L'écoute récente de Swann lu par André Dussolier, que j'ai évoquée rapidement ici, m'a donné envie de rester avec Proust. Mais sans toutefois me replonger dans La Recherche, trouvant que cela ferait en quelque sorte double emploi avec la lecture du comédien, qui se poursuit à son rythme. J'ai donc choisi de tourner autour, de l'apercevoir de loin, tel le clocher de Martainville lorsqu'on choisi d'aller se promener du côté de Méséglise. Je flâne dans les allées de Combray, mais en évitant la petite maison, si ordinaire, de la tante Léonie, qui doit m'épier de sa fenêtre.
J'ai commencé par relire la biographie de Jean-Yves Tadié (Gallimard), qui est de loin la meilleure des trois que je connais – et aussi la plus récente. Celle de Painter, qui a l'immense mérite d'être la première, est entachée de basse psychanalyse, et celle de Diesbach m'a paru, lors de ma seule lecture, sans grand intérêt.
J'ai enchaîné avec le Sur Proust de Jean-François Revel (Grasset). Si certains d'entre vous, comme il m'arrive parfois, se sentent menacés de proustolâtrie, ce petit livre est pour eux : bien qu'admirateur de l'écrivain, Revel n'hésite pas à pointer ses faiblesses (en disant pourquoi, à son avis, ce sont des faiblesses) autant que ses grandeurs, quitte à prendre à rebrousse-poil une critique un peu trop déférente – ou impressionnable. Bref, il aère salutairement la chambre de tante Léonie. Il casse aussi quelques bibelots, ce butor, lorsqu'il place Zola au-dessus de Balzac, mais il est dans son droit : après tout, c'est son livre. Une petite citation, pour se mettre en bouche :
« On pardonne plus facilement à un auteur de ne pas répondre aux questions qu'on se pose que d'en soulever d'importantes qui ne nous concernent pas, et qui pourtant devraient intéresser tout homme : il apporte la preuve de notre pauvreté. »
Reprenons. En fin de journée, je suis revenu à Tadié et j'ai repris son Proust et le roman, qui est sa thèse de doctorat, plus ou moins remaniée je présume (mais je n'en sais rien) et publiée par Gallimard en 1971. Lecture plus aride que les deux précédentes, on s'en doute. Je me suis gardé le plus savoureux (parce qu'on ne va tout de même pas passer l'année sur Marcel), avec le Monsieur Proust de Céleste Albaret (Belfond, je crois : j'ai la flemme de me lever pour vérifier), laquelle fut, comme nul n'ignore, la gourvernante de l'écrivain, de 1913 à 1922, date de sa mort (celle de Proust). Oscar Wilde, à qui on demandait quel fut le plus triste événement de sa vie, répondit : « La mort de Lucien de Rubempré dans Splendeurs et misères des courtisanes. » Moi, c'est le récit des dernières heures de Proust par Céleste que je n'ai jamais pu relire sans me mettre à brailler comme un veau.
En revanche, après avoir enterré l'autre petit con pommadé et suffisant de Rubempré, j'ai tapé le pastis comme si de rien n'était. Comme quoi, hein...
J'ai commencé par relire la biographie de Jean-Yves Tadié (Gallimard), qui est de loin la meilleure des trois que je connais – et aussi la plus récente. Celle de Painter, qui a l'immense mérite d'être la première, est entachée de basse psychanalyse, et celle de Diesbach m'a paru, lors de ma seule lecture, sans grand intérêt.
J'ai enchaîné avec le Sur Proust de Jean-François Revel (Grasset). Si certains d'entre vous, comme il m'arrive parfois, se sentent menacés de proustolâtrie, ce petit livre est pour eux : bien qu'admirateur de l'écrivain, Revel n'hésite pas à pointer ses faiblesses (en disant pourquoi, à son avis, ce sont des faiblesses) autant que ses grandeurs, quitte à prendre à rebrousse-poil une critique un peu trop déférente – ou impressionnable. Bref, il aère salutairement la chambre de tante Léonie. Il casse aussi quelques bibelots, ce butor, lorsqu'il place Zola au-dessus de Balzac, mais il est dans son droit : après tout, c'est son livre. Une petite citation, pour se mettre en bouche :
« On pardonne plus facilement à un auteur de ne pas répondre aux questions qu'on se pose que d'en soulever d'importantes qui ne nous concernent pas, et qui pourtant devraient intéresser tout homme : il apporte la preuve de notre pauvreté. »
Reprenons. En fin de journée, je suis revenu à Tadié et j'ai repris son Proust et le roman, qui est sa thèse de doctorat, plus ou moins remaniée je présume (mais je n'en sais rien) et publiée par Gallimard en 1971. Lecture plus aride que les deux précédentes, on s'en doute. Je me suis gardé le plus savoureux (parce qu'on ne va tout de même pas passer l'année sur Marcel), avec le Monsieur Proust de Céleste Albaret (Belfond, je crois : j'ai la flemme de me lever pour vérifier), laquelle fut, comme nul n'ignore, la gourvernante de l'écrivain, de 1913 à 1922, date de sa mort (celle de Proust). Oscar Wilde, à qui on demandait quel fut le plus triste événement de sa vie, répondit : « La mort de Lucien de Rubempré dans Splendeurs et misères des courtisanes. » Moi, c'est le récit des dernières heures de Proust par Céleste que je n'ai jamais pu relire sans me mettre à brailler comme un veau.
En revanche, après avoir enterré l'autre petit con pommadé et suffisant de Rubempré, j'ai tapé le pastis comme si de rien n'était. Comme quoi, hein...
Alain de Botton a commis un « Comment Proust peut changer votre vie » tout à fait savoureux. Je vous livre la critique que j'en avais faite en 2001 sur un site de critiques littéraires :
RépondreSupprimerProust, nous assure Alain de Botton, peut changer notre vie. Et comment ? C'est ce que l'auteur nous révèle au fil des pages et des neuf chapitres d'un essai tout bonnement savoureux.
Neuf chapitres donc, ponctués d'exemples tirés des romans de Proust, de sa correspondance et de sa vie. Le but du livre est évidemment de nous inciter à lire ou à relire Proust dans la perspective d'en tirer pour nos vies quelques leçons à l'issue desquelles nous devrions être capables d'aimer la vie aujourd'hui, de lire pour nous-même, de prendre notre temps, de réussir nos souffrances, d'exprimer nos émotions, d'être un véritable ami, d'ouvrir les yeux, d'être heureux en amour et, en conclusion, de laisser tomber un livre, c'est-à-dire de ne pas nous laisser enfermer en lui, parce qu'un livre digne de ce nom doit nous ouvrir au monde, à la vie, aux autres, au lieu de nous en soustraire.
Lire Proust, ou le relire, et "regarder notre monde à nous avec ses yeux à lui, et non pas son monde à lui avec nos yeux à nous". Car Proust, au-delà des clichés qui veulent en faire un auteur rébarbatif (en français : chiant) à lire, portait sur le monde un regard à la fois gourmand, lucide et pénétrant. Cet homme à la santé précaire, toujours plus ou moins alité, qui passa les ultimes années de sa vie calfeutré dans sa chambre, dans son lit, à écrire "La recherche", était moins un cérébral qu'un sensuel. Proust sentait les choses, profondément, il les goûtait et savourait en gourmet, non en goinfre. Il était au surplus un homme délicieux, prévenant, loyal en amitié, un homme sensible et fin, dont la conversation jamais n'était vaine. C'est à ce guide autorisé, aimable et sûr que nous confie Alain de Botton dans cet ouvrage aux multiples qualités, tant humaines que littéraires, où l'admiration manifeste de l'auteur envers Proust se déclare dans un style allègre et saupoudré d'humour.
Ce à quoi, finalement, nous convie Proust à travers son œuvre, c'est à ouvrir les yeux, à voir le monde tel qu'il est, et non comme nous le percevons, nantis d'œillères que nous sommes, consumés d'habitudes mentales, entravés de conformismes de toutes sortes. Proust est l'un de ces trop rares écrivains qui réellement fécondent l'intelligence et durablement la façonnent. La sensibilité, au contact de son œuvre, s'enrichit de mille couleurs et nuances.
Il en est qui voudraient bien avoir lu Proust, afin de s'en vanter (ça fait toujours bien auprès de ceux que la fausse culture impressionnent). Ceux-là ne tireront jamais profit de rien. Il en est d'autres que rebutent ou découragent le style tout en sinuosités de Proust, ses interminables phrases entrelardées d'incises et cloquées d'épithètes, ses longueurs parfois lassantes, sa préciosité qui lui a valu et qui lui vaut encore de la part de certains le qualificatif infâmant d'esthète. Ceux-là doivent s'armer de patience et plonger dans Proust avec confiance. Au bout de l'effort, quelle récompense !
Dans son introduction à Dombey & Fils, dans la Pléiade, Pierre Leyris dit qu’après avoir lu, en feuilleton (envoyé à Londres à partir de Paris où Dickens avait élu domicile le temps de rédiger quelques chapitres), l’épisode de la mort de Paul Dombey, l’Angleterre fut en deuil, et Dickens, de son côté, écrivait à une correspondante, Miss Coutts : " Entre nous, Paul est mort. Il s’en est allé vendredi soir vers dix heures, et comme je n’avais plus d’espoir de dormir après cela, je suis sorti et j’ai marché dans Paris jusqu’à l’heure du petit-déjeuner le lendemain matin ".
RépondreSupprimerOn pourrait rapprocher cette phrase de celle d’Oscar Wilde : " La mort de Lucien de Rubempré est le plus grand drame de ma vie ".
La mort des héros littéraires est affligeante car à l’inverse des humains, ils ne cessent pas de mourir.
Peut-être pleure-t-on aussi la mort des héros du Brigadier mondain?
Cher Ygor : totalement en accord avec vous sur le livre de Botton, que j'ai lu à sa sortie... et vais donc relire, puisqu'il est toujours à portée de ma main.
RépondreSupprimerEn revanche, je crois que je vais remiser Proust et le roman, de Tadié, devenu trop "universitaire" pour mon goût d'aujourd'hui.
Henri : franchement, ça m'étonnerait ! Mais allez savoir...
On peut aussi apprécier La recherche sans rien savoir, enfin, connaître d'autre, de Proust.
RépondreSupprimerJ'ai échoué dans la lecture d'une ou deux biographies, du petit essai-confidence de René Peter, et même de la correspondance de Proust avec sa mère. Je n'ai pas essayé Céleste Albaret.
Deux réflexions sur Proust m'étonnent : "Je ne le lirai pas, même si c'est bien écrit , c'est trop ennuyeux," et "ceux qui le lisent c'est pour se vanter de l'avoir lu". "ennuyeux" et "se vanter de faire partie de l'élite qui l'a lu", ça revient toujours.
Si j'incite quelqu'un à lire, en extrait, les pages écrites sur la mort de la grand-mère ou sur la beauté d'Albertine nue et qu'on me répond que c'est chiant, ridicule ou nul, je me dis qu'il y a incompatibilité de lecture et de bien autre chose entre mon interlocuteur et moi. Il y a une entente entre personnes qui ont lu Proust et ont aimé cette lecture. On est passé par là, et quand on est passé par là, on a modifié quelque chose dans sa façon de voir, de ressentir, de regarder, de lire, peut-être aussi. On a pris le même bateau, on a fait le même voyage, on est revenu avec les mêmes images et les mêmes souvenirs. On a tourné des pages, et comme on sait son bonheur, on sait aussi celui de l'autre. C'est de cela que se moquent ceux qui sont restés au bord du premier chapitre sans embarquer et qui les rend -je crois- un peu jaloux.
Suzanne
Mon commentaire était une réponse au dernier paragraphe du commentaire de Yanka...
RépondreSupprimerSuzanne
Sourire, quand on voit le billet sur Proust, avec la photo du manuscrit au-dessus de la photo de la fille Brigade Mondaine.
RépondreSupprimerJ'aime bien.
Suzanne
Suzanne, je suppose n'être pas seul à désirer et espérer vous lire sur votre propre site ?
RépondreSupprimerMerci à vous Didier, et décidement à Suzanne qui laisse des commentaires fastueux.
RépondreSupprimer@crac crac : je lui ai posé la question, mais je crois que notre Suzanne préfère se dépenser sans compter chez les autres.
Anna R.
En effet, entre vous, Didier, et Yanka, et Suzanne, il n'y a pas grand chose à ajouter. Je n'ai pas très envie moi, non plus de lire des essais critiques… Et j'arrive doucement à l'âge où je devrais penser à le relire pour retrouver son regard sur la mort. Il me semble qu'il avait écrit des pages superbes sur elle.
RépondreSupprimerEmma: si vous ouvrez un blog, je viendrai y commenter avec plaisir, je préfère répondre.
RépondreSupprimerLe coucou: on arrive au printemps, songez plutôt à relire les jeunes filles en fleurs, le chemin aux aubépines...
Suzanne
Le Coucou : oui, sur la mort de la grand-mère, puis sur les "Intermittences du coeur". Ce doit être dans Le Côté de Guermantes, si ma mémoire est bonne.
RépondreSupprimerSuzanne : là, je ne vous suis pas ! Les "morceaux" sur les aubépines m'ennuient toujours beaucoup. Comme toutes les fois où Proust s'essaie à la "poésie", au genre descriptif (Jet d'eau d'Hubert Robert, etc.).
Yanka : je me suis replongé dans le Botton : c'est effectivement fort agréable à lire. Et, à propos de Proust, il me semble qu'on ne souligne jamais assez la fantastique drôlerie (voire cocasserie) de La Recherche, au moins dans certaines de ses parties (la tante Léonie, les Verdurin, les Guermantes, etc.).
RépondreSupprimerDidier: c'était pour le Coucou. Les pages sur la mort de la grand-mère, dans Sodome sont très tristes.
RépondreSupprimerProust drôle : oui, et vache, aussi.
En lisant certaines descriptions (les jets d'eau, d'accord, mais pas les aubépines)je me demande s'il ne se pastiche pas lui-même.
Suzanne
Suzanne, il y aura toujours une aubépine entre nous, je le crains...
RépondreSupprimerDidier, mordelol !
RépondreSupprimerEt un lys dans la vallée ?
Suzanne
C'est loin d'être mon Balzac préféré. Finalement, ce sont peut-être les fleurs qui ne me réussissent pas...
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