La nuit sera-t-elle noire et blanche, comme l'annonçait Gérard de Nerval juste avant de se pendre rue de la Vieille-Lanterne, ou blanche et noire comme le soutient Joseph Vebret, au titre de son dernier roman ? Peu importe, le patronnage est là, affirmé dès l'entrée : il y en aura d'autres, et d'aussi illustres, affirmés avec la même force, dont celui de Cesare Pavese qui, lui-même, lui plus que tout autre, a connu le dur Métier de vivre – et c'est encore une vie qui s'achève à une quelconque grille d'une quelconque Vieille-Lanterne métaphorique, ce n'est pas un hasard.
La nuit de Joseph, on le comprend, est comme un miroir de celle de Gérard : issue moins brutale, mais ténèbres aussi collantes. C'est surtout une nuit traversée d'éclairs, eux-mêmes reflétés, propulsés par d'autres miroirs, soigneusement disposés par l'auteur de façon à pouvoir jouer les uns avec les autres (ou contre les autres ?) sans jamais avoir à se trouver face à face. Les miroirs sont les différents temps du récit, entrelacés avec un art parfaitement maîtrisé, subtil et intelligible. Les éclairs sont les trois femmes (sans compter la mère, à qui tout miroir semble refusé...) qui ont ce pouvoir de traverser les miroirs, ou plutôt de jaillir de leur surface, où se contemple le narrateur, d'illuminer un instant le reflet incertain où il tente de se reconnaître, de se discerner, de se rassembler.
Ce roman est aussi – et sans doute avant tout – celui de la mort rencontrée, affrontée avec la seule arme dont dispose le narrateur, à savoir l'écriture. Car notre “je” est écrivain – et c'est là que pour moi le bât blesse, sans que l'auteur y soit d'ailleurs pour quoi que ce soit : je suis rétif, et de plus en plus, à ces romans mettant en scène les écrivains et leurs affres ; je me méfie de tout de ce qui peut ressembler à une “mise en abyme” de l'écriture, ainsi qu'il nous est dit sur la quatrième de couverture : j'ai tendance à y voir une forme de complaisance, le plus souvent maladroitement camouflée sous un auto-dénigrement trop ostentatoire pour être pris au sérieux. Fort heureusement, Joseph Vebret échappe en grande partie à ces écueils, sans doute en raison de la construction de son roman, tout en retours, détours, raccourcis, passages dérobés d'un temps à l'autre, mais aussi parce qu'une fois encore, il est éclairé par ces visages de femmes que nous transmettent les miroirs soigneusement disposés par Vebret dans son théâtre, afin d'en élargir les proportions, d'en révéler les zones sombres – mais aussi, par contrecoup, d'en approfondir les mystères.
Il faudrait aussi parler du rôle joué par l'alcool, cet incitateur/repoussoir, ce foret psychique qui permet certes de creuser, mais comme on creuse une blessure au risque de l'élargir et de la voir s'infecter irrémédiablement.
Si l'on tient absolument à dire un peu de mal de cette Nuit blanche et noire, on notera que les dialogues sont parfois un peu contraints, qu'on les lit facilement mais sans les entendre véritablement : c'est peut-être que l'auteur sait trop bien, à l'avance, où ses personnages doivent aller, et qu'il ne leur laisse pas assez le loisir d'inventer eux-mêmes leurs propres chemins de traverse.
On pourra aussi donner un coup de règle sur les doigts de son éditeur qui laisse passer (par deux fois !) un : « C'est de cela dont il s'agit » – mais là, c'est mon côté “pion” qui ressort...
Il reste “au final” (comme l'écrit malheureusement Vebret, sans se soucier de m'écorcher les oreilles au passage...) un roman douloureux et roide, qui échappe au pathos par la distance qui se maintient de bout en bout entre le narrateur et lui-même, entre les événements qui lui surviennent et le regard qu'il pose sur eux – et aussi, et encore, par ces trois femmes lumineuses, les Filles du feu de ce nervalien de Vebret.
La nuit de Joseph, on le comprend, est comme un miroir de celle de Gérard : issue moins brutale, mais ténèbres aussi collantes. C'est surtout une nuit traversée d'éclairs, eux-mêmes reflétés, propulsés par d'autres miroirs, soigneusement disposés par l'auteur de façon à pouvoir jouer les uns avec les autres (ou contre les autres ?) sans jamais avoir à se trouver face à face. Les miroirs sont les différents temps du récit, entrelacés avec un art parfaitement maîtrisé, subtil et intelligible. Les éclairs sont les trois femmes (sans compter la mère, à qui tout miroir semble refusé...) qui ont ce pouvoir de traverser les miroirs, ou plutôt de jaillir de leur surface, où se contemple le narrateur, d'illuminer un instant le reflet incertain où il tente de se reconnaître, de se discerner, de se rassembler.
Ce roman est aussi – et sans doute avant tout – celui de la mort rencontrée, affrontée avec la seule arme dont dispose le narrateur, à savoir l'écriture. Car notre “je” est écrivain – et c'est là que pour moi le bât blesse, sans que l'auteur y soit d'ailleurs pour quoi que ce soit : je suis rétif, et de plus en plus, à ces romans mettant en scène les écrivains et leurs affres ; je me méfie de tout de ce qui peut ressembler à une “mise en abyme” de l'écriture, ainsi qu'il nous est dit sur la quatrième de couverture : j'ai tendance à y voir une forme de complaisance, le plus souvent maladroitement camouflée sous un auto-dénigrement trop ostentatoire pour être pris au sérieux. Fort heureusement, Joseph Vebret échappe en grande partie à ces écueils, sans doute en raison de la construction de son roman, tout en retours, détours, raccourcis, passages dérobés d'un temps à l'autre, mais aussi parce qu'une fois encore, il est éclairé par ces visages de femmes que nous transmettent les miroirs soigneusement disposés par Vebret dans son théâtre, afin d'en élargir les proportions, d'en révéler les zones sombres – mais aussi, par contrecoup, d'en approfondir les mystères.
Il faudrait aussi parler du rôle joué par l'alcool, cet incitateur/repoussoir, ce foret psychique qui permet certes de creuser, mais comme on creuse une blessure au risque de l'élargir et de la voir s'infecter irrémédiablement.
Si l'on tient absolument à dire un peu de mal de cette Nuit blanche et noire, on notera que les dialogues sont parfois un peu contraints, qu'on les lit facilement mais sans les entendre véritablement : c'est peut-être que l'auteur sait trop bien, à l'avance, où ses personnages doivent aller, et qu'il ne leur laisse pas assez le loisir d'inventer eux-mêmes leurs propres chemins de traverse.
On pourra aussi donner un coup de règle sur les doigts de son éditeur qui laisse passer (par deux fois !) un : « C'est de cela dont il s'agit » – mais là, c'est mon côté “pion” qui ressort...
Il reste “au final” (comme l'écrit malheureusement Vebret, sans se soucier de m'écorcher les oreilles au passage...) un roman douloureux et roide, qui échappe au pathos par la distance qui se maintient de bout en bout entre le narrateur et lui-même, entre les événements qui lui surviennent et le regard qu'il pose sur eux – et aussi, et encore, par ces trois femmes lumineuses, les Filles du feu de ce nervalien de Vebret.
Si au moins ceux qui atrocement disent "au final" avait le (très léger) souci de l'écrire "au finale", bordel !
RépondreSupprimerJe vois qu'on place d'emblée la barre très haut !
RépondreSupprimer"c'est peut-être que l'auteur sait trop bien, à l'avance, où ses personnages doivent aller, et qu'il ne leur laisse pas assez le loisir d'inventer eux-mêmes leurs propres chemins de traverse."
RépondreSupprimerCela nous ramène à l'éternel sujet du CAPES de Lettres Modernes: mais qu'est-ce donc que la création littéraire? Cherchez bien, tous les sujets peuvent se résumer à cela.
Vous y croyez vous, Didier, à une vie autonome des personnages d'un roman? Je sais, c'est ce que prétendait Balzac, je crois, mais je ne suis pas spécialiste. Et il est probablement celui qui leur a donné le plus de chair et de sang, celui qui les a rendus le plus aptes à la vie.
Mais bon, un auteur n'est pas Dieu non plus, seul capable de créer des êtres doués de libre-arbitre. Enfin, on n'a pas encore réussi à régler cette question littéraire.
« Vous y croyez vous, Didier, à une vie autonome des personnages d'un roman ? »
RépondreSupprimerDidier, je ne sais pas, mais moi, oui. Ce n'est d'ailleurs pas une question de croyance, mais j'en fais souvent l'expérience. On peut guider un personnage, mais le faire marcher au pas, non (ou alors faire du Zola et contraindre les personnages, c-à-d en faire des sujets politiques). C'est une simple question d'empathie : entrer dans le corps de la créature, y disparaitre, devenir lui. Enfin, quand je dis « simple », c'est pas si évident que ça en pratique. Il faut le vouloir, se concentrer et surtout s'abstraire du monde ambiant, des semaines, des mois durant. Annie Dillard en parle fort bien.
"Ai-je le droit de parler d'elle? De lui faire prendre le moindre risque. Elle n'est pour rien dans tout ce qui arrive. Et pourtant, elle en paye aussi le prix. Dégâts collatéraux. Victime innocente. J'aspirais à me (re)construire, je n'ai su que détruire... Quel gâchis!"
RépondreSupprimer(...)
! (e)
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