mardi 25 mai 2010

L'hypocrisie française, vue de Russie (et du XIXe siècle)

Les Golovlev (1880) est l'œuvre la plus connue de Mikhaïl Saltkykov-Chtchédrine, l'un des grands romanciers russes du XIXe siècle, avec Gogol, Dostoïevski et Tolstoï. On pourra leur adjoindre Tourgueniev, bien qu'il soit beaucoup moins russe que les quatre autres. Saltykov-Chtchédrine est intensément russe, me semble-t-il. Mais je reviendrai sur lui, je pense, lorsque j'aurai terminé ses Golovlev, dont je n'ai pour l'instant lu qu'une petite moitié. En attendant, je voudrais juste en donner cet extrait (éditions Sillage, p. 162-163):

« En France, l'hypocrisie est développée par l'éducation, elle constitue, en quelque sorte, le fond des “bonnes manières”, et elle a presque toujours une teinte politique ou sociale marquée. Il y a des hypocrites de la religion, des principes sociaux, des hypocrites de la propriété, de la famille, de l'État, et ces derniers temps même sont apparus des hypocrites de l'“ordre”. Si cette sorte d'hypocrisie ne peut être qualifiée de conviction, c'est en tout cas le drapeau autour duquel se rassemblent les gens qui trouvent leur compte à être hypocrites de cette façon plutôt que d'une autre. Ils le sont consciemment, dans le sens que réclame leur drapeau, c'est-à-dire qu'ils savent qu'ils sont hypocrites et savent en outre que les autres ne l'ignorent pas. Dans la pensée du bourgeois français, l'univers n'est pas autre chose qu'une vaste scène sur laquelle se donne une éternelle comédie, dans laquelle un hypocrite donne la réplique à un autre. L'hypocrisie, c'est l'invitation à la décence, au décorum, à une belle mise en scène, et, surtout, c'est un frein. Non, bien entendu, pour les pharisiens qui planent dans les hauteurs de l'empyrée social, mais pour ceux qui sans astuce grouillent au fond du chaudron. »

Saltykov-Chtchédrine ne nous aimait pas beaucoup. En cela aussi, il est très russe. Dostoïevski également détestait les Français, pour des motifs surtout religieux mais pas exclusivement : notre côté “laïcard repu” l'exaspérait.

8 commentaires:

  1. Eh, il avait peut-être raison Dostoievski (que je n'ai jamais été fichue de lire, tant pis pour moi...).
    Estelle92
    PS : j'ai bien un compte Google, mais il refuse de me reconnaître...Encore tant pis pour moi !!!

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  2. C'est pour ça que j'ai toujours instinctivement détesté toute idée de révolution ; française ou russe. Moi, je suis un bien bel hypocrite, sans toujours bien comprendre et sans toujours bien le défendre. Je me renseignerais sur cette auteur. (Je me bats encore avec d'autres)

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  3. Comme du les Russes n'étaient pas des entubeurs de première !! Et je dis rien des orthodoxes, que c'est tout dans le décorum et le théâtral ! Ah mais il parlait peut être uniquement " des Zautres" ... La paille, la poutre, l'oeil le doigt dedans... Tout ça ;-))

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  4. Il me semble tout de même que Dostoïevski aimait beaucoup Balzac et qu'il avait appris le français n son honneur. Ce qui devrait lui rendre la France moins antipathique, n'est-ce pas?

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  5. J'y repense. Dostoïevski a écrit le bourgeois de Paris, c'est très finement observé. Son jugement, sur les français, quel qu'il soit, doit être bien fondé.

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  6. L'amour et la détestation, sont parfois bien proches... Pourtant je crois que les Russes aiment bien les façons policées , l'amabilité superficielle mais si agréable des Français, enfin moi ce que j'en dis...

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  7. Excellent extrait !

    J'ai une question : quels sont donc les motifs religieux de detestation des français de Dostoïevski ?

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  8. Dostoïevski appelait les français "une nation brillante". Il s'est rendu compte que ces mêmes français, comme beaucoup d'autres nations européennes, avaient rompu, en grande partie, la relation avec les grandes traditions de leur propre passé.

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.