lundi 2 mars 2009

La Comédie des horreurs, III

Les morts vivants sont des gens comme vous et moi, mais ayant eu dans leur jeunesse une acné extrêmement sévère, si l'on en juge par l'état déplorable de leur épiderme. Ils sont en outre affligés d'une méchante polyarthrite qui leur donne cette démarche primesautière – ou alors ils sont bourrés, je ne sais pas. En tout cas, ils passent généralement l'essentiel du film à chercher un restaurant ouvert, car ils ont toujours très faim ; et comme on ne les accepte nulle part, ça ne s'arrange jamais, sauf s'ils parviennent à coincer un hamburger bipède, généralement adjoint du shérif local, fort en gueule mais perdant facilement la tête.

Le mort vivant est un PF2H (Personnage de film d'horreur hollywoodien) très particulier, en ce sens qu'il fait rire petits et grands, tant il est grotesque, et ne leur file jamais les chocottes. Le spectateur doué d'empathie arrive même à éprouver pour ce perpétuel affamé (la Faculté a émis l'hypothèse que le mort vivant pourrait être systématiquement infecté par le ver solitaire) une forme de pitié, qui le poussera à lui offrir spontanément son voisin du dessous ou sa vieille maîtresse devenue casse-joyeuses, en guise de tapas.

La grande force du mort vivant est qu'il ne s'encombre que très rarement de justification, notamment chez le maître du genre, George Romero. Au début du film, dès les premières secondes quasiment, une tombe s'ouvre brusquement, bousculant la nappe de pique-nique qu'un couple de jeune crétins a cru bon d'installer précisément là, le mort sort du trou, s'ébroue, et c'est parti : à aucun moment on ne vous expliquera le pourquoi du comment. Et c'est tant mieux car – ne me demandez pas pourquoi, mais c'est ainsi –, dès qu'un film de morts vivants tente de vous expliquer la raison de cette résurrection collective, vous pouvez être assuré qu'il s'agit d'une daube.

Autre avantage de ce type de PF2H : sa relation de proximité avec le spectateur. Autant il est difficile, surtout si on se gave en même temps de pop-corn dégoulinant de beurre fondu, de s'identifier à un démon sumérien, un loup des Carpathes ou une chauve-souris multiséculaire, autant, là, c'est facile : le mort vivant, c'est votre grand-mère, Charles Quint, Marilyn Monroe, Valéry Giscard d'Estaing, bref : des gens qu'on a bien connus et dont on n'ignore rien des petites manies qui font le charme de l'être humain, même vaguement terreux.

Le problème, avec les zombies, c'est de les convaincre de retourner sagement sous le gazon au bout d'une hheure et demie, quand il n'y a plus de pop-corn dans le seau et que Kevin a hâte de sortir pour aller conclure avec Jessica. Les mauvais réalisateurs s'en tirent avec de piteux subterfuges, imaginés par leurs scénaristes en bâtiment et en descente d'acide. Par exemple, au bout d'une heure vingt-cinq, l'un des personnages vivants vivants (appelons-les comme ça) constate soudain, et tout à fait par hasard, que les zombies sont violemment allergiques à la voix de George W Bush, ou qu'ils ne supportent pas d'être aspergés de coca, ou n'importe quoi d'autre. Sitôt dit, sitôt fait, on balance à pleins tubes un discours du Georgeounet dans les hauts-parleurs municipaux, ou on déverse du coke dans la citerne des pompiers et, cinq minutes plus tard, tous les morts vivants sont redevenus des morts morts, sans avoir eu le temps de se trouver à becqueter – générique de faim.

Le grand George Romero, lui, a eu l'idée de génie : il termine son film en laissant tous ses zombies en place, de façon à ce qu'ils lui resservent pour le film suivant. L'histoire ne dit pas s'il les nourrit entre temps. Romero a tourné cinq films de zombies, à ma connaissance. Le premier (La Nuit des morts vivants) est de loin son chef d'oeuvre ; le deuxième, qui se passe presque tout entier dans un centre commercial, est encore très bien ; le troisième ressemble à un téléfilm de série Z, le quatrième redevient intéressant, parce qu'il montre les zombies en voie de récupération d'une partie de leur humanité perdue, notamment se réappropriant des rudiments de langage ; et je n'ai pas vu le dernier.

La Nuit des morts vivants est sorti sur les écrans en 68 : là aussi, le spectacle était dans la rue et les protagonistes plus cocasses les uns que les autres. Du reste, aujourd'hui, les acteurs du vaudeville de mai commencent à ressembler dangereusement aux amis de George. C'est bien fait pour eux, ça leur apprendra à brailler jusqu'à pas d'heure : Debout, les forçats de la faim...

12 commentaires:

  1. Brillant exposé, Monsieur Goux, mais peut-être auriez-vous dû quand même préciser que le vrai zombie est caraïbe, ainsi qu'on peut le voir ici ou .

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  2. Il me semble qu'un film du genre sort des sentiers battus: voyez donc "les Revenants".

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  3. Vous rendez ces morts vivants fort sympathiques. Je me demande si on peut les croiser dans la campagne bordelaise... du coté de chez Mauriac par exemple.

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  4. Je ne veux pas faire de mauvais esprit, Didier. Mais ce ne serait pas plutôt 'infeSté' par le ver solitaire ?

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  5. Chieuvrou : vous avez raison. J'ai pris le mot dans son sens "hollywoodien".

    Homer : tiens, il ne me dit rien, celui-là ! Mais peut-être l'ai-je vu en ayant oublié le titre. De koikicoz ?

    Juliette : Mauriac ferait un mort vivant de première catégorie !

    Antoine : je crains que vous n'ayez absolument raison !

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  6. Dans les revenants, les morts reviennent à la vie... mais ne sont pas méchants. Simplement, ca fait bizarre pour leurs proches et il faut s'adapter au retour de cette masse de personnes imprévues. Un film français...

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  7. ...tourné à Tours, ajouterai-je, histoire de passer pour plus chauvin que je ne le suis aux yeux de ce bon Monsieur Goux.

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  8. Cela dit, je me rappelle que ce film ne m'avait pas déplu, loin de là, mais, hormis la présence lumineuse de Géraldine Pailhas et la vision assez inhabituelle d'une cohorte de morts-vivants (très propres sur eux, toutefois, et plus zarbis que réellement zombies) remontant la rue Nationale, je dois avouer que je n'en ai pas gardé un grand souvenir. Je crains, en tout cas, que son sérieux manque d'hémoglobine, de cris perçants et de corps démembrés ne l'ait empêché de gagner le public des films dont parle Didier Goux.

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  9. Je me demande si vous ne vous trompez pas. "la nuit des morts-vivants" c'était pas au Fouquet's en mai 2007.

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  10. Didier, «La nuit des morts vivants» est le seul film du genre que je connaisse. Or, si je me souviens bien, il débute par une tentative d'explication du phénomène: un nuage, un gaz…, venus de l'espace. C'est en contradiction avec ce que vous annonciez dans la livraison précédente, non?

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  11. Le phénomène des morts-vivants, si je vous suis bien, c'est un genre de crise d'adolescence post mortem ?

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  12. Coucou : oui, un nuage, un gaz... autant dire rien, quoi ! Dns certains films de ce type, les scénaristes se croient obligés de plancher sur une explication détaillée et crédible (si l'on veut...), et c'est là qu'ils se plantent, parce que, en réalité, on s'en fout, du pourquoi.

    Marie-Georges : c'est ça, la véritable damnation : ressortir de sa tombe en éternel adolescent !

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.