« La détention en camp est une chose atroce qu'aucun homme ne devrait jamais connaître. L'expérience du camp est, à chaque instant, absolument négative. L'homme n'y fait que devenir plus mauvais. Il ne saurait en être autrement. Au camp, il se passe des choses dont un homme ne devrait jamais être témoin. Mais voir la fange de la vie n'est pas le plus effroyable. Le pire, c'est quand l'homme commence à sentir cette fange s'infiltrer dans sa propre vie – et pour toujours –, quand il emprunte ses repères moraux à son expérience du camp, quand son existence est réglée par la morale des truands. Quand la raison non seulement sert à justifier ce comportement engendré par le camp, mais s'est mise au service de ce dernier. Je connais beaucoup d'intellectuels, et pas uniquement des intellectuels, qui ont secrètement adopté les limites morales des truands dans leur conduite d'hommes libres. Dans la bataille qui a opposé ces hommes au camp, c'est le camp qui a gagné. Ils ont adopté la morale : « Il vaut mieux voler que demander » ; à l'instar des truands, ils se sont mis à faire la différence entre ration personnelle et ration d'État et se sont permis une attitude trop libre à l'égard de ce qui fait partie des biens publics. Il y a beaucoup d'exemples d'avilissement au camp. Garder des frontières morales, une limite, est très important pour un détenu. C'est le problème essentiel de sa vie : est-il resté un homme ou pas ? »
Varlam Chalamov, Récits de la Kolyma, Verdier, p. 609.
Les grandes consciences qui ont témoigné après Auschwitz et celles qui ont écrit sur les camps communistes – soviétiques ou autres –, sont d'accord sur plusieurs points, et en particulier sur celui-ci : placés dans la situation extrême du camp, les truands révèlent à tous qu'ils ont depuis longtemps cessé d'être des hommes, et le fameux “code d'honneur” qui est censé être le leur n'a jamais existé ailleurs que dans les fantasmes de petits-bourgeois mal intellectualisés. Pas davantage le truand n'est celui qui remet en cause – à sa manière – l'ordre établi, de même que jamais nul asticot n'a contesté le fromage sur lequel il se tortille. Le truand est le plus solide soutien du régime en place, quel que soit ce régime. Les nazis ne s'y trompaient pas, qui qualifiaient ces fangeux individus de “bons Allemands”. Les communistes russes étaient entièrement d'accord avec eux : les truands étaient appelés “amis du peuple”. À ce titre, aucune sentinelle ne se serait permis d'en abattre un sans jugement, alors que c'était pratique quotidienne avec les “trotskistes”, ou plus généralement les “politiques” – lesquels, comme le souligne avec force Varlam Chalamov, étaient tout ce qu'on veut sauf politiques justement.
C'est d'ailleurs l'une des grandes différences (il y en a somme toute assez peu) entre les camps nazis et communistes : Les juifs qui furent massacrés dans les premiers l'étaient réellement, juifs. Tandis qu'aucun des millions de “trotskystes” qui ont disparu en Sibérie n'avait jamais songé à se réclamer de l'adversaire de Staline. Beaucoup d'entre eux, même, étaient avant leur arrestation des communistes de stricte orthodoxie. Mais Satan, convoqué à Moscou par Boulgakov, s'est chargé d'aplanir ce léger obstacle...
Dans la série des camps, lire "vents amers" de Harry WU. C'est presque pire (si l'on peut mesurer !)
RépondreSupprimerC'est noté !
RépondreSupprimerEt le communistes juifs ?
RépondreSupprimerCe qu'il y a de bien avec les billets de Didier, c'est qu'il nous apprend qu'il est presque normal de trucider les juifs mais pas les cocos...
(smiley, hein)
Les communistes juifs (et russes), ils ont eu très chaud aux miches entre 1948 et 1953. Si Staline n'avait pas eu la bonne idée de mourir en mars 1953, ils étaient partis pour un pogrom d'anthologie.
RépondreSupprimerUne grande partie des hommes d'état soviétiques étaient juifs ou alliés de famille à des juifs. Comment expliquez-vous cet éventuel pogrom fomenté par Staline? Les nécessités pour n'importe quel totalitarisme d'instaurer une terreur irraisonnée à tous, même ses alliés, pour s'assurer de leur fidélité?
RépondreSupprimerLaurent l'Anonyme
Je pense que votre raison est valable, même si elle n'est sans doute pas unique : il faut aussi tenir compte de la paranoïa de plus en plus maladive de Staline, à mesure qu'il vieillissait.
RépondreSupprimer« il faut aussi tenir compte de la paranoïa de plus en plus maladive de Staline, à mesure qu'il vieillissait. »
RépondreSupprimerTout le contraire de moi en somme.
Sans aucun rapport avec l'asticot sur son fromage ( excellent, c'est de vous ? ) J'ai bien reçu et me le garde au frais pour demain, j'ai 2h de bagnole a faire avec une bonne sono !
RépondreSupprimermerci bien et pour l'envoi et pour votre billet
Georges, vous êtes l'anti-Staline par excellence.
RépondreSupprimerCorto : si vous avez deux heures de voyage, prévoyez d'autres CD : la Lettre au père ne dure que cinquante minutes...
Et, oui, le fromage et l'asticot sont de moi, et non une fable de La Fontaine, comme un vain peuple le croit trop souvent.
Pourtant, physiquement, il me ressemble de plus en plus.
RépondreSupprimerVoici une autre différence qui ne paraît pas anodine:
RépondreSupprimerEn 1976, dans un appendice à "Si c’est un homme", l'écrivain rescapé des camps nazis Primo Levi apporte d'autres éléments : le fait d'être condamné à une peine prédéfinie pour le Goulag, ou encore le taux de mortalité largement supérieur dans les camps nazis que dans ceux d'Union soviétique. Levi indique à ce sujet : « En Union soviétique, il semble que dans les pires moments la mortalité ait atteint environ 30 % du total des entrants, et c'est déjà un chiffre intolérablement élevé ; mais dans les Lager allemands, la mortalité était de 90 à 98 % ». Pour Levi, « il n'était pas prévu d'autre issue que la mort » dans les camps nazis, alors qu'au Goulag la mort n'était pas « un but déclaré » : c'était « un accident assez fréquent, accepté avec une indifférence brutale, mais qui n'était pas une conséquence expressément voulue ».
Mais dire cela réclame-t-il l'anonymat ?
RépondreSupprimerGeorges, vous pouvez prendre ce texte à votre compte (c'est du wikipedia, vous le trouverez facilement à la rubrique goulag), si ça vous tente et si vous n'avez pas peur de froisser le maître des lieux!Mais je pense que votre courage bien connu n'ira pas jusque là!
RépondreSupprimer90 à 98% de mortalité? Waw! Quand on voit après coup le nombre de gens qui se disent rescapés, on a échappé de peu à un problème de surpopulation!
RépondreSupprimerLes allemands sont décidément efficaces: leur réputation n'est pas usurpée!
Laurent l'Anonyme
Mais quel connard !
RépondreSupprimerAnonyme : en général (comme le signale Georges juste après vous), sur ce blog on méprise les anonymes et, donc, on ne leur répond pas. Mais là, vous outrepassez le droit d'être con, d'où cette réponse.
RépondreSupprimerPrimo Levi est mort en 1982 (vous qui semblez adorer Wikipédia pourrez aisément le vérifier), c'est à dire à une époque où il était encore fort bien porté d'être communiste (même les anti-communistes l'étaient, en fait), et où la propagande faisait rage : on pensait encore que le PC était le parti aux je-ne-sais-plus-combien de fusillés, qu'ils n'ont évidemment jamais eus.
30 % de morts dans les camps sibériens. Si vous croyez à cette propagande, soit vous êtes un con, soit un salaud (les deux sont compatibles, je vous rassure). Lisez n'importe quel témoin, y compris ceux qui n'ont aucun talent littéraire, mais qui n'en restent pas moins irremplaçables, et vous comprendrez l'obscénité de ce que vous dites. Je ne vous demande pas de lire les 1500 pages des Récits de la Kolyma, mais jes deux ou trois premières centaines de pages devraient néanmoins vous éclairer : les "brigades" affectées aux mines, à la taille, etc., n'avaient pas une espérance de vie supérieure à trois mois, et AUCUN (hormis le chef) n'en revenait.
Primo Levi (et on comprend bien pourquoi, évidemment) met en parallèle non pas les camps de concentration allemands et les les camps communistes de la Kolyma, mais les camps d'extermination, c'est-à-dire ce qu'il a connu, et décrit pour l'éternité. Primo Levi, et c'est sa grandeur, parle de ce qu'il a connu et uniquement de cela. Varlam Chalamov, de son côté, bâti une œuvre littéraire lui aussi, à partir de ce qu'il a connu, et strictement.
Quant à vous, vous vous offrez l'obscénité d'aller chercher des chiffres frelatés chez Wikipédia : vous me dégoûtez profondément.
Erreur de ma part : Primo Levi est mort en 1987.
RépondreSupprimerAh les hypocrites! Ah les pignoufs! Leurs assemblées sont composées à 99,9% de blancs chrétiens ou protestants et ils viennent nous faire la morale! J'suis sûr qu'il n'y a même pas un buffet halal à Bruxelles.
RépondreSupprimerJe sais Mr Goux: je suis encore hors sujet. Mais que voulez vous: j'ai du mal à ne pas vivre avec mon temps.
Vous disiez quoi déjà?
Levi indique à ce sujet : « En Union soviétique, il semble que dans les pires moments la mortalité ait atteint environ 30 % du total des entrants, et c'est déjà un chiffre intolérablement élevé ; mais dans les Lager allemands, la mortalité était de 90 à 98 % ». Pour Levi, « il n'était pas prévu d'autre issue que la mort » dans les camps nazis, alors qu'au Goulag la mort n'était pas « un but déclaré » : c'était « un accident assez fréquent, accepté avec une indifférence brutale, mais qui n'était pas une conséquence expressément voulue ».
RépondreSupprimerL'anonyme a de ces nuances...On mourrait plus lentement chez les cocos, et le camarade Pol Pot organisait des camps de vacances...
Sur cette période je n'ai qu'un savoir parcellaire (a ce propos je vous doit un aveu: mon savoir est très parcellaire et j'admire toujours ceux qui affirme). Mais je crois savoir que Staline n'a pas été d'une tendresse infinie avec les révolutionnaires de 1917 qui pour beaucoup étaient juifs. Et qu'au goulag ces derniers avaient une place de choix.
RépondreSupprimerS'il y a quelqu'un qui a inspiré et impressionné Staline c'est bien Hitler.
D'après l'historienne Anne Applebaum, 18 millions[4] de personnes sont passées par les goulags sous la dictature de Staline. Les effectifs des prisonniers n’ont jamais dépassé les deux millions sur une année, prisonniers de droit commun et politiques confondus. Cela s’explique par un renouvellement constant des détenus alimenté par des libérations[69] compensées par de nouvelles arrestations. Les zeks pouvaient quitter les camps pour intégrer l’armée, parce qu’ils étaient invalides ou incapables de travailler (femmes enceintes). Mais un à deux millions de personnes n’ont pas survécu.
RépondreSupprimer(Toujours Wikipedia)
Fredi : en effet, votre savoir semble parcellaire (le mien aussi, du reste).
RépondreSupprimerAnonyme : t'es un con, fous le camp.
Merci.
RépondreSupprimerAu moins je ne fais pas semblant.
Wikipédia donc
Mais pour en finir c'est quoi au juste cette étude comparative?
RépondreSupprimerIl y a-t-il une façon, une raison plus noble de zigouiller son prochain? Certains morts valent-ils plus que d'autres? Les Tustis venant en dernier et les pioupious de 14 quelque part on ne sait où?
Nous sommes quittes je ne vous dois rien.
RépondreSupprimer@Fredi maque:
RépondreSupprimer"Nous constatons une augmentation générale des attitudes xénophobes et intolérantes, accompagnée d'attaques verbales virulentes et d'incidents violents, ainsi qu'une perception grandissante que les flux migratoires ont un impact négatif sur les pays concernés".
Tout à fait juste: demandez donc au petit pépé de Narbonne qui a migré au bout de sa rue pour faire pisser son chien et qui n'en est jamais revenu! Il a été victime de racistes ne supportant pas les flux migratoires... Et le petit couple de Grenoble qui migrait de sa chambre à sa salle de bain: torturés et violés.
Cela peut nous arriver à tout moment.
Déjà que j'ose plus migrer jusqu'à la boîte à lettres !
RépondreSupprimer