dimanche 30 mars 2008

Le Néo japonesque

Ça s'appelait comme cela. C'était un établissement furieusement hybride, qui avait posé ses assises à l'entrée de la rue Montorgueil (côté gauche quand on a les Halles dans le dos), au mitan des années quatre-vingts. À cette époque, il n'y avait, hors la rue Sainte-Anne, à peu près pas de restaurant japonais dans Paris, et les bouffeurs de sushis passaient pour des originaux, contrairement à aujourd'hui, où il sont devenus les moutons bêlants de la modernité festive.

Le Néo-japonesque avait été ouvert par un Français de souche assez con (rien que la coupe de cheveux, vous auriez ri), retour du Japon où il avait effectué son service civil, appris la langue et épousé une native - six à sept fois plus intelligente et cultivée que lui : je suppose que le côté exotique de notre ami lui avait brouillé l'entendement affectif et sexuel - au point qu'elle semblait tout à fait heureuse avec ce semi-mongolien de modèle assez courant par chez nous.

L'originalité (indéniable) de l'endroit était qu'on y faisait restaurant japonais au rez-de-chaussée (régenté par un ressortissant hongrois à l'humour ravageur, se foutant ouvertement de la bouffe qu'il était payé pour servir), et boîte de nuit au sous-sol. Durant deux ou trois ans, je me suis empiffré de riz au poisson à l'étage de rue, et sévèrement alcoolisé dix-huit marches en dessous.

Un soir (ou était-ce u-u-u-une nuit ?), une jeune femme atterrissant au tabouret de bar voisin du mien m'a dit, avec un charmant sourire que je revois encore, que j'avais "un mignon petit nez".

Elle était plutôt jolie, si mes souvenirs alcoolisés sont exacts, bien plus en tout cas que ce qu'il m'était raisonnablement permis d'espérer en ce genre de lieu. Ce doit sûrement être pour cela que je l'ai envoyée chier avec une réplique d'une bêtise et d'une brutalité qui me fait encore plus ou moins honte aujourd'hui. Elle a compris à quel genre de connard elle avait affaire et s'est éloignée sans faire d'histoire.

En réalité, ce long détour était juste pour vous dire que, depuis deux ou trois mois, le "mignon petit nez" auquel, durant une minute ou deux, cette inconnue a paru être sensible, est en train de se tuméfier merveilleusement, de devenir un archétype de pif d'ivrogne. Et que, bizarrement, j'en conçois un plaisir certain.

Il me semble que si, par miracle, je suis encore vivant d'ici une dizaine d'années, je réaliserai enfin mon rêve d'adolescence : avoir au milieu du visage un tubercule rubescent proche de celui du regretté Robert Dalban.

Le Tonton flingueur est en marche : rien ne pourra plus l'arrêter.


[Je dois préciser que, m'étant brouillé avec la patron de cette hybride gargote, je me suis fait un plaisir de lui laisser un impayé d'environ trois mille francs, ce qui, à l'époque, représentait un nombre de bières assez considérable, Nicolas me comprendra (et j'ai pensé à mettre le lien, ne venez pas me casser les couilles - ni le nez).]

29 commentaires:

  1. Beurk ! Si vraiment tu te fais un nez à la Robert Dalban, tu ne me causes qu'en anglais !

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  2. Bon désormais vous ne nous trollererez plus si on vous jappe au nez ! Comme ça on ne se fera plus de sushis.
    Il y en avait un de fameux et authentique (restaurant japonais) près du Louvre (je ne me souviens ni du nom, ni de la rue) La cuisine japonaise est ceci étant indispensable au bon goût (ou Goux, of course)

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  3. on dit "yes ma'm" quand on parle à une dame.

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  4. Rien de meilleur, en fait, que la cuisine coréenne (je m'arrête là car Martin-Lothar m'a enlevé de la bouche le puissant jeu de mots qui accompagne ordinairement une telle réflexion, dès lors que l'on tente d'expliquer la spécificité de la susnommée cuisine par l'inimitié qui subsiste parfois entre ressortissants de l'empire du Soleil Levant et du pays du Matin Calme).

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  5. Quel beau lien ! Bon. Je retourne lire le billet.

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  6. Un nez ! Nu phare dans la nuit...

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  7. Balmeyer, de grâce, économisez-vous : il vous faut rester vivant, et en une santé mentale acceptable, jusqu'à mardi prochain, ne l'oubliez pas !

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  8. ah, fallait faire des jeux de mots : vous avez le nez bulleux ?

    Et Balmeyer l'est cuit, demain je le kidnappe !

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  9. Nez en moins, pour mardi, c'est plutôt le foie qui compte.

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  10. Excellente description de ce lieu que j'ai aussi fréquenté assiduement ! Je confirme tous les points ennoncés et étais devenue assez copine avec la femme de "Luc" ! Et Encore, il manque un point essentiel à la description : les premiers temps, en plus de la bouffe japonaise, le karaoke en japonais !! Et oui, j'ai vraiment fait partie des premières adeptes de la boîte !

    Bravo pour le mot

    Laurence

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    1. Mais par quel miracle êtes-vous parvenue jusqu'aux tréfonds de ce blog ? Moi aussi, j'aimais bien sa femme, à l'autre andouille (en tout bien tout honneur, comme on dit). En fait, on a certainement bien dû se croiser quelques fois, dans ce bouge…

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  11. Drôle de souvenir que la Néo Japonesque.
    A l'époque on débarquait en bande direct au sous sol pour danser jusqu'à pas d'heure et peloter les copines dans les coins.
    L'endroit était assez ringard mais gratuit et la musique ne devait pas être trop mauvaise!

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  12. Et vous êtes en train de lire un message d'un des piliers de ce lieu hautement dédié à l'alcool, la fumette et la partie de jambes en l'air dans les recoins sombres et enfumés. Et si un jour elle lit ce blog, bonjour à Natacha (Nathalie de son vrai prénom) institutrice la semaine , barwoman au Néo le wkd. A toute ma bande de cette époque, je vous aime. Yves

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    1. Voilà finalement un endroit qui a marqué les esprits, dirait-on bien.

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  13. C'est pas tous les jours qu'on entend parler de cet endroit !!! J'y ai bossé, et très d'accord, Didier, Mr Luc Martignago, c'était quelque chose !!! Sa femme June aussi. Que de souvenirs là-dedans ! Un nombre incroyable d'anecdotes toutes plus improbables les unes que les autres, mais comme peu de gens connaissaient l'endroit, si t'en parles tu passes vite pour un mytho. J'y ai fait Barman, Plongeur, Dj... Et justement je cherche à joindre ceux qui ont fréquenté l'endroit, en recherche de certains dont j'ai perdu les coordonnées, avec le système de celui qui connait celle qui connait celui qui... IL y a peut-être une chance ?
    A+
    Marcus

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    1. Je crains, malheureusement, de ne vous être d'aucune utilité, ne voyant absolument plus personne des gens que j'ai pu fréquenter (plus ou moins…) à cette époque antédiluvienne. Désolé.

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    2. J'ai aussi fréquenté ce haut lieu de perdition nocturne (donc pas testé le restau d'en haut) vers 1987/89.
      Etudiant (fauché bien sûr) à l'époque et en recherche de lieux décalés, j'adorais le côté un peu underground avec le sentiment de détenir une belle adresse secrète connue uniquement de quelques fêtard.e.s initié.e.s.
      Et oui ce lieu m'a marqué pour la bonne ambiance festive, les oiseaux nocturnes qui le fréquentaient et la musique qui m'a fait redécouvrir quelques bons morceaux new wave des Talkings Heads, B52's, B Movie, Flock of Seagull ou autres.
      Par contre je me souviens un peu plus vaguement de la patronne asiatique (June donc) et d'un type il me semble crane rasé et natte (fichtre c'est si loin, j'ai bon ?...) qui montait m'ouvrir la porte.

      En tout cas, comme certains visiblement ici, je n'ai pas oublié ce lieu un peu à part et en conserve un brin de nostalgie... Un peu comme un autre lieu le Fantasia Porte Maillot et bien différent en tout cas des soirées pseudo mondaines et branchées choc de JC Lagrèze ou de S. Krüger.

      Merci en tout cas à Didier pour ce petit flash back. Et je vois que je suis le commentaire du + 2 ans d'un autre ex rescapé du Neo.

      Amitiés à toutes et tous, Christian

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    3. Grâce à ce blog et à ses commentateurs errants, le Néo vivra éternellement !

      DG

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    4. Marcus, ça fait un bail ! je me souviens parfaitement de toi . Hesites pas a m'envoyer un message :)

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    5. Eh ! Me voici intermédiaire louche, asteure !

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  14. Me prend un coup de nostalgie et je cherche Néo-japonesque sur le net, et bingo je tombe sur cette page.
    Le Néo à été ma seconde maison pendant des années.
    Le paquet de pognon que j’y ai laissé est hallucinant, mais qu’est-ce que j’ai pu me marrer et emballer là-bas (j’étais passé à l’industriel), bon, je devenais aussi alcoolo par la même occasion…
    Quelques souvenirs qui me reviennent, le cocktail mort subit et nos interminables parties d’Aballon avec le patron (perdu son prénom).
    Concernant June qui était plutôt discrète , j’ai aussi souvenir de notre dernier adieu en petit comité autour de ses cendres.
    Dominique ex-fêtard invétéré…

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    1. Êtes-vous en train de nous dire que la "patronne" du Néo serait morte ? Où ? Quand ? Comment ?

      Sinon, je viens de reparcourir les commentaires de ce billet : c'est curieux la manière dont, tous les deux ou trois ans, un "ex du Néo" atterrit ici sans crier gare…

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  15. Nom de Nom, le Neo Japonesque ! Le nombre de mufflées que je me suis prises là ! En revanche, dans mon souvenir c'était plutôt 50 marches, pas 18, probablement parce que j'y allais déjà pété et que les descendre était un exercice hautement périlleux !

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    1. J'ai mis 18 au pifomètre... Mais 50 me paraît tout de même exagéré : c'était une cave, pas des catacombes !

      Cela dit, je n'y suis jamais arrivé à jeun non plus...

      DG

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  16. J'ai tres bien connu cet endroit pour y avoir travaillé comme Dj et y avoir organisé des soirées de 93 à 95/96. Le lieu à cette époque changeait de style musical quasiment tous les soirs. Il y a eu des soirées rock, Hip Hop, funk, new wave/dark wave mais surtout des soirées Techno et House, très en vogue à cette époque. Open dj le jeudi, after techno des le samedi matin à 6H après la soirée Acid Jazz dirigée joliment à cette époque par le sympathique Marcus (Marc Fourrier pour les intimes) et deux de ses copains Boobs et Sinclair. La boite ne fermait pas et les danceurs de funk voyaient arriver vers 5h les zombis de rave party qui venaient continuer leur nuit. Ça faisait un mélange de genre plutot etonnant :) un peu comme la morue aux fraises de Gaston Lagafe. Il y avait surtout le fameux 2e after qui commençait a midi et terminait a 21H. On y voyait aussi bien les zombis arrivés a 5h qui refusaient de jeter l'eponge et une nouvelle clientelle fraiche qui venait bouger leur cul apres le poulet frite dominical chez papy mamie.
    A cette période l'organisation musicale etait "gerée" par un certain Djahmary ou Djah pour les intimes (Jean Marie de son prénom) energumene excentrique qui aurait pu naitre d'une union entre Lee Perry et Nina Hagen, alcoolique, drogué, originaire de Savoie, expatrié longtemps au Japon, et recuperé par le fameux Luc, quand sa femme Yumi l'avait viré de Tokyo, lassée de ses exces en tout genre et ses comportements deplacés. Au Japon on rigole pas avec ça. Bref, revenons a nos moutons, un soir de 93 je suis programmé dans une soirée Techno qui avait lieu sur une peniche et un dj present ce soir là, Aktarus, ou plutot Atardus (tellement stupide il etait), m'invite a le suivre a L'after techno au Neo ! arrivé sur place je fais la connaissance de tout le monde; Fogan, le portier africain debile qui revait d'etre BB King, et bien evidement du fameux LUC, un blaireau aveyronnais avec une pure tronche de bouseux, qui pensait avoir du style avec sa queue de cheval et ses chemises "manga". Son ex femme, la fameuse June ne travaillait deja plus au club, et etait devenu totalement junky, dépendante a la coke et autres drogues, asservie, controlé a 100% par ce pervers de Luc.
    Ce type etait un manipulateur de premier ordre, un pervers calculateur qui d'ailleurs aujourd'hui me doit encore du fric de soirées non reglées.
    Un jour le ton monte entre le Luc et le DJah et je me retrouve a devoir gerer des soirees en plus dont le samedi soir, dont j'aurai la gestion avec DJ Maz, disquaire parisien du 11e arrondissement. Apres plusieurs mois, j'en viendrais comme le DJah a ceder mon poste et a partir avec la moitié du pognon du par l'autre escroc. Ça restera quand meme, de bons souvenirs, des belles rencontres, de bonnes rigolades aussi... je suis resté ami longtemps avec Djah qui malheureusement decede en 2013, trop d'exces, trop d'alcool, trop de tout. Dj Maz est toujours dans son magasin rue Paul Bert, quant a moi, à 49 ans je suis toujours disquaire.

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    1. Eh bien dites donc : à côté de vos aventures "japonesques", même L'Odyssée fait figure d'histoire intimiste !

      Le néo des années quatre-vingt était nettement plus calme (mais Luc déjà aussi con)...

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