire aussi, hein ! Par exemple, j'ai des lettres et des cartes postales de ma grand-mère maternelle (pas morte : 101 ans) qui n'a pas dépassé le certificat d'études. je vous défie d'y trouver autre chose qu'une chose d'inattention. Et, en plus, il y a une élégance calligraphique…
RépondreSupprimer(J'ajoute que mon autre grand-mère, dont je ne sais même pas si elle a jamais obtenu son "certif" (et je pense que non) écrivait pareillement sans fautes, dans un français certes extrêmement simple (sujet, verbe, complément, si l'on veut), mais DIGNE.
Comment voulez-vous qu'il en aille autrement ? Il ne s'agit plus d'instruire mais d'éduquer. L'école se propose de combler le fossé culturel entre les "privilégiés" et les "défavorisés". On s'adonne donc à toutes sortes d'activités supposées palier ces différences et on néglige les fondamentaux. Lire ? Écrire ? Compter ? A quoi bon ? Du coup, le fossé se creuse entre ceux que leurs goûts personnels et leur environnement familial poussent à progresser et ceux que l'on n'instruit même plus.
RépondreSupprimerJe ne donne pas cher d'un commentaire publié si longtemps après le billet... tant pis ;)
RépondreSupprimerIl y a en ce moment à Montmartre, jusqu'au 25 novembre 2012, une belle exposition de toiles de Gen Paul.
Evidemment des portraits de Céline.
En feuilletant La Biographie du peintre par André Roussard, j'ai revu la photo.
Elle était accompagnée d'un texte de Nabe, extrait de Zigzags, 1986 :
"Rappelez-vous cette photo de 1942 où l'on voit Gen Paul souffler un mot à Céline, regardez bien la tête du Cuirassier, son masque de petit garçon admiratif que je ne lui ai jamais vu ailleurs, très exactement semblable en cela au regard que porte Parker sur Monk dans une autre photo célèbre, et soyez persuadé avec moi que Gen Paul fut pour Céline, comme Henry de Groux le fut pour Léon Bloy, sa plus grande amitié et l'une de ses plus grandes souffrances. C'est Caliban qui déchire Prospero, pas Ariel."