mercredi 1 avril 2009

Onc n'avais fait ce rêve étrange et attristant

J'étais à la Comète, mais ça ne ressemblait pas à la Comète, c'était plus grand, plus clair et il y avait davantage de monde. En fait, c'était un bar-restaurant de campagne ; de village, plutôt, et dont je savais qu'il se trouvait dans le Gard. Lorsque le rêve a commencé, je buvais une bière au comptoir. Les gens qui circulaient autour de moi m'étaient à la fois familiers et inconnus, je n'étais précisément avec aucun mais me sentais bien au milieu d'eux.

Brusquement, Nicolas a fait son apparition. Il m'a regardé avec un petit sourire narquois et m'a dit quelque chose comme : « Vous, vous avez l'air saoul : vous devriez peut-être faire une pause dans les bières... » Et, instantanément, comme si sa parole commandait à la réalité, je suis en effet devenu très saoul, mais d'une ivresse étrange, partielle, concentrée dans les yeux, qui se sont mis à gonfler et à durcir, tels des kystes. J'ai tout de même commandé un autre demi, plus par défi que par réelle envie de boire, il me semble.

Au même moment, il est apparu que nous étions plusieurs à être invités à dîner par un homme d'un certain âge, qui pourrait être le vieux Jacques mais ne lui ressemblait pas. Il m'a précisé que c'était lui qui payait tout, qu'il avait choisi lui-même le menu (il m'a même indiqué ce que nous allions manger, mais je l'avais oublié au réveil), et que l'on était en train de préparer la salle.

Réapparition de Nicolas qui me dit, sur un ton protecteur, presque paternel, en me désignant une table : « Nous allons nous installer ici, en attendant... » C'est à ce moment, m'asseyant où il me dit, que je constate que nous sommes maintenant sur une terrasse à ciel ouvert, mais ceinte de murs sur trois côtés ; et il y a un arbre : une terrasse de village. C'est aussi à ce moment qu'elle apparaît dans le rêve.

Elle, c'est la serveuse. Elle est brune, très jeune, et me paraît miraculeusement belle, bien que, dans le même temps, je ne trouve rien de particulièrement remarquable à son visage. Ce n'est pas un “canon” non plus. Ce qui la rend incroyablement attirante, c'est qu'elle est aimable, au sens le plus essentiel, absolu du terme. Et aussi aimante : il me semble qu'elle est également précieuse à toutes les personnes présentes, et que chacune d'elles doit avoir la même certitude que moi, que cette serveuse tombée de nulle part est là uniquement pour elle, sans en ressentir la moindre jalousie vis-à-vis des autres, comme pour une sorte de mère nourricière et surnaturelle. Elle s'assoit sur la chaise libre à ma gauche. Elle explique, à je ne sais à qui : « C'est bien d'être de repos : on peut s'installer en sachant qu'on ne sera pas dérangé... »

Pendant ce temps, l'ivresse qu'a en quelque sorte créée Nicolas gagne du terrain, se concentrant de plus en plus dans mes yeux, énormes et saillants. J'en arrive au point où le gauche est totalement fermé : pour écarter les deux paupières, je dois m'aider du pouce de la main gauche et de l'index de l'autre, comme il arrive parfois, lorsqu'on se réveille affligé d'un compère-loriot. Mes efforts pour accomplir cet acte ridicule font rire mes voisins de table – lesquels restent dans l'ombre, ou plus exactement hors du champ de plus en plus réduit de ma vision. Et une sorte de désespoir mêlé de fatalisme m'envahit, juste avant l'interruption du rêve. Je me rends compte que je vais causer une grande déception à la jeune serveuse brune (qui ne rit pas avec les autres), qu'elle va s'éloigner définitivement de moi, par ma seule faute – et ce, sans que le rêve ne se soit à aucun moment teinté de la moindre coloration érotique, sensuelle ni amoureuse.

Je me réveille à cet instant. Durant la seconde (la fraction de seconde ?) où j'affleure à peine à la conscience, je suis dévasté par une violente et irrémédiable tristesse, à l'idée que, demeurée prisonnière du rêve, la jeune serveuse brune, sans prénom, pratiquement sans corps et sans visage, est à jamais perdue, non seulement pour moi qui l'ai en quelque sorte créée, mais aussi pour tous les autres hommes.

Enfin, je m'éveille tout à fait ; la tristesse affreuse disparaît instantanément. Mais, durant encore près d'une minute, et alors que je suis rigoureusement sobre depuis plusieurs jours, je vais ressentir à l'intérieur de ma tête les effets cotonneux, quoique très amoindris, de l'ivresse signalée par Nicolas dans le rêve, et dont une infime partie semble avoir réussi à franchir les portes en même temps que moi.

25 commentaires:

  1. Ca m'a fait ça aussi quand j'ai rêvé de Nicolas. C'est dur, le réveil...

    RépondreSupprimer
  2. Le Pere Des Castors1 avril 2009 à 13:16

    la brune, elle s'appelle Pimprenelle.La preuve que vous êtes un gros nounours.
    plus serieusement je comprends tres bien le genre de rêve que vous décrivez.

    RépondreSupprimer
  3. Vous aviez carburé à quel psychotrope hier soir?

    RépondreSupprimer
  4. Homer : Oui, je crois que Nicolas a une très mauvaise influence sur nous !

    Père Castor : Sauf que Pimprenelle est blonde, si mes (lointains) souvenirs sont bons...

    Olivier : à l'eau du robinet, mauvaise langue !

    (Remarquez, c'est peut-être pour ça...)

    RépondreSupprimer
  5. Le Pere Des Castors1 avril 2009 à 14:57

    ah oui, grrrrrr, vous avez encore raison!

    RépondreSupprimer
  6. Sûrement un surdosage de nitrates

    RépondreSupprimer
  7. Nicolas dans un bar du Gard !!! Je veux savoir lequel :)

    J'avais fait y a peu un rêve comme quoi je votais pour la désignation du premier secrétaire du PS... Les blogs, ça donne de droles de nuits parfois...

    Bonne fin de journée (un billet qui me donne envie d'un rosé ce soir, dans un bar du Gard avec ou sans autres bloggueurs ;-) )

    RépondreSupprimer
  8. Faucon : nous allons dans le Gard au moins une fois par an depuis plus de dix ans (tout près de Lussan). Nous y serons la deuxième semaine de juin : si le coeur vous dit d'un verre...

    RépondreSupprimer
  9. Cela dit, ç'avait beau être dans le Gard et ne ressembler à rien, c'était tout de même la Comète. Allez comprendre...

    RépondreSupprimer
  10. Si ça ne ressemblait à rien, ça ne pouvait pas être dans le Gard, voyons !

    RépondreSupprimer
  11. S'il n'y avait, par moments, des accents presque bucoliques, quoique les bergers manquent un peu, et si la serveuse n'avait pas été en définitive une Pimprenelle, j'aurais opté pour une nouvelle Madelon…

    RépondreSupprimer
  12. Didier : j'en serai ravi. A bientôt alors.

    RépondreSupprimer
  13. Je verrais Nicolas dans la position du père et la serveuse dans la position de la mère.

    N'avez-vous pas remarqué que Nicolas vous propose de faire une pause dans "les bières", ce mot pouvant avoir bien des significations ?

    Un psy adorerait ce rêve, cher Didier.

    Très belle lecteur en tout cas...

    RépondreSupprimer
  14. J'ai longtemps rêvé d'écrivains, des rêves très réalistes. Je discutais avec Max Brod, lui très aimable et moi très impressionné. Il ressemblait exactement à Michel Leiris (je lisais un livre de Brod et la couverture récente d'un Magazine Littéraire était consacrée à Leiris). Une autre fois, Matzneff, avec les traits d'un de mes frères, me montrait un livre d'images en noir et blanc où l'on voyait d'étranges perspectives avec des cathédrales, d'une précision inouïe. Dans une sorte de restaurant avec des panneaux de bois (genre moucharabiehs), j'aperçus une nuit Churchill avec une paupière affaissée. Et j'ai même jadis rêvé d'Hillary Clinton en train de s'exhiber très pornographiquement sur un podium dressé dans une arène !

    RépondreSupprimer
  15. Yanka,

    j'ai eu le même avec Sarah Palin dans une comédie musicale.

    ---

    Didier,

    Bon, moi, je suis ultra bon public en ce qui concerne les rêves. Bien que très peu porté sur la chose psychanalytique (très peu est un euphémisme), je leur trouve parfois de singuliers signifiants. Et là, enfin, soit vous inventez pour vous foutre de "nous", soit ce rêve est authentique et cela dit pas mal de choses sur vous. A un point troublant.

    RépondreSupprimer
  16. Dorham : je vous assure que ce rêve est absolument authentique. il m'a à ce pont intéressé que, durant quelques minutes, alors que le sommeil ne demandait qu'à me reprendre, j'ai fait effort de lui résister afin de me le remémorer pour pouvoir m'en souvenir ce matin.

    Le plus amusant est que, contrairement à vous, apparemment, je suis très "mauvais client" pour les rêves : il suffit qu'il en apparaisse un dans un livre (même chez Proust, c'est dire) pour que je décroche immédiatement.

    Pour le côté troublant, je vois évidemment bien ce que vous vous voulez dire. J'ai d'ailleurs failli préciser, tout à la fin, que les apprentis Sigmund pouvaient s'abstenir de la ramener. Mais, après tout, puisque je l'ai raconté publiquement...

    RépondreSupprimer
  17. Quand je dit que je suis "bon client" pour les rêves, je voulais dire "récit de rêves", on s'entend.

    "Les apprentis Sigmund", mouarf !
    Moi, je n'en parle pas, à chaque fois que je dis que c'est une escroquerie que la psychanalyse, je me fais tailler...et j'ai moins l'habitude que vous.

    RépondreSupprimer
  18. J'ai bon dos, moi... J'imagine Didier au réveil le matin : "Ah ! Catherien, j'ai la tête dans le cul, j'ai rêvé que j'avais picolé avec Nicolas"...

    RépondreSupprimer
  19. Didier,

    Je n'ai pas encore lu, je me suis juste arrêté à votre titre.

    N'écrit-on pas "onques" ?

    RépondreSupprimer
  20. très belle description du sentiment tragique qui peut acompagner parfois, la disparition des effets d'un rêve. On touche au paradis par moment, en rêvant.

    Et cela nous montre qu'il est accessible, là, dans notre tête. A nous d'apprendre à gérer nos sentiments, nos pensées, pour vivre en s'approchant de cela.

    Dur, dur.

    RépondreSupprimer
  21. Dorham : entièrement d'accord avec vous pour ce qui concerne la psychanalyse. et, moi, je le dis.

    Nicolas : vous êtes mon modèle au stacle...

    Antoine : on écrit onc ou onques. Je crois même l'avoir déjà vu orthographié oncques, mais je n'en jurerais pas.

    Ici, onques aurait mieux sonné, mais j'ai choisi l'autre pour respecter l'alexandrin verlainien d'origine.

    RépondreSupprimer
  22. Du temps des « onc » et des « oncques », il n'y avait point d'orthographe officielle. Adoncques ne nous énervons pas, mononc'Jean.

    RépondreSupprimer
  23. Onques ne fis ?
    Mais on y perd son verlan...

    RépondreSupprimer
  24. Je vois dans ce rêve une nostalgie de bienveillance, de rapports sans cynisme. Ce rêve me fait penser à un passage de "La dolce vita" où le journaliste déjà pourri par le milieu dans lequel il s'est fourvoyé, est attiré par une jeune fille qui lui fait gentiment signe, de loin. Il SAIT que la suivre serait LA solution, elle est gaie, naïve, radieuse, elle 'appelle, mais il n'a plus le courge de changer de vie. Vous souvenez-vous de ce passage ?

    RépondreSupprimer

La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.