lundi 21 décembre 2009

Perrette et la culture en pot

« L'hyperdémocratie ne veut pas de hiérarchie, or la culture est toute hiérarchie. L'antiracisme dogmatique ne veut rien savoir de l'origine, or la culture n'est que tâtonnements autour de l'origine, et c'est seulement à travers cette quête toujours déçue – nécessairement déçue car l'origine est toujours plus haut, toujours en amont – qu'elle accède à l'universel. Il n'y a pas de culture possible en régime hyperdémocratique dogmatiquement antiraciste, et, de fait, nous la voyons disparaître sous nos yeux. Qu'elle soit prétendument partout n'abuse que ceux qui veulent être abusés : elle est partout parce qu'elle n'est plus nulle part. C'est le résultat d'un tour de passe-passe sémantique auquel les origines captieuses de son nom l'exposaient tout particulièrement. Tout ce qui relève de près ou de loin du divertissement, de l'occupation des loisirs, de la gestion du temps libre, pour peu qu'il ne s'agisse pas de l'amour ou du sport (et encore, même ceux-là pourraient bien être rangés rapidement dans la vaste rubrique des “activités culturelles” : qu'y a-t-il de plus “culturel” après tout ?), est désormais paré du nom de culture, qu'il s'agisse de visites de caves en Touraine ou d'ateliers de macramé, de concerts d'électro-pop ou de one-man-show d'amuseurs : autant de prétextes à activités culturelles, prises en compte d'une âme égale et d'un cœur indifférent par les sociologues et statisticiens de la culture. Même la gastronomie a été annexée. Et il n'est pas jusqu'à l'institution la plus contraire à la culture, j'ai nommé la télévision, qui n'ait été rangée nominalement sous ses bannières, non pas au prétexte qu'elle est quelquefois culturelle, ce qui n'est pas tout à fait faux, quoique ce soit de moins en moins vrai, mais sans prétexte du tout, si ce n'est qu'elle relève de l'industrie culturelle, au même titre que le tout-venant du cinéma, Disneyland ou la production massive de disques et de DVD de variétés. Au demeurant cette seule appellation oxymoresque d'“industrie culturelle” prouve assez, comme la “marque Louvre”, que nous sommes à cent lieues de ce que fut la culture.

« Ceux qui soutiennent le contraire, les ravis, les amis du désastre, les enchantés du temps, ont recours aux chiffres, aux statistiques, au nombre d'entrées, qui ont été le grand moyen sociologique du mensonge pour persuader le peuple et les individus, depuis l'avènement médiatique des sciences humaines, qu'ils ne vivaient pas ce qu'ils vivaient, ne voyaient pas ce qu'ils voyaient, jugeaient à tort et à travers de ce qu'ils ressentaient. Ainsi il n'y aurait jamais eu autant de monde dans les musées, ni de public pour les grandes expositions. Et comme c'est vrai ! Un homme comme Jack Lang excipe de ces vérités-là chaque fois qu'il en a l'occasion, et de ces chiffres, et de ces foules, pour ressasser indéfiniment son vieux rêve selon laquelle la culture, depuis trente ans, aurait gagné à elle d'innombrables couches nouvelles de la population, aurait progressé (encore inégalement, trop inégalement, précise-t-il avec un scrupule qui l'honore) dans toutes les zones du territoire, se serait répandue comme une cordiale chaleur dans toutes les pièces de la maison France, si ce n'est du château Europe. Hélas ! si la culture s'est répandue, c'est comme le lait de Perrette, ou plutôt comme un précieux chrême échappé du ciboire qu'ont laissé choir des clercs imprudents, ou demi-apostats, et ses filets sèchent en croûte sur les dalles descellées du sanctuaire. »

R. Camus, La Grande Déculturation, Fayard, p. 75-77.

7 commentaires:

  1. Magnifique. Superbe. Vrai. Terrible. Qu'est-ce je regrette d'avoir un fils. Que vais-je lui dire ou expliquer...? Ce sera tellement compliqué. Oh magnifiques Putains de mon esprit, comment vous transmettre ? Nom de Dieu, cela fait 4 ans que je bosse dans l'événementiel comme ils disent... et ça n'est que surenchère de conneries, de projets farfelus et inutiles. Mais tout est mis sous le nom de culture, d'artiste, de mis à part... Saloperie ! Ça n'est que fumisterie ! Et ce Monsieur qui se prend pour qui (défenseur des droits de l'homme, de la création, de l'universalité), et cette Dame qui prétend que cet art est nouveau, intelligent et subversif ! Non ! Il n'en est rien ! Et ce con de Lang, que l'on croise, rarement (heureusement, j'lui fouterais un de ces coups de boules!), dans mon patelin... pédé... il a tout foutu en l'air avec ses fêtes de la musique... Fête de mon cul ! C'eut été mieux... Allez, le billet (c'est comme ça qu'on dit, hein ?) est superbe, à diffuser sur les grandes ondes, si il y a encore des oreilles (très juste la télé. Je condamne plus loin.) Désolé pour la grossièreté. Et puis merde...

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  3. "A leur soif de culture, il leur fallut un guide, beaucoup choisirent l'Usurpateur et s'en firent un ministre pour les conduire au puits"
    (Supprimé ci-dessus parce que c'est mieux sans les fautes)

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  4. Ce que je ne comprends pas c'est le but visé. Est ce qu'il souhaite que la culture soit une chose dont personne n'a connaissance ou bien juste, réservée à quelques uns ? Que tout soit mis sous cette bannière, c'est exagéré, évidemment mais alors qui décide de ce qui est culture et de ce qui est entertainment ? Qui détient le "bon goût" pour choisir pour les autres ?
    La critique est juste dans sa forme mais sur le fond, je ne vois pas le projet !
    :-))

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  5. Clotaire : mais non, vous avez raison, il faut un peu lâcher la bonde de temps en temps !

    Dusport... : C'est de qui ?

    Poireau : il n'y a pas de but ! Ce livre n'est pas un programme, mais une tentative de constat.. Pour le "bon goût" il était formé par l'épaisseur même des siècles, je crois. Et, bien entendu, largement par la classe dominante, la classe "modèle" (au sens girardien du mot).

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  6. Bonjour Didier,

    sur vos conseils, j'ai acheté la la grande déculturation, je prends consciencieusement des notes et je prépare un billet pour début 2010 sur ce constat de Renaud Camus. Mais j'ai déjà quelques pistes de réflexion:

    La première est que l'on a fait de la culture ce que l'on essaye de faire avec le sport. En gros trainer des gens qui détestent le sport dans des clubs de sport sous l'alibi du bien-être, de la santé...ON a donc traîné dans des musées. des expos...des gens qui n'en avaient rien à foutre...pour faire une comparaison, trainer de force ces gens dans des manifestations culturelles, c'eût été comme trainer Churchill sur une piste d'athlétisme, lui qui répondait "double scotch, no sport" au secret de sa longévité...

    enfin une des autres pistes de réflexion est que les troupeaux que l'on a trainés de force dans les manifestations n'ont pas les codes culturels pour apprécier ces oeuvres...codes qui ne sont transmis ni par les parents, ni par l'éducation nationale...et là Renaud Camus se fait relativement kantien..et je suis tout à fait d'accord avec lui...

    Quant aux mécanismes qui ont amené à cette situation, j'y reviendrai dans mon billet...

    Enfin Renaud Camus donne une définition de la culture qui me semble pas mal, j'en cherchais une, je ne l'ai pas exactement en tête mais ça donnait quelque chose du style "culture, proximité qu'a une personne avec la littérature, la science, les arts...considérés comme tels par le collège des meilleures des personnes dans ces mêmes disciplines, collège qui peut bien sûr varier aux marges"...ce n'est pas la définition exacte, mais la thèse y est, en gros est culture ce que Mozart, Voltaire, Shakespeare considéraient comme telle...

    Je vous confiance pour retrouver cette définition, cher Didier...

    Cordialement

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  7. Une description dans l'air du temps, résumée par un homme de "gauche", Luchini, se gaussant sur les ondes de son public d'"abonnés au théâtre" -la formulation exacte m'échappe, le propos était saisi au vol dans une salle envahie par un brouhaha, je tente d'en restituer le sens-: la démocratisation de la culture et des connaissances ont affaibli leur contenu et chacun ne possède désormais qu'un semblant, qu'un fantôme de savoir; avant il fallait y accéder dans l'effort et cela en renforçait la possession et l'usage; aujourd'hui chacun croit connaître ce qu'on lui a donné pour vrai, un remâché qui se dilue dans le non-effort.
    (par ailleurs, il est savoureux d'entendre cette critique dans les propos de quelqu'un qui participe, comme F.Luchini le fait, à cette "démocratisation" diluée d'un savoir)

    J'avais commencé à me mettre à lire du R.Camus (tardivement, la lecture de l'auteur étant préconisée par des personnes tendance gris-pessimisme et marron-réac, j'avais longtemps hésité à m'y plonger) quand la polémique sur son "antisémitisme" supposé avait remué le Landernau médiatique.
    Du coup, lâchant tout ce qui crée un "beugue" de ce genre en attendant le retour au calme pour ne pas être influencée ni par ses détracteurs ni par ses défenseurs, j'avais mis de côté "le" R.Camus acheté (je ne sais plus quel livre c'était, méchante mémoire, et impossible de le retrouver, il a dû rester dans des cartons, dommage).

    C'est peut-être l'occasion de combler une lacune probable (entre multiples autres, je le crains), en tout cas.

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