« Nous ne sommes pas venus ici pour couvrir une guerre, nous voulions juste voir une révolution, comme celle en Tunisie »Une révolution en trois D et en temps réel, voilà ce qui leur semblait fun, furieusement peuple-en-lutte, à nos jeunes modernœuds hexagonaux. Les sables de la Libye en direct live, c'était quand même autre chose que de jouer à insurrection-sur-blog tous les jours à heures fixes depuis sa petite piaule d'étudiant, non ? Là, on allait faire dans le tourisme de l'extrême, l'Ushuaïa à balles réelles. Et en plus, on ne risquerait rien, puisqu'on est les gentils. Et que, comme il a été pleurniché ensuite, “ on était juste là pour voir, M'sieur, c'est trop injuste à la fin, ces blockbusters qui massacrent même les spectateurs ! »
Ce n'est pas injuste, c'est bien fait. Je reconnais que pour apprendre que l'eau mouille, que la guerre tue et que la bonne conscience n'est pas un gilet en kevlar la leçon est cher payée – mais c'est bien fait tout de même. Je ne vois pas pourquoi la connerie satisfaite et ostentatoire devrait toujours rester impunie. L'avalanche du skieur hors-piste, l'arraisonnement pirate du caboteur en eaux somaliennes ou la balle perdue pour le warrio-touriste, c'est du pareil au même : bien fait.
Le seul bémol c'est la souffrance que l'on imagine chez les braves gens qui ont enfanté ce crétin et qui, eux, sont peut-être tout à fait normaux – et donc dans l'incapacité de comprendre ce qui a bien pu se produire pour que leur petit garçon, d'une belle gravité rieuse autrefois, se transforme un sale jour en ce cyborg progressiste, enragé de rédemption introuvable. Ils pourront toujours se dire qu'aux rescapés indemnes de ce war tour il reste encore un espoir collectif, ainsi que le signale L'Express.fr en guise de conclusion : « Après avoir financé leur voyage en Libye sur leurs propres deniers, ils espèrent pouvoir vendre leurs reportages à leur retour en France. »
Je crains que la consolation ne leur soit maigre, mais enfin : pendant le travail du deuil, les affaires continuent, le show goes on – et tournent, tournent les révolutions en dolby.
Et un petit bonus, qui dit ce qu'il faut dire :
MINNIMUM RESPECT / PHILIPPE MURAY
Rien n'est jamais plus beau qu'une touriste blonde
Qu'interviouwent des télés nipponnes ou bavaroises
Juste avant que sa tête dans la jungle ne tombe
Sous la hache d'un pirate aux manières très courtoises.
Elle était bête et triste et crédule et confiante
Elle n'avait du monde qu'une vision rassurante
Elle se figurait que dans toutes les régions
Règne le sacro-saint principe de précaution
[...]
Elle avait découvert le marketing éthique
La joie de proposer des cadeaux atypiques
Fabriqués dans les règles de l'art humanitaire
Et selon les valeurs les plus égalitaires
[...]
Sans vouloir devenir une vraie théoricienne
Elle savait maintenant qu'on peut acheter plus juste
Et que l'on doit avoir une approche citoyenne
De tout ce qui se vend et surtout se déguste
[...]
Dans le métro souvent elle lisait Coelho
Ou bien encore Pennac et puis Christine Angot
Elle les trouvait violents étranges et dérangeants
Brutalement provocants simplement émouvants
[...]
Elle se voyait déjà mère d'élèves impliqués
Dans tous les collectifs éducatifs possibles
Et harcelant les maîtres les plus irréductibles
Conservateurs pourris salement encroûtés
[...]
Elle disait qu'il fallait réinventer la vie
Que c'était le devoir du siècle commençant
Après toutes ces horreurs du siècle finissant
Là-dedans elle s'était déjà bien investie
[...]
Faute de posséder quelque part un lopin
Elle s'était sur le Web fait son cybergarden
Rempli de fleurs sauvages embaumé de pollen
Elle était cyberconne et elle votait Jospin
[...]
L'agence Operator de l'avenue du Maine
Proposait des circuits vraiment époustouflants
Elle en avait relevé près d'une quarantaine
Qui lui apparaissaient plus que galvanisants
[...]
Elle est morte un matin sur l'île de Tralâlâ
Des mains d'un islamiste anciennement franciscain
Prétendu insurgé et supposé mutin
Qui la viola deux fois puis la décapita
C'était une touriste qui se voulait rebelle
Lui était terroriste et se rêvait touriste
Et tous les deux étaient des altermondialistes
Leurs différences même n'étaient que virtuelles




























