vendredi 22 février 2008

Proust, Céleste, toi et moi (mais surtout moi)

On ne se méfie jamais assez de la vieillesse, mon bon Bergouze. Je sais que tu peux difficilement comprendre cela, mais je te demande simplement de me croire : on en arrive à tout oublier. Ainsi, il y a dix minutes, assis dans le salon, écoutant Webern, un paquet de cigarettes à main gauche et un verre de Gigondas dans l'autre, j'ai trouvé une merveilleuse première phrase pour le billet que je voulais t'adresser. Et puis...

Et puis, pfft ! plus rien ! envolée, la phrase ! Mais, tout de même, je me souviens de ce dont j'avais envie de te parler. De Proust. Marcel. Écrivain. Tu ne l'as jamais lu, je le sais - pas le temps. Petros, je ne jurerais de rien, en tout cas à l"époque.

Car je parle d'un épisode qui s'est passé entre 1981 et 1983. Je peux justifier des deux dates. J'ai lu La Recherche pour la première fois en 1980, lors de ma première et unique période de chômage (oui, ma poule : je fais partie des mecs qui bossent, imagine-toi...). Et puis, en 1984, le crabe s'est intéressé sérieusement à ton cas et tu as eu autre chose à foutre que des virées culturelles beauceronnes. Si tu veux des détails, je me revois parfaitement, dans le jardin de la grande maison de Sologne, sous le sapin, à droite, me colletant avec ce volume de Pléiade (première version, celle en trois tomes, de Clarac et Ferré, celle des Vieux proustiens...) qui me résistait tant qu'il pouvait, j'entendais Proust ricaner comme un connard de pédé qu'il est : "Laisse tomber, abruti, je n'ai pas écrit tout ça pour toi, ferme ce livre !"

Je ne l'ai pas fermé : j'ai horreur de me laisser dicter mes lectures, quelles que soient les moeurs de l'auteur.

Bref, un week-end de ces années quatre-vingts, Petros et toi vous êtes retrouvés dans la grande maison de Sologne. Je suppose que ma mère nous a gavés de nourritures terrestres, ce serait assez son genre, et mon père a dû nous abreuver de vins qu'il pensait fins et qui, bien sûr, ne l'étaient pas. Toujours est-il que, le lendemain, nous sommes partis pour Illiers-Combray.

Je me souviens d'une halte à Châteaudun (où j'ai vécu en 1971 et 1972), dans un bistrot de la place du 18-octobre (sois sympa, ne me demande pas à quoi correspond ce putain de 18 octobre...). Là, première piqûre de rappel : je tombe face à un garçon qui a été l'un de mes "meilleurs copains" (comme on dit à cet âge), Gilles Piedallu (dont le nom m'a à ce point fasciné que je crois l'avoir utilisé dans au moins deux ou trois Brigade mondaine...). Naturellement, nous n'avons rien à nous dire et nous reprenons la route.

À Illiers-Combray, il n'y a à peu près rien d'autre à faire que de visiter la maison de Tante Léonie. Si je me souviens bien (mais je ne suis certain de rien), il y a visite guidée toutes les heures. Naturellement, nous arrivons trop tard (ou trop tôt) ; il faut donc patienter, et Petros, toi et moi nous rapatrions au café de ce village qui, sans Marcel Proust, serait resté bête et triste à pleurer (et même avec lui, d'ailleurs...).

Nous sommes assis à une table de bois verni, je nous revois très exactement, lorsqu'il se produit un certain mouvement dans la rue déserte. Un groupe de piétons, assez jeunes, entourant une très vieille dame. Ils passent.

Nous apprenons, juste après qu'il y a, ce jour-là, je ne sais quel colloque, à Illiers-Combray, consacré bien entendu à Proust, et que la vieille dame que nous venons de voir passer à quelques mètres de nous, est Céleste Albaret (dont, à cette époque, je n'ai pas encore lu les mémoires).

Céleste Albaret, passant dans la rue, et toi, Bergouze, vivant, à une table de bistrot d'Illiers-Combray. Je ne sais plus trop ce que je voulais dire, en commençant ce billet, mais ce souvenir-là : Céleste - Bergouze, eh bien...

Eh bien, rien, en fait. Mais, tout de même, un jour, c'est arrivé. Il s'est produit que, dans ma vie, Marcel Proust et Philippe Bernalin ont, d'une certaine manière, été vivants au même moment et au même endroit. J'en rends grâce à Dieu, s'il me fait l'honneur d'exister.

Sinon, tant pis, j'ai quand même vécu ça...


13 commentaires:

  1. Tu veux ou tu veux pas
    Tu veux c'est bien
    Si tu veux pas tant pis
    Si tu veux pas
    J'en f'rai pas une maladie
    Oui mais voilà réponds-moi
    Non ou bien oui
    C'est comme ci ou comme ça
    Ou tu veux ou tu veux pas

    Tu veux ou tu veux pas
    Toi tu dis noir et après tu dis blanc
    C'est noir c'est noir
    Oui mais si c'est blanc c'est blanc
    C'est noir ou blanc
    Mais ce n'est pas noir et blanc
    C'est comme ci ou comme ça
    Ou tu veux ou tu veux pas

    La vie, oui c'est une gymnastique
    Et c'est comme la musique
    Y a du mauvais et du bon
    La vie, pour moi elle est magnifique
    Faut pas que tu la compliques
    Par tes hésitations

    La vie, elle peut être très douce
    A condition que tu la pousses
    Dans la bonne direction
    La vie, elle est là elle nous appelle
    Avec toi elle sera belle
    Si tu viens à la maison

    Tu veux ou tu veux pas ? hein !
    Quoi ? Ah ! tu dis oui
    Ah ! a a a a a a a
    Et ben moi j'veux plus !
    Ouh ! la la

    Marcel Zanini le papa de Marc-Edouard Nabe.

    iPidiblue dans l'âme.

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  2. Une véritable perle de billet, je pèse mes mots : il eut été dommage de ne voir en vous que le troll d'autres blogs ! Il va sans dire que je vous rajoute fissa dans ma liste de liens (c'est quand même mieux que la légion d'honneur, non ? bon).

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  3. Autant le dire, l'avouer : j'adore me lover au creux de texte comme celui-ci. Merci.

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  4. Monsieur Balmeyer, vous me comblez (moins pour le lien que pour votre flatteuse appréciation...) !

    Anange, votre compliment me serait allé droit au coeur, si je n'avais lu chez vous certain dialogue plus ou moins fielleux...

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  5. Quant à la place du 18-Octobre, rappelons, pour répondre tout de même à la question virtuelle de votre chère Ombre agissante, que son nom ne vise nullement à célébrer la naissance de Jean-Claude Van Damme mais, bien plutôt, à rendre hommage à la vaine résistance des francs-tireurs et gardes nationaux contre les Prussiens lors de la bataille de Châteaudun, à l'issue de laquelle, en représailles, la ville fut pillée, bombardée et incendiée, des civils fusillés, des femmes violées, und so weiter... Bref, un grand classique bien dans l'esprit de cette vieille merde de Bismarck, si je puis me permettre cette réflexion personnelle.

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  6. Bataille de Châteaudun du 18 octobre 1870, naturellement, comme j'ai oublié de le préciser.

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  7. Il fallait que cela fût précisé : merci à l'incomparable M. Chieuvrou.

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  8. Incomparable, c'est beaucoup dire, hormis, sans doute, pour signifier que je ne soutiens guère ordinairement les comparaisons...

    (c'est emmerdant, ça : depuis que vous m'avez appris que la tournure sauf à, telle qu'elle est communément employée, est fautive, je ne parviens plus à rendre la nuance qu'elle permettait d'exprimer par rapport au hormis pour, par ailleurs un peu lourdingue, auquel j'ai dû recourir en l'occurrence ; avez-vous une solution, docteur ?)

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  9. Didier, mon fiel (au goût de miel, tellement je me suis retenue de déverser ma salière dans ce dialogue) ne vous était pas destiné. Je regrette qu'il vous ait touché. (Et je trouve bien dommage qu'un filtre d'amertume vous empêche de profiter pleinement de mes compliments)

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  10. Chieuvrou : non, je ne vois guère de solution. Sauf à se résigner au nouveau sens de "sauf à"...

    Anange, ne vous frappez pas : ça ne m'a pas frappé tant que cela...

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  11. J'en ai la larme au bord du cil, moi pour qui, déjeuner au Grand hôtel de Cabourg, près de la baie vitrée donnant sur la plage, fut une expérience mystique, malgré le côté surfait de la chose, la salle à manger s'appelant salle "Marcel Proust".
    Ah, je n'ai jamais lu les mémoires de Céleste ...

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  12. Ennairam : ça s'intitule Monsieur Proust et c'est chez Robert Laffont.

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  13. Oui, je sais, et curieusement, tout en y pensant parfois, je ne l'ai jamais acheté ...

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.