vendredi 5 mars 2010

Point commun entre le communisme et le libéralisme : une intelligence aveugle

Cet homme est mort, requiescat donc, forcément. Tout homme a droit à ce requiescat, à cette remise de lui à Dieu – même Hitler, même Le Pen (quand il sera mort), même Pétain et même, horresco referens (pardon mon petit Juan-de-Sarkofrance), Nicolas Sarkozy s'il vient un jour à mourir (disparition qui ôtera toute raison d'être à ce même petit Juan, on en tremble – et on en rira alors, des tremblements de ce petit frileux).

Revenons à notre mort. Il s'appelle Jacques Marseille. Il aurait pu se nommer Robert Lille, voire Ginette Strasbourg, mais il s'appelle Jacques Marseille. Et il est mort. Je l'ai connu tout jeune et inconnu (je veux dire : moi tout jeune, lui inconnu) : il était, il a été mon professeur d'économie au CFJ, le Centre de Formation des Journalistes de la rue du Louvre – cependant que Jean-Pierre Azéma, toujours vivant, était notre professeur d'histoire et, par-dessus tout – chance inouïe – Jean-Marie Domenach notre “directeur d'année” : on a eu beaucoup de chance, cette année-là. (Je vous parlerai de Domenach et de moi et de Bernalin, un autre jour peut-être.)

Bref : Jacques Marseille. Contrairement à Jean-Pierre Azéma qui me passionnait, je me foutais à peu près de ce Marseille-là. Ce n'était pas de sa faute : l'économie m'a toujours endormi, et l'histoire éveillé. Et puis, en 1978, me considérant encore gauchiste, je commençais à comprendre ce que communiste voulait dire ; ce que ça impliquait d'ignominie partagée au nom d'un lendemain hypothétiquement chanteur : je n'avais que 22 ans, mais j'avais lu Soljenitsyne, n'est-ce pas...

Lorsque j'ai vu réapparaître mon Jacques Marseille en héraut du libéralisme, énonçant tranquillement le contraire de ce qu'il assénait tout aussi tranquillement vingt ans plus tôt, avec cette pesanteur souriante des “profs-de-fac” qui n'ont jamais tort, j'ai éprouvé une vague envie de lui vomir sur les escarpins croco que, la télé aidant, il pouvait désormais s'offrir. Bien entendu, je n'en ai rien fait : il aurait déjà fallu que je le retrouve, et il ne m'intéressait pas assez, ce girouettologue, pour que je fasse le moindre effort dans sa direction – moi aussi, dans l'intervalle, j'avais changé, grandi (et, malheureusement, grossi).

Donc, il est mort, ce Marseille, qui a toujours senti dans le sens du vent dominant, par faute de nez. Communiste au moment où Gorbatchev grandissait, libéral quand le monde capitaliste montrait ses premiers signes d'écroulement. Mais, au fond, rien de plus normal : avoir été communiste signifie une capacité inquiétante à se plier à la force du moment, à se courber devant la bêtise féroce, à s'aplaventir en face de l'inéluctable. Jacques Marseille, avec le débit d'eau tiède de sa parole, n'a jamais rien fait d'autre. Il représente assez bien le semi-intellectuel du vingtième siècle, le bourgeois souriant à la dictature, l'oublieux tranquille de sa propre saloperie – le ver qui se croit pourvu de pattes.

Requiescat tout de même – et chagrin de ma part.

11 commentaires:

  1. J'aime beaucoup "s'aplaventir". Du canadien peut-être?
    Orage

    RépondreSupprimer
  2. Donc, J Marseille n'était pas libéral en 1978...vous allez loin en disant vouloir lui vomir dessus...j'imagine qu'on a le droit de changer...comme vous...par exemple est-ce que le jeune Didier Goux, gauchiste, hurlant dans les manifestations, vomirait-il sur le Didier Goux d'aujourd'hui?

    RIP Jacques Marseille...

    Bon week end

    RépondreSupprimer
  3. En fait, il n'a pas vraiment changé d'idée, ce Monsieur Marseille, parce que libéralisme et communisme sont deux faces de la même médaille: celle qui place le matérialisme au centre des préoccupations de l'Humain!
    Il a juste changé de face: comme tous, jeune, il a été du côté du pauvre exploité; comme tous, plus âgé, il a été du côté des méchants réalistes, les deux pieds bien campés dans la nécessité!

    Comme disait l'autre, "Les bourgeois, c'est comme les...". C'est donc une vieille histoire!

    Laurent

    RépondreSupprimer
  4. Bon, bon, j'ai sans doute été un peu sévère. Mais il y avait tout de même chez lui un côté je-vous-l'ai-toujours-dit vraiment horripilant.

    RépondreSupprimer
  5. Cher Didier,

    Le libéralisme est, comme le disait Revel, le système économique de base.
    Il permet, entre autres défauts, de financer les traitements et émoluments de ceux qui, à l'inverse du bon Jacques Marseille, étaient communistes en 1978 et le sont toujours en ...2010.

    RépondreSupprimer
  6. Ecrire un tel billet je jour anniversaire de la mort de Satline, tout de même, tout de même... un peu de pudeur pour nos derniers communistes !

    RépondreSupprimer
  7. Flutre, Suzanne m'a devancé pour le petit père des peuples.

    RépondreSupprimer
  8. Seriez-vous, cher Monsieur, de ces gauchards qui conchient ceux qui ont su évoluer à partir de leurs convictions primaires (et primates) datant de 68 ?
    Comme il est aisé de se faire une réputation canadienne en forgeant un néologisme! Sauf que, dans votre cas, le "a" est privatif : l'atterrissage sur le ventre mérite deux "p".
    J'ai apprécié vos écrits sur l'inexistence de Begag, clown du charabia, et immortel auteur du glouton dans la mangeoire.
    Laissez Merseille reposer, et soyez
    acide (et Lucide) sur l'imposteur villepiniste.

    RépondreSupprimer
  9. Oh ben moi je l'aimais bien ce Jacques Marseille. Un passion commune nous unissait : les chiffres.
    Ce gars était un grand fournisseur de chiffres sur l'actualité qui permettent une fois retenus de rabattre le caquet de ses contradicteurs. Bien entendu, le chiffre ne veut en général rien dire et sert à masquer l'absence d'arguments de fond mais l'important c'est de rabattre des caquets n'est-ce pas ?

    RépondreSupprimer
  10. Paul : si cette mort ne m'avait pas rendu triste, je n'aurais pas fait de billet...

    RépondreSupprimer

La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.