J'ai ma mort prête comme un costume d'émigrant
De la couleur que j'aime
De la taille dont j'ai toujours rêvé
Et de l'ampleur dont j'ai besoin
De la couleur que j'aime
De la taille dont j'ai toujours rêvé
Et de l'ampleur dont j'ai besoin
Pourquoi ces vers de Pablo Neruda sont-ils brusquement remontés à la surface de ma mémoire, alors que j'attendais l'ascenseur au 10 de la rue Thierry-Le Luron, à Levallois-Perret, et qu'il était midi vingt-six très précisément ? Ces vers que je n'ai pu retrouver sur internet et qu'il est donc possible que je cite imparfaitement ? S'est-il fait un cheminement souterrain, dans les épaisseurs et replis du cortex, depuis que j'ai parlé de l'ambassade du Chili (L'ambassade est une bouche fermée, désormais pour longtemps. On y a mis pour faire respecter les lois de l'hospitalité des gendarmes français – Jacques Bertin), ici même, il y a deux jours ? Mais pourquoi ces vers précisément, alors que l'humeur du jour serait plutôt joyeuse et sereine ? Pourquoi pas à leur place ceux-ci, plus en accord avec la tonalité du billet dont je viens de parler :
Quand sonnèrent les trompettes tout était prêt sur la terre
Et Jéhovah partagea le monde
Entre la Coca Cola Inc, la Anaconda, la Ford Motors
Et quelques autres sociétés
La United Fruit Co se réserva le plus juteux
La côte centrale de ma terre
La douce ceinture de l'Amérique
Et Jéhovah partagea le monde
Entre la Coca Cola Inc, la Anaconda, la Ford Motors
Et quelques autres sociétés
La United Fruit Co se réserva le plus juteux
La côte centrale de ma terre
La douce ceinture de l'Amérique
Je pourrais en citer encore d'autres : depuis que j'ai ouvert la fenêtre de ce billet, ils me reviennent et s'engouffrent en foule – on aura tendance à croire que je me vante, mais non. On me dira aussi que Neruda est loin d'être le plus grand poète engendré par l'Amérique latine, et on aura probablement raison, mais qu'y puis-je, si c'est lui qui occupe ce siège ? Lui qui rassemble en faisceau les plus vives images d'une époque précise et circonstanciée de mon existence ? Époque aussi morte que lui, et inconnue de beaucoup, et encore davantage inconnaissable – mais il est temps de passer outre :
N'accordons pas à la douleur plus grand domaine
Nulle étendue ne passe celle de nos vies
Nulle étendue ne passe celle de nos vies
Mais vous n'avez pas rêvé ces vers ! Je vais être sévère : Auriez vous été plutôt ces verres ? En fait, vous avez rêvé de ces vers en rêvant que vous rêviez de ces vers et des ces verres aussi sûrement.
RépondreSupprimerBon je vais m'en jeter un car c'est très mince là, je le sens, j'en suis vert !
Cette perspicacité poétique me gène ("Les chants les plus beaux sont les plus ésespérés") car elle énonce, non pas le raisonnable ni le bien ou le mal qui, vous en conviendrez sont des fumisteries et qui nous enfument, mais ce que chaque être traîne en soi: le poids de la vérité, des doutes et des mensonges qu'il porte ou ne porte pas, en le sachant ou en ne le sachant pas. La poésie nous tamise comme une paille de fer. Il n'y a que les imbéciles et les doux qui croient en sa douceur. Allez, un verre jamais n'abolira, etc.
RépondreSupprimerC'est comme si vous nous parliez d'un temps que les moins de ...ante ans ne peuvent pas connaître. Qui apprend encore des poèmes, ou les lit tant et tant qu'ils remontent à la mémoire?
RépondreSupprimerSuzanne : qu'ils remontent, c'est une chose que l'on connaît tous (enfin, vous et moi). Mais qu'ils remontent ce matin, face à cet ascenseur, alors que je n'ai jamais pensé à Pablo Neruda depuis au moins dix ans ? Hein ?
RépondreSupprimerPRR : ben si, justement, j'ai l'impression de les avoir rêvés. Ou, plus exactement, régurgités.
RépondreSupprimerHermès : ne le prenez pas mal, mais je ne comprends rien à votre commentaire ! De quelle "perspicacité" parlez-vous ? Et qui a parlé de la douceur de la poésie ?
Voir ici le poème :
RépondreSupprimerhttp://www.icem-freinet.net/~archives/educ/73-74/4/1.pdf
C'est terrible, taillé dans le vif, j'aime beaucoup. Votre mémoire est adroite. Pourquoi ne pas nous écrire davantage sur cette "époque précise et circonstanciée" ? A moins que j'ai manqué cela.
RépondreSupprimerNeruda n'a jamais pensé ni jamais écrit ces mots.
RépondreSupprimerComment peut on lire un poète hors de sa langue ?
J'avais loupé ce billet, et j'ai eu du mal à le retrouver (à partir d'une allusion dans le Journal de mars). J'étais curieux de lire ce que vous aviez à dire sur Neruda, que j'ai beaucoup aimé, autrefois… Les vers que vous citez me sont familiers, mais je viens de chercher en vain. Pas retrouvé, ni dans "La rose détachée",ni dans "La Centaine d'Amour", ni, ni…
RépondreSupprimerComme Mtislav je trouverais intéressant de vous voir revenir sur cette "époque précise"…