« Julien Freund : – En attribuant le racisme aux seuls Européens, l'antiracisme donne de plus en plus l'impression de protéger unilatéralement une partie de la population contre l'autre. Or, en abdiquant le révolutionnarisme lyrique au profit du capitalisme libéral, Mitterrand sacrifie cette clientèle de petites gens bercée jusqu'ici par le discours égalitariste. Vous comprenez, ils ont été habitués à une vision irénique de l'avenir. Et justement, ce sont eux les plus concernés dans leur vie quotidienne, les plus exposés à la présence étrangère. On sait, depuis Aristote, que l'étranger a toujours été un élément conflictuel dans toutes les sociétés. L'harmonie dans une société... disons " multiraciale " est, plus que dans toute autre, une vue de l'esprit. Or, ces gens dont nous parlons, ceux du bistrot, ici, ceux que je rencontre tous les jours à Villé, ils ne participent pas de la civilité bourgeoise. Ils ne subliment pas leurs affects. Leurs réactions sont plus spontanées, leur jactance moins étudiée. Affranchis des règles de la bienséance hypocrite, ils seront les premières victimes des censeurs de cet antiracisme frelaté qui rêve de placer la société sous surveillance. Traquenards, chausse-trapes, procédés de basse police, délations... ce sont ces malheureux qui seront bientôt les victimes de ce climat d'intolérance. L'empire du Bien est un empire policier ou l'on traque le faux-pas, le lapsus, le non-dit et même l'humour...
Pierre Bérard : – Ils apprendront à se taire, à dissimuler...
J.F. : – Ah, mon cher, je suis fils d'ouvrier et je vis dans un village... Ils ne se tairont pas. Il se peut qu'à force on fasse de ces braves gens des bêtes fauves... C'est ma crainte, je l'avoue... D'autant que les soi-disant autorités morales cherchent à expier notre passé colonial en accoutrant l'immigré africain de probité candide et de lin blanc...
P.B. : – C'est la version post-moderne du bon sauvage... que la méchanceté de notre passé doterait d'une créance inépuisable.
J.F. : – Ah oui, cette histoire de la dette... c'est un thème sartrien. Mais c'est d'abord une victime qui doit pouvoir bénéficier de certaines immunités. En effet. De pareils privilèges, même symboliques - mais dans une société matérialiste les privilèges ne se contentent pas de demeurer symboliques - ne peuvent que renforcer les antagonismes et puis, surtout, comprenez bien ça, cela heurte l'évangile égalitaire dont les Français ont la tête farcie. En jouant simultanément l'antiracisme et Le Pen contre la droite, Mitterrand va provoquer la sécession de la plèbe. Cela paraît habile... Mitterrand le Florentin et que sais-je encore... mais c'est impolitique. Car, le politique doit toujours envisager le pire pour tenter de le prévenir. J'insiste : si l'étranger est reconnu comme un élément de désorganisation du consensus, il éveille un sentiment d'hostilité et de rejet. Un brassage de population qui juxtapose des origines aussi hétérogènes ne peut que susciter des turbulences qu'il sera difficile de maîtriser.
P.B. : – Les rédempteurs de l'humanité sont indécrottables ?
J.F. : – Les sentinelles de l'antifascisme sont la maladie de l'Europe décadente. Ils me font penser à cette phrase de Rousseau persiflant les cosmopolites, ces amoureux du genre humain qui ignorent ou détestent leurs voisins de palier. La passion trépidante de l'humanité et le mépris des gens sont le terreau des persécutions à venir. Votre ami Alain de Benoist a commencé d'écrire de bonnes choses là-dessus. Dites-le-lui, il faut aller dans ce sens : la contrition pathologique de nos élites brouille ce qui fut la clé du génie européen ; cette capacité à se mettre toujours en question, à décentrer le jugement. Ceux qui nous fabriquent une mémoire d'oppresseurs sont en fait des narcissiques. Ils n'ont qu'un souci : fortifier leur image de pénitents sublimes et de justiciers infaillibles en badigeonnant l'histoire de l'Europe aux couleurs de l'abjection. Regardez ce qu'écrit Bernard-Henri Lévy sur Emmanuel Mounier... C'est un analphabète malfaisant. En 1942, j'étais avec Mounier à Lyon... en prison ! En épousant l'universel, ils s'exhaussent du lot commun ; ils se constituent en aristocratie du Bien... L'universel devient la nouvelle légitimité de l'oligarchie ! »
Pierre Bérard, Conversation avec Julien Freund.
A propos de la repentance, je pense que dans ce qui est exposé ici, et que vous soutenez, il y a une faille : c'est que ceux qui se repentent, tels des pantins s'agitant devant un public occupé à compter ses popcorns, ne représentent et n'engagent qu'eux même, et encore.
RépondreSupprimerAutrement dit, "les gens de tous les jours à Villé" s'en contrefichent et ne s'en aperçoivent même pas.
La repentance s'apparente aux grandes manœuvres. Là où Julien Freund est pertinent, c'est dans le début du texte, sur "leur vie quotidienne". Partage du popcorn mais aussi des places de tramway, par exemple.
Mais peut être que rester aussi prosaïque embarrasserait le message, puisque le débat se cantonnerait à l'égalité, et non plus à l'égalitarisme (comme le dit Murray d'ailleurs). Avec des bons vieux débats sur la lutte des classes, pourquoi pas ? ...
BHL se prétend anti-fasciste, anti-totalitaire et anti-colonialiste. On l'entend pourtant peu dénoncer les fascistes de gauche et d'extrême-gauche, le totalitarisme inhérent à l'idéologie "anti"raciste, la colonisation extra-européenne de l'Europe...
RépondreSupprimerCriticus,
RépondreSupprimerJe n'ai aucune sympathie pour Bernard-Henri Lévy, « plus beau décolleté du tout Paris », « zozo pensant », etc., mais écrire qu'il n'a jamais dénoncé le totalitarisme d'extrême gauche (je vous laisse l'appellation ressassée de « fascisme d'extrême gauche », qui, tant que les mots veulent dire quelque chose, est, qu'on le veuille ou non, un non-sens historique) relève de l'ânerie pure et simple, l'inoubliable auteur entartré du Jour et la Nuit s'étant précisément fait connaître avec La Barbarie à visage humain, dans lequel, pour faire vite (et si vous me passez l'image), il renvoyait dos à dos communisme et fascisme – cela à une époque où se faisait encore sentir dans les milieux de l'édition comme de l'université ce que la droite martyre et régnante nommait, des pleurs dans la voix, le terrorisme intellectuel.
Je suppose que l'attaque béhachèlième contre Emmanuel Mounier (sans doute quelque pitoyable procès en proto-fascisme) qu'évoque Julien Freund est tirée de L'Idéologie française, ouvrage qu'a écrit notre ami polygraphe au début des années quatre-vingts et dans lequel, paraît-il – je n'ai, je l'avoue, pas lu cette œuvre –, il s'attelait à débusquer du « fascisme à la française » sous toute pensée un tant soit peu conservatrice d'avant-guerre (ce qui ne faisait pas pour autant de ce livre une apologie du stalinisme, du trotskisme, du maoïsme, du titisme, ou que sais-je encore).
Cela étant, je vous le concède, je n'ai pas connaissance de la moindre signature par Bernard-Henri Lévy d'éventuelles pétitions contre la conquête de la péninsule ibérique par les Omeyyades au VIII e siècle ou contre l'occupation, plus sanglante encore, des Balkans par les Ottomans jusqu'au début du XXe siècle. Voilà qui devrait pour sûr lui interdire de gloser sur les bienfaits de la colonisation française à travers les âges.
Monsieur Goux,
À moins que ma mémoire ne me trahisse (ce qui est toujours possible, vu qu'on est dimanche et que le dimanche, je me bourre la gueule parce que c'est trop triste), il me semble rétrospectivement que les propos que tenait le sociologue Paul Yonnet lors d'entretiens diffusés il y a deux jours sur France Culture résonnaient sur plusieurs points en un troublant écho au texte de Julien Freund que vous nous avez donné à lire.
Si j'ai le temps, je vous le retranscris ce soir après le dessert.
Cheiuvrou,
RépondreSupprimerPermettez: je limitais ici mon propos à l'époque actuelle. Quant à la colonisation de l'Europe, je parlais de celle qui a cours aujourd'hui...
Je sais, par ailleurs, que BHL s'est employé à la fin des années 1970 à dédouaner la gauche de ses fautes...
Avant, il y avait les pauvres contre les riches et aujourd'hui les pauvres étrangers contre les pauvres déjà d'ici. Au moins, ça les détourne de s'en prendre aux bourgeois qui eux sont sans couleurs et peu regardants !
RépondreSupprimer:-))
"Ah, mon cher, je suis fils d'ouvrier et je vis dans un village... Ils ne se tairont pas. "
RépondreSupprimerIl est vrai que les ouvriers que je connais ne se taisent pas, et n'imaginent même pas de le faire.
L'antiracisme donne une impression d'omniprésence et est en même temps cantonné à certains milieux - hélas, ce sont ceux qui parlent le plus fort.
Ce n'est pas un texte, c'est la transcription d'une conversation. Au menu il y avait du jambonneau.
RépondreSupprimerMoi, je boude.
RépondreSupprimerAudine : Mais que faites-vous des excuses de la quakeresse du Poitou faites "au nom de la France" ?
RépondreSupprimerCriticus & Chieuvrou : je vais vous laisser vous débrouiller, tiens ! (Oui, le dimanche soir, quand je suis sobre, je suis lâche...)
Chieuvrou tout seul : cela n'aurait rien de surprenant. Je vais aller voir ça...
Poireau : vous avez une image du bourgeois qui fleure bon ses années cinquante : réactionnaire, va !
Clarissa : oui, je suppose que dans "Lutèce magazine" ou dans "Gaule-Soir", vers les années 60-90 ap. J.C., on n'entendait chanter que les louanges du multiculturalisme gallo-romain...
Marine : je vous INTERDIS de bouder ! On ne boude pas quand on a eu le bon goût d'attribuer un 19 à une copie exceptionnelle...
D'autre part, si j'avais pour habitude de répondre aux anonymes, je préciserais à celui-ci qu'il ne s'agit pas d'une conversation, mais bien d'un texte de Pierre Bérard, construit sous forme d'UN dialogue imaginaire, à partir de nombreuses rencontres avec Freund.
Mais, c'est vrai, il y avait du jambonneau.
Et moi je dis Vive les immigrés.
RépondreSupprimerQui ferait vos poubelles, bande de bourgeois fainéants, sinon.
Qui assurerait vos retraites.
Quand Total pique le pétrole en Afrique et soutient les dictateurs, ça ne vous gêne pas plus que ça, pas vrai ??
Alors qu'est ce que ça peut bien vous faire de nourrir en retour quelques pique-assiettes noyés au milieu d'une majorité de gens qui veulent juste bosser pour survivre.
Restez bien assis sur votre coffre fort qui est en train de fondre de toutes manières.
Et je vous emmerde.
BHL aussi je l'emmerde de toutes manières.
Il n'y a que lui pour penser qu'il est philosophe.
« Quand Total pique le pétrole en Afrique et soutient les dictateurs, ça ne vous gêne pas plus que ça, pas vrai ?? »
RépondreSupprimerTotal ne « pique » pas le pétrole, il l'achète. Et s'il ne l'extrayait pas, personne d'autre ne le ferait...
Moi j'avais commencé à dire des tas de choses, mais je me tais. Je savoure le retour du sporadique et estimé Chevriou. Il faut dans les blogs un culte du non blogueur. Chevriou est le meilleur d'entre tous.
RépondreSupprimerSinon, je prends le wagon des deux gauchistes de service, Audine et Poireau. J'ajoute : on parle de "turbulences" dues à une "hétérogénéité". Or les immigrés italiens et espagnols, pourtant occidentaux, catholiques romains, étaient considérés comme de la racaille, en leur temps.
A part ça, j'apprécie la vision du cosmopolite qui aime l'humanité en théorie, mais pas son voisin de pallier. Excellent portrait du "bobo" ou du fossile doctrinaire.
Emmanuelle : vous venez pour l'examen de trollage ?
RépondreSupprimerLes immigrés tels que vous les décrivez fleurent bon leurs années 60-70 : doivent être en retraite, maintenant...
Pour ce qui est du pont-aux-ânes des grandes compagnies qui exploitent le tiers monde, je vous laisse entre les mains de Criticus.
Balmeyer : vous avez raison, et c'est un phénomène parfaitement normal (au sens de : humain) : l'étranger suscite toujours méfiance, fantasmes, peurs diverses, etc. La première différence est que les Italiens, Polonais, Portugais, etc., ne mettaient pas les banlieues à feu et à sang dès que l'un d'eux se faisait arrêter pour vol de mobylette, ni qu'ils passaient leur temps à dégueuler leur haine du pays hôte.
La seconde est que les dirigeants de la France ne nous trompettaient pas sur tous les tons et chaque matin que, de toute façon, il valait mieux s'y faire, qu'il y en aurait de plus en plus, et qu'on avait intérêt à fermer sa gueule si on ne voulait pas se retrouver au tribunal.
Personne n'arrive à écrire Chieuvrou correctement.
RépondreSupprimerPlus triste encore : mon second lien ne renvoie plus, depuis hier, à l'entretien de vendredi dernier (qu'il faut donc aller rechercher dans les archives de l'émission À voix nue du 2 octobre).
RépondreSupprimerAh ! J'ai encore l'air con...