Cette fois encore, je me délecte et me pourlèche de cette deuxième partie des Illusions perdues, dans laquelle je suis plongé depuis hier. Le tourbillon des déplacements, l'enchaînement étourdissant des scènes, l'ivresse que l'on sent chez l'auteur à faire circuler les personnages, à ramener sur le devant tous les noms déjà utilisés ailleurs – et tout cela sans jamais perdre de vue l'implacable mécanique qui va broyer ce petit con de Rubempré, l'inexorable de sa pitoyable tragédie, tout cela fait du livre – en cette partie tout au moins – un chef-d'œuvre d'intelligence et de cruauté. Il se peut que l'on soit là à l'acmé du roman – je veux dire : du genre romanesque, tel qu'il est né au XVIe siècle et se meurt sous nos yeux. Sans parler bien entendu du démontage sans pitié auquel se livre Balzac, de la presse bien entendu – et personne n'a été ni ne sera plus cruel, parce que plus juste, que lui en ce domaine –, mais aussi de l'édition et de la librairie : c'est à faire peur. Ces Illusions perdues, sont quelque chose comme le tombeau – aux allures de fosse commune – de tous les prétendants et prétendus journalistes, les plumitifs à vendre, folliculaires à louer et à louanges, passés, présents et, on doit le supposer, à venir.
Je disais plus haut “ce petit con de Rubempré”, parce que j'ai toujours détesté, voire méprisé Lucien Chardon (je lui rends son vrai nom pour l'humilier un peu...). Et je n'ai jamais compris Oscar Wilde qui, alors qu'on lui demandait de citer la plus grande tristesse de sa vie, répondait : «La mort de Lucien de Rubempré. » À chaque fois que j'ai lu Splendeurs et misères, j'ai au contraire éprouvé une joie féroce à voir enfin écrasé ce petit cafard, égoïste, fat, pusillanime et, au bout du compte, dénué du moindre talent.
Enfin, on se dit qu'un Balzac d'aujourd'hui, qui aurait le front, l'inconscience, l'héroïsme de se livrer à une telle charge furieuse contre la Sainte Trinité Presse-Édition-Librairie, et même s'il avait le génie pour le faire, celui-là serait un homme mort dès le lendemain de la parution de son livre, à supposer qu'il ait pu trouver un éditeur assez fou pour se faire hara-kiri en public. Une chape de silence distrait s'abattrait mollement sur lui, et il n'en serait plus question. Mais je crois que, même au XIXe siècle, toute complexion moins formidable que celle de Balzac y aurait également été anéantie.
Je disais plus haut “ce petit con de Rubempré”, parce que j'ai toujours détesté, voire méprisé Lucien Chardon (je lui rends son vrai nom pour l'humilier un peu...). Et je n'ai jamais compris Oscar Wilde qui, alors qu'on lui demandait de citer la plus grande tristesse de sa vie, répondait : «La mort de Lucien de Rubempré. » À chaque fois que j'ai lu Splendeurs et misères, j'ai au contraire éprouvé une joie féroce à voir enfin écrasé ce petit cafard, égoïste, fat, pusillanime et, au bout du compte, dénué du moindre talent.
Enfin, on se dit qu'un Balzac d'aujourd'hui, qui aurait le front, l'inconscience, l'héroïsme de se livrer à une telle charge furieuse contre la Sainte Trinité Presse-Édition-Librairie, et même s'il avait le génie pour le faire, celui-là serait un homme mort dès le lendemain de la parution de son livre, à supposer qu'il ait pu trouver un éditeur assez fou pour se faire hara-kiri en public. Une chape de silence distrait s'abattrait mollement sur lui, et il n'en serait plus question. Mais je crois que, même au XIXe siècle, toute complexion moins formidable que celle de Balzac y aurait également été anéantie.
« et, au bout du compte, dénué du moindre talent »
RépondreSupprimerC'est la réflexion que je me suis faite lors de la lecture du premier « article » de Lucien, que Balzac cite : le compte-rendu de spectacle.
Ce papier est sans queue ni tête.
Les félicitations de ses « amis » n'en rendent l'ironie balzacienne que plus mordante... Tout le monde crie au génie autour de Lucien, alors que son « article » est, objectivement, nul à chier...
A oui? ?
RépondreSupprimerCriticus : absolument ! D'autant plus piquant que, si vous vous souvenez bien, Lucien a tout fait ce soir-là sauf... suivre la pièce en question !
RépondreSupprimerDe plus, les trois sonnets de lui qui nous sont donnés à lire sont non avenus, et son roman, L'Archer de Charles IX, a été complètement refondu et magnifié par d'Arthez et consorts.
Petula : vous êtes sûre que ça va ?
Le personnage de d'Arthez est très intéressant : déjà, on a l'écrivain vraiment talentueux qui peine à joindre les deux bouts, tandis que les « cacographes »* de l'époque font des succès avec de purs navets...
RépondreSupprimer* « Spéciale dédicace » au Stalker
Je garde de mes années de collège et de son cortège de lectures obligatoires un souvenir de long et mortel ennui face au Père Goriot, de ceux qui font que je le fuis toujours. Mais ainsi présenté, ça donne envie d'y remettre le bout du nez !
RépondreSupprimer:-))
[A mon avis, ce livre pourfendeur du triumvirat du bien-lire en masse dont vous parlez a déjà dû paraitre mais personne ne l'a jamais su ! :-)) ].
C'était pas de l'ironie au 32ème degré chez Wilde par hasard? Genre understatement quelque chose comme ça ?
RépondreSupprimerGeargies
Geargies : c'est possible, en fait. Mais rien, dans cette très courte réponse, ne laisse supposer l'ironie...
RépondreSupprimerPoireau : que voulez-vous donc que je dise à quelqu'un qui S'ENNUIE en lisant le Père Goriot ?
Didier Goux : qui s'ennuyait à quinze ans parce qu'une prof n'ayant aucun enthousiasme à faire passer l'obligeait à lire «Le père Goriot». Il me fait de l'œil aujourd'hui, votre monsieur Balzac, je dois avoir senti que j'étais passé un peu à côté !
RépondreSupprimer:-))
[Ou alors, c'est mon auteur-obstacle, allez savoir ! :-)) ].
Encore la faute aux profs...
RépondreSupprimerFaudrait que je relise le bout de Balzac, pour voir où gît le lièvre. Geargies
RépondreSupprimerLis-ça, c'est pas mal, que m'avait dit Sophie en me glissant le livre abimé dans la poche. C'était la peau de chagrin. J'avais trouvé ça pas mal mais pas merveilleux non plus, mais bon, je devais être en 5ème, et il n'y avait pas beaucoup de livres dans la bibliothèque de l'étude du soir.
RépondreSupprimerLe choc avec Balzac, ce fut le Père Goriot, justement. J'étais en seconde, dans une classe de fumistes. Notre professeur de français se prénommait Claire, elle avait vingt et un ans, et c'était la plus jeune agrégée de France cette année là. Elle ne faisait que rire. Tout le temps elle riait. Elle commençait les cours en disant "vous allez rire, mais..." Elle n'était pas une très bonne enseignante, détestait corriger les copies dont elle ne lisait que le premier paragraphe et nous faisions des concours de recopiage d'œuvres célèbres rien que pour la faire hausser les épaules ensuite, mais c'était une sacrée lectrice à l'appétence contagieuse. Elle nous déclamait aussi parfois Phèdre ou Macbeth, et on la fermait sans barguiner. Eh bien, au bout d'extraits dans le désordre du père Goriot, tout le monde était hameçonné, mordu, fan de.
C'est elle aussi, avec sa voix fraîche au joli timbre, qui avait lu tout haut le début d'Eugénie Grandet. J'avais trouvé ça si beau que je l'avais appris par coeur, et je n'étais pas la seule.
Tout haut, essayez tout haut. Prenez une grande inspiration, pensez que vous allez dire quelque chose de beau, et dites tout haut:
"Il se trouve dans certaines provinces des maisons dont la vue inspire une mélancolie égale à celle que provoquent les cloîtres les plus sombres, les landes les plus ternes ou les ruines les plus tristes. Peut-être y a-t-il à la fois dans ces maisons et le silence du cloître et l’aridité des landes, et les ossements des ruines. La vie et le mouvement y sont si tranquilles qu’un étranger les croirait inhabitées, s’il ne rencontrait tout à coup le regard pâle et froid d’une personne immobile dont la figure à demi monastique dépasse l’appui de la croisée, au bruit d’un pas inconnu."
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RépondreSupprimerPoireau : oui, bon, je reconnais : on m'a pareillement dégoûté durablement de la philosophie...
RépondreSupprimerChristine : et de la faute à qui d'autre ?
Dgeargies : allez-y, bon sang (de lièvre) !
Suzanne : merci pour ce long commentaire. Votre claire me rappelle un peu mon Jean-Christophe, tiens ! Le plus étrange est que j'ai eu (en troisième, à Châteaudun) une professeur de français qui s'appelait Claire (si je me souviens bien, il y a très longtemps...) Elle était jeune, belle (belle pour le gamin de 15 ans que j'étais), et boîteuse, terriblement boîteuse. Elle est morte quelques années plus tard, je ne sais même plus comment je l'ai appris. J'en ai été d'une tristesse insondable, et même encore ce soir, en y repensant...
Le Père Goriot, évidemment. Première apparition de Vautrin, avec lequel je suis aux prises, en ce moment, dans les Splendeurs et les Misères. Personnage qui croît à une vitesse folle, absolument pas crédible dans ses évolutions, et d'autant plus vrai.