Ce matin, et probablement toute la journée, et encore demain pour les retardataires, si on veut se promener dans la blogosphère sans risquer le refroidissement ou le rhume de cerveau (de cerveau ? De cerveau ?), il vaut mieux se chausser de grandes bottes en caoutchouc : ce n'est plus un torrent de larmes, c'est un fleuve en crue, que dis-je ? C'est une marée montant à la vitesse de Max Gallo dans la baie du Mont-Saint-Michel.
Tout ce déluge à cause d'un chanteur mort – ou décédé, comme disent les modernes qui croient se piquer de délicatesse et ne font que parler une langue de commissariat ou de guichet de la Poste, un idiome fleurant bon son formulaire en trois exemplaires. Vous verrez que, le jour où l'on annoncera la mort d'Henri Dutilleux – si on prend la peine de l'annoncer –, il n'y en aura pas un pour bouger une oreille. Anticipant cette indifférence, et soucieux de la corriger, j'écoute Ainsi la nuit, en une sorte d'hommage ricochet à M. Alain B.
Tout ce déluge à cause d'un chanteur mort – ou décédé, comme disent les modernes qui croient se piquer de délicatesse et ne font que parler une langue de commissariat ou de guichet de la Poste, un idiome fleurant bon son formulaire en trois exemplaires. Vous verrez que, le jour où l'on annoncera la mort d'Henri Dutilleux – si on prend la peine de l'annoncer –, il n'y en aura pas un pour bouger une oreille. Anticipant cette indifférence, et soucieux de la corriger, j'écoute Ainsi la nuit, en une sorte d'hommage ricochet à M. Alain B.
Bel hommage !
RépondreSupprimerPoursuivez-vous vos combats idéologiques post-mortem?
RépondreSupprimerTu astout a fait raison Didi. Ainsi, j'en veux pour preuve la récente disparition de Michel Blanc qui est passée quasi inaperçue et à qui l'on doit quand même cette jolie phrase "J'irais m'éclater avec ma copine de ch'val", grand moment de poésie.
RépondreSupprimerNicolas : en un sens, vous avez parfaitement raison.
RépondreSupprimerHenri : où voyez-vous de l'idéologie là-dedans ?
Kris : GÉRARD Blanc. Michel Blanc, lui, va très bien, merci pour lui.
On entend d'autres délicatesses bien plus ridicules, du genre "le pronostic vital est engagé"!
RépondreSupprimerQu'en pense Pluton?
Orage : sauf que, là, ce serait plutôt : "Le pronostic vital est dégagé"...
RépondreSupprimerMais on va encore me dire que je ne respecte rien.
En fait, on emploie des périphrases pour tenter puérilement de se prémunir contre les Vertiges de la mort...
RépondreSupprimerNe chantez pas la mort c'est un sujet morbide
RépondreSupprimerLe mot seul jette un froid aussitôt qu'il est dit
Les gens du show-business vous prédiront le bide
C'est un sujet tabou pour poètes maudits.
Je la chante et dès lors miracle des voyelles
Il semble que la mort est la soeur de l'amour
La mort qui nous attend et l'amour qu'on appelle
Et si lui ne vient pas elle viendra toujours.
Jean-Roger Caussimon
On me dit jamais rien à moi. Et depuis quand tu as de la musique de ce monsieur ?
RépondreSupprimerJe me disais aussi !
RépondreSupprimerCatherine, Ainsi la nuit est un quatuor de Dutilleux...
RépondreSupprimerJe vais rajouter des liens, tiens.
ne t'inquiète pas, au jour de ton trépas toi aussi tu seras pleuré, la nuit venue, car, toi aussi tu mouriras; et, tu nous (leur) enverras du Dutilleux... en direct live du paradis, toi "chimère" ou "ididier d'homme" :-)) Sinon, sympa l'hommage déguisé.
RépondreSupprimerQuand même, le monde est trop cruel... Alain Bashung, 61 ans, artiste talentueux disparait et Régine, 79 ans, sort un disque de duo, avec, entre autre, Pierre Palmade, Boy Georges ou Cali, c'est vraiment trop injuste... Mais que fait Dieu ???
RépondreSupprimerBah! ce n'est au fond qu'un concert d'attendrissement sur soi, pas même une main tendue au mort par-dessus le grand passage. Il est parti seul comme on crèvera tous, ce que ces émois convenus dissimulent. J'imagine qu'une bonne partie des gens en posture éplorée, jeunes, découvrent là qu'une portion de leur vie est croquée, ce qui est toujours émouvant…
RépondreSupprimerDidier : merci !
RépondreSupprimerOrage : Vous avez raison, c'est une expression ridicule. Je préfère dire "il est cuit", au moins tout le monde comprend...
( smiley of course ).
Kris : j'étais en vacances... wouarf ! Mais l'injustice est courante, trop à mon goût !
Rien de choquant dans le traitement de la mort de Bashung. Gérard Blanc n'était plus trop dans l'actualité, Bashung si. Un artiste à la fois très populaire et très apprécié de la critique, c'est rare. Certaines de ses chansons sont à frémir (Aucun express). Si vous lisiez quelques-unes de ses interviews, vous sauriez qu'il était au surplus assez intelligent, d'une sensibilité pas très éloignée de la vôtre, Didier Goux. Dutilleux ? Vous ne ferez croire à personne qu'il est populaire. Henri Pousseur est mort cette semaine sans que cela provoque beaucoup d'émotion. Si ça tombe. je vous l'apprend. Rien d'anormal à cela. Le Coucou parle d'émoi convenu, mais moi, depuis hier, je suis triste tout seul dans mon coin, comme cela m'arrive rarement s'agissant d'un artiste. Pas eu besoin de lire la presse pour ressentir de la peine.
RépondreSupprimerPour aller dans le sens de Yanka, je signale que France Culture rediffuse à partir de demain et jusqu'à vendredi prochain les entretiens qu'Alain Bashung avait eus avec Franck Mallet en 2003.
RépondreSupprimerMerci pour cette info, Chieuvrou.
RépondreSupprimerJe reviens à Bashung. D. Goux l'appelle « un chanteur ». Il était un peu plus que ça tout de même : un magnifique, parfois très émouvant interprète (Jamais d'autre que toi, poème de Desnos mis en musique dans l'album L'imprudence), sans cette détestable emphase que l'on retrouve souvent chez Ferré. Le seul équivalent que je trouve, c'est le Brassens d'Heureux qui comme Ulysse qui vous arracherait des sanglots par sa façon de chanter, à certains endroit, lorsque sa voix se brise presque, vous titillant les fibres.
La mort de Bashung est retentissante aussi pour des questions d'actualité. Il y a quinze jours il recevait trois Victoires de la Musique. Il y était, et on voyait bien qu'il était au bout de sa route : parvenant à peine à soulever son trophée. Il faut être un sans-cœur pour n'avoir pas envie de chialer en voyant son émotion devant un public qui lui faisait une ovation debout.
Le problème avec Didier Goux, c'est qu'il feint de détester les chanteurs, c'est qu'il s'enferre parfois dans une réaction assez convenue, ma foi. J'aime Bashung, j'aime Manset, j'aime Souchon, j'aime Miossec, et je serai certainement ému quand Gérard Lenorman cassera sa pipe, parce que j'ai été un enfant. Cela ne m'empêche aucunement de lire Proust, d'écouter Purcell, de contempler Renoir. Il n'y a pas d'un côté la culture populaire des ploucs et celle d'élite des loups. Les choses sont un peu plus subtiles que cela, un peu plus compliquées. Les chanteurs sont nos poètes d'aujourd'hui. Il va de soi qu'il y a eu et qu'il y a de mauvais poètes. Bashung m'a fréquemment touché, c'est pourquoi sa mort me peine.
Yanka a dit fort bien tout ce que je pensais depuis la lecture de ce billet sans savoir par quel bout le dire. Une chanson ça peut accompagner toute une vie, comme ça.
RépondreSupprimerEt résumer Bashung à un chanteur, c'est en effet très réducteur.
Yanka : Je vous accorde d'autant plus facilement tout ce que vous voudrez à propos de Bashung que je ne le connais pas, hormis deux ou trois "tubes" (Gaby, Vertiges de l'amour...) du début des années 80.
RépondreSupprimerPar ailleurs, je ne déteste nullement les chanteurs (j'ai déjà dit, il me semble, tout le bien que je pensais de Trenet, de Ferré (avec des réserves pour ce dernier), Morelli, et d'autres) ; il m'arrive de trouver excessive la place qu'ils occupent et l'absolu mélange des genres dont ils sont le prétexte le plus voyant.
Je suis parfaitement d'accord pour dire que l'on peut tout à la fois aimer Mallarmé et Bobby Lapointe (que je déteste, mais c'est juste un exemple) ; ce que je trouve dommage, c'est qu'on en arrive à les confondre. Proust lui-même adorait Félix Mayol qu'il allait souvent écouter chanter. Croyez-vous qu'il le considérait pour autant comme un "poète de notre temps" ?
Vous parlez de Gérard Lenorman. Bon. Moi-même, je serai sûrement fort touché lorsque Aznavour mourra, pour des raisons en effet toutes sentimentales et familiales. Est-ce que mon émotion fera d'Aznavour un Baudelaire ou un Stravinsky des temps modernes ? Non, évidemment. Je serai ému, bouleversé peut-être, par la mort d'un chanteur de variétés, voilà tout – et c'est déjà beaucoup.
Que cette mort (celle de Bashung) ait pu toucher des tas de gens, je ne trouve au fond rien de bizarre à cela, et encore moins de scandaleux. Disons que, hier, la déferlante d'in memoriam stéréotypés sur la plupart des blogs où je mettais les pieds m'a un peu agacé...
Quant à Pousseur, vous avez raison : c'est vous qui me l'apprenez.
« Proust lui-même adorait Félix Mayol qu'il allait souvent écouter chanter. Croyez-vous qu'il le considérait pour autant comme un "poète de notre temps" ? »
RépondreSupprimerNon, parce qu'en ce temps-là il y avait encore des poètes. Et puis, qu'en savons-nous ? Joyce adorait les limericks et les préférait certainement à la poésie poétisante et à la poésie cérébrale. Je crois me souvenir que Kafka raffolait de Courteline. On peut être un fin gourmet doublé d'un grand cuisinier et préférer une simple omelette à tous ces plats sophistiqués que nous propose la Nouvelle Cuisine.
Je n'écoute pas la radio et ne regarde pas la télé, donc je ne sais comment la mort de Bashung a été traitée sur ces médias. Une chose m'a énervée cependant : les premiers hommages, comme dégainés, émanaient du monde politique et industriel (Sarko, Fillon, Albanel, Nègre). Un Sarkozy, avec son gout de merde pour les chanteurs décavés, qui fait l'éloge de Bashung, ça craint. Je n'imagine pas qu'il puisse apprécier Bashung, si bien que son hommage sonne faux, comme sonnerait faux un hommage de ma part à Sollers s'il mourrait.
Je serai triste aussi quand Aznavour mourra, si ça peut vous rassurer.
Les politiques, bof... ça fait partie de leur job, et ce ne sont même pas eux qui pondent les dix lignes qu'ils ânonnent.
RépondreSupprimerEt puis, soyons justes, tout de même : si Sarkozy n'y était pas allé de son petit hommage convenu, toute la blogosphère de gauche lui serait tombée sur le poil sous prétexte qu'il se foutait des artistes et de la culture, alors...
Qu'est-ce qu'on vient foutre dans cette histoire, nous ?
RépondreSupprimerNicolas : cogner sur Sarkozy dès que l'occasion s'en présente (et je reconnais que ça ne manque pas), c'est quand même un peu votre job, non ?
RépondreSupprimerOui, mais enfin prétendre qu'on lui aurait taper dessus si...
RépondreSupprimerNicolas et Didier: plus je me fais censurer sur les blogs des autres, et plus j'apprécie les vôtres...
RépondreSupprimerC'est parce que les autres blogueurs sont des imbéciles : ils ne savent pas qu'un bon blog doit avoir un troll pénible.
RépondreSupprimerSuzanne : chante, beau merle, chante...
RépondreSupprimerNicolas : non, moi, je n'en ai pas. Enfin, plus...
Suzanne ne commente pas ici ?
RépondreSupprimerJe peux difficilement considérer Suzanne comme un troll, quand je suis d'accord avec elle neuf fois sur dix...
RépondreSupprimerIl ne devait pas être si bon que ça, ce Bashung, j'ai entendu parler de lui avant d'apprendre sa mort.
RépondreSupprimerFinalement, à relire tout le monde, ici et ailleurs, je comprends mieux l'émotion suscitée par la mort de cet homme. Je ne connaissais de lui que cette rengaine avilie par la pub à la radio, "Ma petite entreprise", et une interview récente au moment des Victoires de la musique… Je me souviens d'avoir été ému à la mort des Brassens, Brel, Leclerc, Mouloudji, et d'autres encore. Et c'est vrai qu'une culture personnelle accueille toutes sortes d'intérêts. J'aurais bien du mal à comparer les regrets éprouvés à la mort de ces chanteurs avec celle d'auteurs ou poètes comme Neruda, Julien Gracq (pour m'en tenir à deux noms que rien ne rapproche) ou encore un pianiste comme Samson François. Toutes morts ressenties comme des pertes, alors que je dois à mon âge d'avoir vu défiler avec une curiosité indifférente 6 papes, ornements non négligeables de ma culture occidentale.
RépondreSupprimer.. j'avais bien aimé Jean XXIII, et j'étais fan de Samson François..
RépondreSupprimerje crois facilement que les 3/4 des gens qui entendent Ma Petite Entreprise" passent à côté de ce quoi il est question...
Le fait est, comprend qui peut, comme chantait, sur un sujet un peu analogue, ce cher Boby Lapointe.
RépondreSupprimer(oui, encore lui, désolé M'sieur Goux... ; si je puis me permettre, j'ajoute que le Boby en question ne prend qu'un B)
À part ça, le fait que Proust aimait, dites-vous, Félix Mayol me rappelle que Freud admirait Yvette Guilbert.
RépondreSupprimerQuelle conclusion en tirer ? Je ne saurais dire.
(en fait, je cherchais juste un prétexte pour préciser en passant que le « ; » de ma parenthèse ci-dessus n'était en rien un de ces gentils clins d'œil merdiques mais bel et bien un point-virgule)
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerBashung rassemble les générations autour d'une icône et permet un doux apitoiement sur soi (amours de vacances, etc.). C'était le fonctionnement de l'ancienne économie musicale de masse.
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