dimanche 1 juin 2008

Crépuscule recommencé

À M. Dorham, en humble hommage...


L'égrotant vieillard était peu satisfait de lui-même. Vomir sur son chien ne lui était encore jamais arrivé, et il supportait mal le doux regard de reproche de l'animal, bavant de droite et de gauche, comme c'était son habitude. Des linéaments de mousse de bière et quelques sinuosités de vin rouge s'accrochaient dans les poils de l'animal, qui faisait semblant - pas très bien - de prendre la mésaventure par-dessus la jambe.

L'égrotant vieillard réprima un rot, aigre de tout ce que le monde lui inspirait. Il était seul. Par la fenêtre ouverte, couvrant les piaillements symphoniques des oiseaux, s'épandaient les rumeurs lointaines (pas tout à fait assez lointaines à son goût) de la fête se déroulant à l'autre bout de son village proche de la mer. Ce n'était pas réellement une fête, du moins la momie houblonnée ne voulait-elle pas que c'en fût une : la joie des autres lui était une injure, aggravait ses rhumatismes, accentuait l'écoulement des mucosités de son appendice nasal.

Le chien leva la tête vers lui, il détourna son regard enlarmé d'alcool. Pendant ce temps, pour faire joli, les nuages bas contruisaient au-dessus de sa maison une petite grange nébuleuse. L'expression lui était venue, comme cela, entre une bière et la suivante.

Il se leva de son fauteuil antique, sinistrement sombre, et, titubant, percutant sans même en souffrir tous les coins de meubles, se dirigea vers la cuisine ; il écrasa au passage - sans entendre le cri de la pauvre bête - la queue du chien. Il restait quatre bières dans le frigo et la soirée menaçait d'être longue, dans cette solitude noire, repoussé qu'il était dans son aigreur par les cris et les ris des enfants au dehors.

Il savait que personne, dans ce merveilleux village, presque perpétuellement fleuri, balayé de senteurs, ne se souciait de sa présence, ni même ne savait son existence. Il en concevait, surtout à la tombée du jour, des envies d'immolation, des désirs de fusion aussi.

Il savait que les ludions rieurs l'accueilleraient parmi eux, pour peu qu'il consente à leur tendre la main, à leur offrir un sourire sans arrière-pensée. Il était saisi, se rasseyant dans son fauteuil antique et sombre, par l'envie de se mêler à leurs jeux. Mais, déjà, ils étaient partis plus loin, rapetissant dans son champ de vision embué.

Le temps aidant, il avait même réussi à écraser toute étincelle de vie dans les halètements attentifs du chien, lequel, sous cet éteignoir, avait oublié jusqu'à l'idée de la promenade. Lui-même s'était mis à avoir peur des humains, spécialement de ceux qui tendaient les mains et souriaient en direction du soleil couchant.

L'égrotant vieillard décapsula sa bière, un peu de mousse éclaboussa le devant de son pantalon, comme un rappel de semence. Les rires, dehors, parurent saluer cet exploit involontaire, puis s'éloignèrent, mais sans mourir tout à fait - il en resta comme un rappel, une coda furtive. Il laissa son triple menton retomber sur sa double poitrine, le chien ferma les yeux. Et tout recommença comme la soirée précédente. Le vieillard égrotant, éloigné des trémulations juvéniles, en conçut une vague raison d'espérer.

Tout en sachant que, s'allant coucher, il allait une fois de plus se niquer un genou ou l'autre contre le coin des meubles.

19 commentaires:

  1. J'apporte tout de suite le déambulateur pour faire marcher bien droit le vieillard égrotant ... pas bavez hein !

    iPdibilue fascistoïde

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  2. Vous z'inquiétez pas, j'ai rangé les bibelots.
    iPidIrrempe garde-sénile

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  3. J'ai lu juste le premier paragraphe et je suis morte de lol !

    Je continue...

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  4. Je précise que mon commentaire n'était ni ironique ni moqueur...

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  5. Au moins cette histoire vous rend créatifs... c'est bien continuez :-)

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  6. Si un psy passe par là il va se régaler.

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  7. « Il savait que les ludions rieurs l'accueilleraient parmi eux, pour peu qu'il consente à leur tendre la main »

    « pour peu qu'il consentît » ne serait-il pas d'un meilleur effet ? Je ne fais que poser la question, mais, il n'empêche, vous semblez parfois oublier, Monsieur Goux, que vous avez une réputation de réac à tenir.

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  8. Ce sont ses premières armes de vieux réac, laissez-le prendre le pli !

    iPidiblue déambulatoire

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  9. Même remarque que Sylvie, et je rajoute ...enfin.

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  10. Ce qu'on vous reproche, surtout, et sans pouvoir le dire, c'est votre style.

    Des blogueurs qui angotent, il y en a des milliers.

    Des blogueurs comme vous, il y en a peu.

    Quand un blogueur n'est pas trop con, évidemment, il se rend compte de la différence de qualité entre sa prose et la vôtre, et ça le chagrine. Vous avez la riposte leste et le mot juste, vous balancez sans douleur, comme en sifflotant,des billets plus drôles, mieux fichus, que ceux de vos amoureux déçus.
    C'est impardonnable.

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  11. Suzanne : bien d'accord avec vous. Méfiez vous , vous risquez d'être accusée de flagornerie active... (smiley smiley)

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  12. iPidiblue et Catherine : je vous méprise...

    Zoridae : je ne vous soupçonnais nullement d'ironie. Mais, quand bien même l'auriez-vous été, ironique, c'est une chose que je supporte fort bien.

    Sylvie : je n'ai pas le choix de l'être : je me suis engagé à écrire un texte sur "les poubelles d'hypermarché", engagement que je compte tenir, même derrière les barreaux de ma nouvelle cage.

    Sniper : on a déjà eu tout un tas de psys amateurs, il ne nous manque plus, en effet, qu'un professionnel de la profession.

    Chieuvrou : vous avez raison dans l'absolu. Mais, je ne saurais trop dire pourquoi, je trouve qu'ici le présent "coule" mieux...

    Nea : même remarque qu'à Sylvie !

    Suzanne : merci beaucoup pour ce compliment (sans doute exagéré, malheureusement).

    Pluton : de toue façon, mes commentateurs sont désormais des accusés permanents. Vous voilà prévenus.

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  13. Bonjour,

    Je suis un psychologue professionnel, actuellement sans emploi. J'ai ouï-dire qu'un villageois abruti par l'alcool et la lecture d'ouvrages antisémites, sinon carrément nazis, cherchait à soigner sa popularité auprès de notre saine jeunesse, et envisagerait de confier son âme aux soins délicats d'un redresseur de pensées. Je pense être l'homme de la situation. Acupuncture, massages, électrochocs. Tarifs préférentiels. Résultats garantis.

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  14. Si ça ne vous fait rien, Monsieur Goux, maintenant que nos amis vigilants nous ont quittés, j'aimerais pouvoir pour ma part reprendre la place de Grande Conscience Morale de Gauche qui m'avait été insidieusement ravie par les susnommés.

    Ce n'est pas trop demander, je pense.

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  15. Yanka : vos tarifs seront les miens : j'ai besoin de vous...

    Chieuvrou, vous avez toujours été ma SEULE conscience de gauche !

    (Voyez avec Ygor Yanka pour les tarifs.)

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  16. Et puis, j'ai toujours Georges comme conscience absolue, avec laquelle vous ne pouvez pas lutter.

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  17. Monsieur Yanka, est-ce qu'on peut partager ? Les massages pour moi et les électrochocs pour Didier.

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  18. Électrochocs et acquittement de la facture pour le client principal, massages, chocolats belges et virée à la SAQ pour les proches de sexe féminin.

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.