mercredi 11 juin 2008

Prière bohémienne

Comment ai-je pu l'oublier celui-là, à ton avis ? Peut-être parce qu'il n'y avait pas de disques de lui, chez André, rue du Sommerard... Possible, oui. Il n'empêche que, dans mon petit Panthéon de chanteurs morts, il y a encore ce Québécois à la voix étrange et chaude : Félix Leclerc. Ce qui me ramène, là encore, à ma mère.

Nous vivions à Châteaudun, alors. Donc, en 1971 ou 1972, plus probablement en 71. Elle m'a envoyé au "Leclerc" du coin (oui, oui, oisive jeunesse : il y avait déjà des "Leclerc" (on parle des magasins, n'est-ce pas...) à cette époque reculée, sauf qu'ils étaient en pierre, et les garnisseurs de rayons vêtus de peaux d'auroch), pour y acheter un disque de Leclerc (Félix, donc : faites un effort, bordel !). Elle voulait qu'il y ait dessus Moi, mes souliers ou alors Le Petit Bonheur. Coup de bol : il y avait des disques de Félix dans les bacs, et les deux chansons étaient sur le même.

Christiane a eu du mal à me faire aimer ce chanteur-là (j'avais 15 ans, tout de même...). Ç'a même pris plusieurs années. Ma petite fierté à moi est que, quand j'ai opéré ma jonction avec l'Irremplaçable, je connaissais dix fois mieux le répertoire de Félix Leclerc que ses trois enfants et elle. Évidemment, elle a tenté de me snober en me racontant qu'elle était sur les plaines d'Abraham, lors du concert historique réunissant Leclerc, Vignault et Charlebois, en 1974 si je me souviens bien, mais j'ai fait le mec dédaigneux et ça n'a pas du tout marché.

Félix Leclerc, c'était mon chanteur à moi. Je m'excuse.


PRIÈRE BOHÉMIENNE (1951)

À tous les bohémiens, les bohémiens de ma rue
Qui sont pas musiciens, ni comédiens, ni clowns
Ni danseurs, ni chanteurs, ni voyageurs, ni rien
Qui vont chaque matin, bravement, proprement
Dans leur petit manteau sous leur petit chapeau
Gagner en employés le pain quotidien

Qui sourient aux voisins sans en avoir envie
Qui ont pris le parti d'espérer
Sans jamais voir de l'or dans l'aube ou dans leur poche
Les braves bohémiens, sans roulotte, ni chien
Silencieux fonctionnaires aux yeux fatigués

J'apporte les hommages émus
Les espoirs des villes inconnues
L'entrée au paradis perdu
Par des continents jamais vus
Ce sont eux qui sont les plus forts
Qui emportent tout dans la mort

Devant ces bohémiens, ces bohémiens de ma rue
Qui n'ont plus que la nuit pour partir
Sur les navires bleus de leur jeunesse enfuie
Glorieux oubliés, talents abandonnés
Comme des sacs tombés au bord des grands chemins

Qui se lèvent le main cruellement heureux
D'avoir à traverser des journées
Ensoleillées, usées, où rien n'arrivera que d'autres embarras
Que d'autres déceptions tout au long des saisons

J'ai le chapeau bas à la main
Devant mes frères bohémiens

2 commentaires:

  1. Moi aussi "J'ai le chapeau bas à la main" mais c'est plutôt "Devant mes frères sodomites" !

    iPidiblue maudit français !

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  2. Je suis prêt à parier qu'il n'y avait pas de leclerc (en centre-ville et en dur) à Chateaudun en 72.
    Patrick

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.