Après avoir dompté ces deux fauves assoiffés d’argent, les policiers pénétrèrent dans l’enceinte de la cité. Laquelle semblait déserte, à l’exception de deux chats qui se tenaient assis sur leurs derrières respectifs, à environ cinq ou six mètres l’un de l’autre, et qui, si l’on peut se permettre, s’observaient en chiens de faïence.
- Tu crois que leurs locaux sont dans l’un des deux bâtiments, à ces zozos ? demanda Aimé Brichot, le nez en l’air et la mine quelque peu indécise.
Boris Corentin allait répondre qu’il n’en savait rien, lorsqu’un petit noir d’une douzaine d’années fit irruption de l’un des deux halls d’entrée du bâtiment A et vint quasiment buter contre les jambes des policiers.
- Oups ! un peu plus et on était bon pour le crash ! dit-il avec un grand sourire. Faudrait voir à allumer tout grand vos phares, dans la police !
Il allait filer mais Boris Corentin le retint en lui mettant la main sur l’épaule :
- Comment tu sais qu’on est de la police ?
- Ah, vous voyez bien que vous l’êtes ! répliqua le gamin, dont l’esprit semblait aussi vif que les mollets. Sinon vous auriez dit : qu’est-ce qui te fait croire qu’on pourrait être de la police ? ou un truc dans le genre. Voire même : traite-moi encore de flic et je t’en colle cinq sur la joue droite !
- OK, OK, j’avoue, on est de la police ! rigola franchement Boris Corentin. Mais ça ne me dit pas comment tu as fait pour le deviner aussi facilement. Tu t’appelles comment, d’abord ? Moi c’est Boris, et mon collègue c’est Aimé.
- Aimé ? Ça existe vraiment, comme nom, ou c’est pour intriguer les meufs ? répliqua le gamin hilare. Bon, moi c’est Dudule…
Corentin et Brichot ouvrirent les mêmes yeux stupéfaits et incrédules – voire incrédudules. Le gamin leur donna de lui-même les précisions qu’ils s’apprêtaient à lui réclamer :
- Bon, en fait, j’m’appelle Abdullah, comme tout l’monde. C’est le boucher de la rue de Picpus, Monsieur Robert, qui m’a rebaptisé Dudule. C’est un marrant, Monsieur Robert. Enfin, plus exactement, c’est un type qui pense que Monsieur Robert est un marrant…
Boris Corentin dévisagea le dénommé Abdullah, alias Dudule, avec une sorte de respect amusé : ce n’était pas tous les jours qu’on avait l’occasion de croiser la route d’un gamin à la langue aussi déliée.
De plus, il avait vraiment une bonne tronche, Dudule, avec ses grands yeux noirs, ses cheveux coupés très courts et ce sourire si particulier qui semblait flotter en permanence sur ses grosses lèvres – un sourire que Corentin qualifia spontanément d’indulgent, sans bien comprendre lui-même ce qu’il fallait entendre par là.
- Bon, pour ce qui est de mes dons de devin, reprit Dudule, c’était pas très compliqué, vu que, dans cette cité, les seuls Français à y mettre les pieds, à part le facteur – et encore, des fois il est remplacé par un Antillais –, c’est les flics.
- Les seuls Français ? Et toi, tu n’es pas français ? voulut savoir Aimé Brichot.
Le gamin eut un petit haussement d’épaules :
- Si, évidemment que je suis français ! comme tout le monde… Mais je voulais dire : des vrais Français. Des nés ici, avec des parents qu’ont souffert de la faim pendant l’Occupation et des grands-parents qui dorment sous les monuments aux morts, tout le folklore habituel. Des blancs, quoi. Pas du produit d’importation exotique dans mon genre !
- Mais enfin, c’est incroyable, ce que tu racontes ! s’insurgea Aimé Brichot, réellement choqué par ce qu’il entendait sortir de la bouche de ce gamin déluré et bavard. Il n’y a pas des gens qui sont plus français que d’autres, ou moins ! On l’est ou on ne l’est pas, c’est tout !
Abdullah leva vers le ciel ses yeux en boules de loto et regarda Brichot avec un air de bienveillance apitoyé :
- Ah parce que vous croyez que moi et tous les autres qui vivent ici, on a envie d’être des Français comme vous ? Et vous croyez que je suis trop con pour voir la différence entre ma mère dans son boubou bariolé et vos meufs à vous, qui n’aiment que les tailleurs tristes ou alors les fringues de pute ? Mais y a que les autres pleurnicheuses, là, pour s’imaginer des conneries pareilles !
- Les pleurnicheuses ? releva Aimé Brichot. Mais quelles pleurnicheuses ?
Abdullah étendit le bras et fit un geste vague de la main, en direction du fond de la cité ;
- les types et les meufs de l’association Trucmuche mon semblable. Tiens, quand je parlais des seuls Français qu’on voyait ici, je les oubliais, ceux-là !
- Et elles se tiennent où, ces pleurnicheuses ? demanda Boris Corentin, bien heureux de se voir donner le renseignement qu’ils cherchaient sans même avoir à le demander.
Le jeune noir refit le même geste vague de la main droite :
- Dans le baraquement en préfab’ qui se trouve entre le bâtiment A et le B. C’est la mairie qui les a collés là, il a un an ou deux. Avant, c’était une amicale de boulistes ou un truc du genre : des vieux cons, quoi. Mais plus personne n’y venait, parce que les joueurs de pétanque avaient pas envie de se mélanger avec nous autres les nègres. Du coup, ils ont refilé leur taudis aux pleurnicheuses antiracistes.
- Mais pourquoi tu les appelles comme ça ? demanda Boris Corentin en se retenant de rire.
- Ben parce qu’ils passent leur temps à pleurnicher, tiens ! Et même les mecs, hein ! Z’arrêtent pas de se plaindre que la France est raciste, que tous les Français sont des ignobles – sauf eux, évidemment – et que tous les étrangers sont exploités et traités pareils que pendant le vichysme. Moi, ça me fait bien rigoler, quand je vois comment ma mère et les autres mères, elles se débrouillent pour enfler les crétins des services sociaux de la mairie ! Y a des jours, je me demande si c’est pas les Français qui devraient être protégés par les pleurnicheuses, plutôt que nous qu’on leur demande rien !
Boris Corentin eut toutes les peines du monde à interrompre le débit joyeux d’Abdullah, dit Dudule. Il le fit en se disant que si jamais un adulte blanc s’avisait de tenir le même genre de propos que ce gamin noir, il aurait intérêt à se méfier des officines de vigilance du “politiquement correct”…
- Vous contournez ce bâtiment-ci et les pleurnicheuses sont juste derrière, leur répéta Albdullah alors qu’ils s’éloignaient déjà de lui. Enfin, s’il y a quelqu’un, hein ! Ils sont peut-être antiracistes, mais c’est pas des lève-tôt…
Désolée de jouer les relectrices, mais ce texte est si drôle que je me sens obligée de vous signaler la répétition de "esprit délié".
RépondreSupprimerBelle idée : utiliser les BM pour la propagande réactionnaire. En fait, non. Mauvaise idée : les lecteurs sont probablement déjà convaincus...
RépondreSupprimerTrès drôle... Et le titre donc!!
RépondreSupprimerMon pov'Nicolas, c'est pas de la politique réactionnaire c'est la constatation de la réalité ... La politique réactionnaire aurait été d'ajouter qu'il fallait nettoyer le quartier au karcher... See wadda mean? Hum?...
Geargies.
Bon, je vais faire le petit critique...mais je suis pas sûr qu'un petit adbulllah de 12 ans, qui vit dans la cité aie autant de vocabulaire et puisse exprimer ses idées si clairement...je pense sincèrement qu'entre un flic à l'ancienne, bon français, la cinquantaine...et un p'tit gamin des cités, la communication soit un tantinet plu compliquée...amis je comprends vos impératifs...il faut que vos livres soient lisibles pour ceux qui en achètent...
RépondreSupprimerParfois, il m'arrive de demander si Didier Goux ne serait pas un tantinet de mauvaise fois, hein... J'adore le couplet sur l'occupation (ça permet de dater le français, de lui marquer le cul au fer rouge, un peu comme on a la traçabilité du boeuf désormais) et aussi ce petit doute ténu qui semble vous habiter sur la qualité véritablement française de l'antillais. Le hic, avec le roman vaguement idéologique, c'est que du coup, les dialogues semblent un peu téléguidés...
RépondreSupprimerDom : vu l'heure de votre commentaire, je crois que je devais être en train de corriger ce texte au moment précis où vous l'avez fait !
RépondreSupprimerNicolas : j'aime beaucoup vos idées préconçues sur les lectures des réactionnaires.
Geargies : oui, restons consensuels, bordel !
Cherea : ça va de soi ! cet Abdullah-là parle comme un semi-Gavroche (lequel ne devait déjà pas parler comme les gamins de son époque). Ou, si l'on préfère, comme l'auteur du livre aimerait qu'il parle…
Dorham : ce n'est pas moi, c'est Abdullah qui semble considérer que, étant noirs et de naissance lointaine, les Antillais sont plus proches des Africains que des Français. Moi, je pense qu'il a sans doute tort.
Quant aux dialogues, ils mériteraient évidemment d'être refaits et ils le seraient certainement s'il s'agissait d'un vrai roman, d'un personnage important, etc. Et surtout si ce petit passage n'avait pas jailli en cinq minutes et sans que rien ne le laisse prévoir.
Enfin, si j'ai le temps à la relecture de l'ensemble (ce qui m'étonnerait…), je tâcherai de ciseler ça un peu plus finement.
Didier,
RépondreSupprimerMouarf. Je n'ai aucune idée préconçue sur la lecture des réactionnaires, juste sur les lecteurs des BM.
Texte surréaliste qui montre que vous n'avez jamais mis les pieds dans une cité, et sans doute rarement discuté avec des "dudules"...
RépondreSupprimerEn effet : que voudriez-vous que j'aille faire dans une cité ?
RépondreSupprimerQuant à mon dialogue, il n'a absolument rien de "surréaliste" : il est juste inventé. Imaginaire.
Il y en a certains ici qui ont visiblement du mal avec le concept de personnage.
RépondreSupprimerTout un pan de la civilisation occidentale qui part en sucette...
Mouarf ! Une sucette dans un BM…
RépondreSupprimerLa Crevette, suffit de sauter les passages scabreux.
Suçon au Québec = sucette en France et vice et versa.
RépondreSupprimerDidier,
RépondreSupprimerC'est vrai : confondre narrateur et écrivain (même en bâtiment) est une faute. Il faut dire aussi que le fait de vous lire un peu tous les jours a tendance à tronquer le jugement.
Dorham : oh, à vrai dire ils se confondent très souvent, bien entendu. Le malheur a voulu que vous pointiez LE passage où justement ils ne se confondent pas.
RépondreSupprimerVous êtes malicieux, Didier.
RépondreSupprimerLà où c'est très drôle ... C'est que si on lit ce qu'ecrivait certain à 18 ans, il aurait très bien pu tenir ce discours là , à disons14/15 ans ;-)) et il ne s'agit pas de Rimbaud ...
RépondreSupprimerGeargies.
...lorsqu’un petit noir d’une douzaine d’années fit irruption de l’un des deux halls d’entrée du bâtiment A et vint quasiment buter contre les jambes des policiers.
RépondreSupprimerBon à 12 ans il a de la répartie et tout ce qu'on voudra, mais "buter contre les jambes des policiers" c'est en faire le locataire des épaules des géants qui l'ont précédé. Aujourd'hui, la rencontre avec un Dudulle de 12 ans se fait en pleine tronche.
Dorham : moi, malicieux ? vous voulez rire…
RépondreSupprimerGeargies : Vous pensez à qui au juste ?
Bernarde de : alors, là, vous avez raison ! Cela tient au fait que, dans un premier temps, mon Dudule m'est apparut comme un gamin, à peine plus vieux que le négrillon qui illustre ce billet. Ce n'est que dans un deuxième temps que je l'ai vieilli afin de le rendre (un peu) plus vraisemblable. Mais j'ai oublié de corriger le coup des jambes.
Mr Didier Peut être le savez vous déjà, mais je viens d'apprendre que Eric Zeymour a été condamné aujourd'hui pour avoir dit une vérité. Faites donc bien attention à ce que vous écrivez… Le débat est désormais "muselé". J'espère que ce commentaire ne me vaudra pas quelques semaines de prison. Si vous savez où l'on va pourvoir demander un asile politique, merci du renseignement.
RépondreSupprimerNon,vous n'avez pas besoin de vous exiler, Julie, ici sur ce site, si le coeur vous en dit, les déclarations racistes sont assez bien acceptées.
RépondreSupprimerMais Catherine, je n'ai rien contre les suçons et les sucettes moi!^^
RépondreSupprimerPierre : vous avez raison, c'est une honte! on devrait les dénoncer… Allez y Pierre…
RépondreSupprimerJe pense à Claude M'Bala.
RépondreSupprimerGeargies
Vaucluse : un collégien "tombé" pour trafic de sucettes
RépondreSupprimerhttp://tinyurl.com/6fnqh9o
Mouarf ! Enfin, pendant qu'on embastille les dealers de sucettes de souche, on ne fait pas chier les gentils marchands de poudre qui sont devant le collège.
RépondreSupprimerLe lien.
Oh!! Didier, ce que vous venez d'écrire n'est pas conforme au nouvel "ordre moral"… c'est 2000€ (avec sursis…)
RépondreSupprimerJe vous les verse tout de suite, ou vous préférez un paiement groupé, le 28, pour toutes mes provocations du mois ?
RépondreSupprimerHalal carbonara ?
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