lundi 14 septembre 2009

Le silence de la mère ou la tuyauterie primordiale

« – Oh ! cette obsession du silence qu'ont les gens sur-éduqués ! Elle est complètement artificielle. D'une manière générale, nous sommes tous conçus avec une certaine quantité de bruit. Pendant les neuf mois où notre mère nous porte dans son ventre, nous vivons dans un vrai vacarme: tam-tam du cœur, coassements et gargouillis des boyaux, sons qui doivent ressembler à ceux que font les poulies et les cordages d'un voilier, rire bruyant de notre mère – vous vous imaginez un peu ce que doit éprouver un bébé quand il est secoué comme un prunier dans sa bouteille aqueuse alors que le diaphragme monte et descend ? Pourquoi les enfants sont-ils bruyants ? Parce que, depuis leur conception, ils ont toujours vécu dans le bruit. Les gens critiquent leurs rejetons quand ceux-ci affirment mieux travailler avec la radio allumée ; en fait, ces gosses essaient simplement de retrouver le vacarme primitif dans lequel ils ont appris à se transformer d'une goutte informe en têtard, puis du têtard en être humain. Le silence correspond à un goût acquis, tout à fait sophistiqué. Il est anti-humain.

– Que voulez-vous manger ? »

Robertson Davies, Les Anges rebelles, Rivages poche, p. 89-90.

8 commentaires:

  1. Le silence est peut-être aussi une nostalgie (par anticipation) de la surdité du cadavre.

    RépondreSupprimer
  2. Pour un livre qu'il fallait exorciser, il n'a pas l'air si mal.

    RépondreSupprimer
  3. Il démarre en effet très bien. Les dialogues sont très drôles, très vifs.

    RépondreSupprimer
  4. Une bonne gueule de Gaston Bachelard, le Robertson.

    RépondreSupprimer
  5. C'est dur de vieillir! Je n'arrive plus à me souvenir du boucan qui régnait dans le ventre de ma mère.

    RépondreSupprimer
  6. Et la lumière fût !

    Je sais dorénavant pourquoi je ne peux lire ou étudier qu'avec la radio.
    Et vous avez raison, mes parents n'ont jamais compris, je vais ici leur soumettre cette plaisante théorie.

    RépondreSupprimer
  7. Le Coucou : vous devriez entamer une analyse, ça vous reviendrait forcément...

    Circé : et vous noterez la rigoureuse honnêteté intellectuelle qui m'a poussé à reproduire ce texte, moi qui suis violemment anti-bruit !

    RépondreSupprimer

La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.