Du printemps qui va naître à tes mortes saisons
De ce que j'ai vécu à ce que j'imagine
Je n'en finirai pas d'écrire ta chanson
Ma France
Au grand soleil d'été qui courbe la Provence
Des genêts de Bretagne aux bruyères d'Ardèche
Quelque chose dans l'air a cette transparence
Et ce goût du bonheur qui rend ma lèvre sèche
Ma France
Cet air de liberté au-delà des frontières
Aux peuples étrangers qui donnaient le vertige
Et dont vous usurpez aujourd'hui le prestige
Elle répond toujours du nom de Robespierre
Ma France
Celle du vieil Hugo tonnant de son exil
Des enfants de cinq ans travaillant dans les mines
Celle qui construisit de ses mains vos usines
Celle dont monsieur Thiers a dit qu'on la fusille
Ma France
Picasso tient le monde au bout de sa palette
Des lèvres d'Éluard s'envolent des colombes
Ils n'en finissent pas tes artistes prophètes
De dire qu'il est temps que le malheur succombe
Ma France
Leurs voix se multiplient à n'en plus faire qu'une
Celle qui paie toujours vos crimes vos erreurs
En remplissant l'histoire et ses fosses communes
Que je chante à jamais celle des travailleurs
Ma France
Celle qui ne possède en or que ses nuits blanches
Pour la lutte obstiné de ce temps quotidien
Du journal que l'on vend le matin d'un dimanche
A l'affiche qu'on colle au mur du lendemain
Ma France
Qu'elle monte des mines descende des collines
Celle qui chante en moi la belle la rebelle
Elle tient l'avenir, serré dans ses mains fines
Celle de trente-six à soixante-huit chandelles
Ma France
Mon pauvre Jean,
tu as eu de la chance de nous sortir ça en 1968, tiens ! À l'époque, c'était encore de la geste révolutionnaire cousue main, sur fond de paysages immuables ou présumés tels. Tu enregistres la même chose aujourd'hui, je te garantis que, dans la semaine, les petits flics de Libération et des Inrocks auront vite fait de te bricoler une fiche de néo-pétainiste dont tu ne pourrais plus te défaire, ta carrière dût-elle durer cent ans !
Non mais, tu te rends compte de ce que tu oses écrire, mon vieux ? D'entrée de jeu, là, tes plaines et tes forêts, tes vallons et tes collines : ouh la ! franchouillard à mort, pas bon ! Soupçons, déjà ! les petits flics des rédactions et des officines relèvent un sourcil...
Ensuite, tu aggraves ton cas, j'ai le regret de te le dire, avec tes genêts bretons et ta bruyère ardéchoise. Sans parler de ce “goût du bonheur” : quoi ? Du bonheur ? En France ? Avec l'exclusion ? Le racisme ? Sarkozy ? Le chômage ? La vie chère ? L'arrogance des riches ? Le parti unique au pouvoir ? Le ventre encore fécond ? Et les libertés fondamentales qui partent en digue-digue ? Il faut que tu sois fou, mon pauvre ! Et alors, la suite, c'est le pompon, le sceau d'infamie, la fosse commune citoyenne :
Cet air de liberté au-delà des frontières
Aux peuples étrangers qui donnait le vertige ?
Colonialisme immonde ! Arrogance typiquement française ! Impérialisme ! Mépris des autres cultures, si tant riches et si tant belles ! Et cette manière de nous ressortir Hugo de tes tiroirs nauséabonds – ce mâle occidental blanc et machiste jusqu'au fond des flanelles –, alors que tu avais vingt ou trente vrais écrivains à main gauche, tout prêts à t'expliquer quel cloaque est en réalité Ta France. Non, vraiment...
Par pure charité, je ne dirai rien de Ta France des travailleurs qui monte des mines et descend des collines, comme un dérisoire yoyo réactionnaire. Des travailleurs ? Mais tu le fais exprès, ou bien ? Encore, tu aurais dit, je ne sais pas, moi : Que je chante à jamais celle des travailleurs sociaux, par exemple. Bon, là, ça passait. Mais “travailleurs” tout court, mauvais, ça : on sent tout de suite poindre la casquette et le pastis au comptoir, avec un écho de je-hais-ces-mensonges-qui-etc. Et les mines ! C'est quoi, ça, des mines ? Et des collines, en plus ? Il faut me revoir tout ça, si tu veux passer chez Ruquier, mon Jeannot ! Tu me remplaces ta France moisie – celle des travailleurs qui puent – par une France aux mille couleurs (c'est pour que tu puisses garder ta rime), ensuite tu bazardes ta mine et ta colline, et tu me la fais monter de la zone commerciale et descendre à Paris-Plage, ta France : tu vois le truc ?
Tu tords le nez ? T'es pas content ? Estime-toi heureux qu'on en reste là : avec Nuit et brouillard, tu pourrais encore passer pour un anti-palestinien primaire, et là, ce serait le pilori direct ! Mais, bon, je ne veux pas t'accabler : tu viens de mourir, tu dois avoir déjà des tas de trucs fastidieux à régler.
Ah, si, tout de même, une dernière chose, puisque je te tiens et avant qu'on se quitte : quand j'étais très jeune et que j'écoutais tes chansons en boucle – dont cette France qui “fait problème” justement –, j'étais quand même un peu choqué par cette invocation au boucher Robespierre. Et puis, j'ai compris ou cru comprendre. Lorsque tu dis que la France répond toujours du nom de Robespierre, je crois que j'ai longtemps entendu qu'elle répondait toujours au nom de Robespierre. Or, s'il s'agit d'en répondre, de l'assumer comme on jargonne maintenant, de l'incorporer au grand corps malade de ce pays, sans en être trop fiers mais sans s'en excuser non plus devant quiconque, alors là, oui, j'en réponds aussi.
Je t'embrasse. Bonne éternité, s'il en est une.
De ce que j'ai vécu à ce que j'imagine
Je n'en finirai pas d'écrire ta chanson
Ma France
Au grand soleil d'été qui courbe la Provence
Des genêts de Bretagne aux bruyères d'Ardèche
Quelque chose dans l'air a cette transparence
Et ce goût du bonheur qui rend ma lèvre sèche
Ma France
Cet air de liberté au-delà des frontières
Aux peuples étrangers qui donnaient le vertige
Et dont vous usurpez aujourd'hui le prestige
Elle répond toujours du nom de Robespierre
Ma France
Celle du vieil Hugo tonnant de son exil
Des enfants de cinq ans travaillant dans les mines
Celle qui construisit de ses mains vos usines
Celle dont monsieur Thiers a dit qu'on la fusille
Ma France
Picasso tient le monde au bout de sa palette
Des lèvres d'Éluard s'envolent des colombes
Ils n'en finissent pas tes artistes prophètes
De dire qu'il est temps que le malheur succombe
Ma France
Leurs voix se multiplient à n'en plus faire qu'une
Celle qui paie toujours vos crimes vos erreurs
En remplissant l'histoire et ses fosses communes
Que je chante à jamais celle des travailleurs
Ma France
Celle qui ne possède en or que ses nuits blanches
Pour la lutte obstiné de ce temps quotidien
Du journal que l'on vend le matin d'un dimanche
A l'affiche qu'on colle au mur du lendemain
Ma France
Qu'elle monte des mines descende des collines
Celle qui chante en moi la belle la rebelle
Elle tient l'avenir, serré dans ses mains fines
Celle de trente-six à soixante-huit chandelles
Ma France
Mon pauvre Jean,
tu as eu de la chance de nous sortir ça en 1968, tiens ! À l'époque, c'était encore de la geste révolutionnaire cousue main, sur fond de paysages immuables ou présumés tels. Tu enregistres la même chose aujourd'hui, je te garantis que, dans la semaine, les petits flics de Libération et des Inrocks auront vite fait de te bricoler une fiche de néo-pétainiste dont tu ne pourrais plus te défaire, ta carrière dût-elle durer cent ans !
Non mais, tu te rends compte de ce que tu oses écrire, mon vieux ? D'entrée de jeu, là, tes plaines et tes forêts, tes vallons et tes collines : ouh la ! franchouillard à mort, pas bon ! Soupçons, déjà ! les petits flics des rédactions et des officines relèvent un sourcil...
Ensuite, tu aggraves ton cas, j'ai le regret de te le dire, avec tes genêts bretons et ta bruyère ardéchoise. Sans parler de ce “goût du bonheur” : quoi ? Du bonheur ? En France ? Avec l'exclusion ? Le racisme ? Sarkozy ? Le chômage ? La vie chère ? L'arrogance des riches ? Le parti unique au pouvoir ? Le ventre encore fécond ? Et les libertés fondamentales qui partent en digue-digue ? Il faut que tu sois fou, mon pauvre ! Et alors, la suite, c'est le pompon, le sceau d'infamie, la fosse commune citoyenne :
Cet air de liberté au-delà des frontières
Aux peuples étrangers qui donnait le vertige ?
Colonialisme immonde ! Arrogance typiquement française ! Impérialisme ! Mépris des autres cultures, si tant riches et si tant belles ! Et cette manière de nous ressortir Hugo de tes tiroirs nauséabonds – ce mâle occidental blanc et machiste jusqu'au fond des flanelles –, alors que tu avais vingt ou trente vrais écrivains à main gauche, tout prêts à t'expliquer quel cloaque est en réalité Ta France. Non, vraiment...
Par pure charité, je ne dirai rien de Ta France des travailleurs qui monte des mines et descend des collines, comme un dérisoire yoyo réactionnaire. Des travailleurs ? Mais tu le fais exprès, ou bien ? Encore, tu aurais dit, je ne sais pas, moi : Que je chante à jamais celle des travailleurs sociaux, par exemple. Bon, là, ça passait. Mais “travailleurs” tout court, mauvais, ça : on sent tout de suite poindre la casquette et le pastis au comptoir, avec un écho de je-hais-ces-mensonges-qui-etc. Et les mines ! C'est quoi, ça, des mines ? Et des collines, en plus ? Il faut me revoir tout ça, si tu veux passer chez Ruquier, mon Jeannot ! Tu me remplaces ta France moisie – celle des travailleurs qui puent – par une France aux mille couleurs (c'est pour que tu puisses garder ta rime), ensuite tu bazardes ta mine et ta colline, et tu me la fais monter de la zone commerciale et descendre à Paris-Plage, ta France : tu vois le truc ?
Tu tords le nez ? T'es pas content ? Estime-toi heureux qu'on en reste là : avec Nuit et brouillard, tu pourrais encore passer pour un anti-palestinien primaire, et là, ce serait le pilori direct ! Mais, bon, je ne veux pas t'accabler : tu viens de mourir, tu dois avoir déjà des tas de trucs fastidieux à régler.
Ah, si, tout de même, une dernière chose, puisque je te tiens et avant qu'on se quitte : quand j'étais très jeune et que j'écoutais tes chansons en boucle – dont cette France qui “fait problème” justement –, j'étais quand même un peu choqué par cette invocation au boucher Robespierre. Et puis, j'ai compris ou cru comprendre. Lorsque tu dis que la France répond toujours du nom de Robespierre, je crois que j'ai longtemps entendu qu'elle répondait toujours au nom de Robespierre. Or, s'il s'agit d'en répondre, de l'assumer comme on jargonne maintenant, de l'incorporer au grand corps malade de ce pays, sans en être trop fiers mais sans s'en excuser non plus devant quiconque, alors là, oui, j'en réponds aussi.
Je t'embrasse. Bonne éternité, s'il en est une.
Arf!!!
RépondreSupprimerExellentissimo!
Dites donc Mr Goux, je me faisais cette reflexion: ils sont bien tolérants chez Marianne de mettre en lien un bloggeur aussi réac que vous non?
Un réac, chose rare, qui aurait de l'humour et pas seulement de la mélancolie.
Je soupçonne Philippe Cohen de bien aimer provoquer un peu ses lecteurs...
RépondreSupprimerSi je dis que Jean Ferrat quand je l'entend au bout de deux minutes j'ai la tête sur les genoux, alors qu'il vient de mourir (le pauvre)
RépondreSupprimerC'est grave ?
Hein ? C'est grave ?
"quoi ? Du bonheur ? En France ? Avec l'exclusion ? Le racisme ? Sarkozy ? Le chômage ? La vie chère ? L'arrogance des riches ? Le parti unique au pouvoir ? Le ventre encore fécond ?":
RépondreSupprimerEt la culpabilité, qui marche au pas avec la repentance? Vous les avez oubliées, ces deux-là. Mais ça vient avec le colonialisme...
Robespierre fait partie de l'histoire de la France, on prend tout, comme dit Zemmour.
Didier, moi aussi je vous embrasse, pour un billet comme celui-ci!
Alors là, je dis bravo, pour La Récupération !
RépondreSupprimerFaire dire au défunt, avec lequel vous fûtes apparement de fréquentation familière voire fraternelle, qu'au fond il était de votre bord, alors là je dis : 2 fois bravo !
Parler de Ferrat et par un raccourçi digne des pratiques des amis du politburo soviétique, en faire la quasi défenseur de la chienlit sarkozienne actuelle, je dis :bravo !
D'ici peu, vous nous apprendrez que Aragon était secrétaire national de l'UMP ?
A mon avis, il y a des choses que vous ne saisissez pas bien (ou que vous ne voulez pas saisir)Jean Ferrat possède une légitimité pour un tel texte, vous, par exemple ne l'avez pas, votre façon de voir le monde est différente de la sienne, avec un tel texte, vous aggraveriez votre cas, lui il se donne un coté terroir conservateur, qui ne lui nuit pas.C'est la vie. chacun choisit son côté.
RépondreSupprimerJe vous invite très volontiers ainsi que votre Irremplaçable et votre meute lorsque vous passerez en Ardèche à boire une bière locale.
RépondreSupprimerMarie L
Emanu : Non, c'est pas grave. Et ça prouve votre souplesse.
RépondreSupprimerMarine : On prend tout, exactement ! Le droit d'inventaire, c'est bon pour les fiotes !
Tonnégrande (et Henri d'ailleurs) : vous m'avez lu trop vite ! Je ne dis pas qu'il y a du pétainisme dans cette chanson (que j'ai toujours trouvé très belle, et encore maintenant), je dis que les petits commissaires du peuple qui grouillent de nos jours se chargeraient bien de l'y dénicher, si un jeune Ferrat inconnu enregistrait ça aujourd'hui.
Et puis, bon, il convient tout de même de faire sa part à l'exagération humoristique...
Marie L : ce n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd (ni d'un abstème...) ! Prochaine fois qu'on descend dans le Gard...
Vous écrivez aux morts, vous? Parce qu'ils ne peuvent vous répondre? C'est malin, ça...
RépondreSupprimer(une Passante un peu perverse de souligner cela, vraiment...)
(ça fait un peu son France Dimanche à l'envers, mais il est vrai, il est plus classe de parler à Ferrat qui ne répond pas qu'à Claude François répondant de son au-delà: arf! ce monde et ce siècle sont vraiment fous!)
Quand même: entre la France idéale qu'on se forge de belle imagination et la réalité, il y a un pas de géant, que dis-je un pas, un gouffre, une "bouche d'ombre"...
RépondreSupprimer" Et puis, j'ai compris ou cru comprendre. Lorsque tu dis que la France répond toujours du nom de Robespierre, je crois que j'ai longtemps entendu qu'elle répondait toujours au nom de Robespierre. Or, s'il s'agit d'en répondre, de l'assumer comme on jargonne maintenant, de l'incorporer au grand corps malade de ce pays, sans en être trop fiers mais sans s'en excuser non plus devant quiconque, alors là, oui, j'en réponds aussi. "
RépondreSupprimerChapeau bas Didier, chapeau bas. J'ai appris quelquechose, je dormirai moins con grace à vous. Merci
Robespierre, Hugo, Thiers, Eluard, Ardèche, bruyères, genêts, Bretagne, Provence, France... cé quoua tous ça ? Konnai pas !
RépondreSupprimerMarcel
En 1968, il prenait de la drogue, non ?
RépondreSupprimer:-))
Zut alors!
RépondreSupprimerExcellent !
RépondreSupprimerTrès drôle, et très réac, pas tout à fait les Actes des Apôtres mais ça ne vous déplairait pas qu'on vous le dise ou je me trompe ?
RépondreSupprimerÀ vous et à Philippe Cohen :
Robespierre a dit "Traitez-les comme des citoyens et ils se conduiront comme tels". Il parlait des juifs. Le bouc-émissaire a changé, pas les habitudes.
Robespierre a dit encore : "Je ne connais d'autre ingratitude de la part du peuple que celle qui pèse sur le peuple lui-même." Vous pesez, cher, vous pesez. Sur vous-même.
Je suis réac tendance "Didier Goux". Pour le reste, heureusement, je suis ailleurs.
RépondreSupprimerVive Trenet !
RépondreSupprimerPlutôt que de ferra(t)iller en chansons contre les absurdités de la politique, vous préférez traîner avec Charles dans les jardins (peu extraordinaires), Suzanne?
RépondreSupprimerSorry for my bad english. Thank you so much for your good post. Your post helped me in my college assignment, If you can provide me more details please email me.
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