samedi 15 novembre 2008

En direct de Plieux

Il est donc enfin arrivé à bon port, ce journal 2005. Avec une belle faute dès la couverture : vous l'avez repérée ? Non, il n'y a rien à gagner, on n'est pas sur TF1. Je me suis bien sûr rué dessus comme le fisc sur les droits d'auteur. Je vous propose deux extraits, parmi la centaine de pages lue depuis hier matin, au détriment de celles que j'aurais dû écrire...


« On ne chantera jamais assez les mérites du privilège. Je sais bien que Didier Éribon est penché sur mon épaule à guetter pour les fustiger chacune de mes effroyables façons de pensée [Sic ? Je ne vois pas comment justifier ce "pensée", surtout si l'on se réfère à la suite de la phrase.], mais ce qui rend un peu moins effroyable, j'espère, ma façon de penser sur ce point particulier, c'est que je suis tout à fait prêt à me ranger parmi les victimes de ces privilèges dont la survie me réjouit si fort. Et, de fait, comme tout le monde, j'en suis infiniment plus souvent la victime que le bénéficiaire comme aujourd'hui. [Note du transcripteur : en ce 15 janvier, Renaud Camus se trouve invité chez Philippe Martel, directeur des domaines du château de Chambord.] Je l'ai écrit cent fois if not one, j'aime mieux penser qu'un parc, un grand domaine, un château, une île, sont maintenus dans leur splendeur et leur isolement lyriques grâce à l'exclusion du public et de moi, que de savoir que je puis y accéder en même temps et au même titre que les foules, qui nécessairement, par leur seule présence, et plus encore par les aménagements que cette présence exige, mettront fin à ce que de tels lieux, par leur immensité déserte, constituent comme capital pour l'humanité, c'est-à-dire pour l'homme, pas pour les hommes. »
(P. 44 - 45.)

« Je partage tout à fait le sentiment de Houellebecq quand il écrit quelque part qu'il croit chaque fois que les gens « font du second degré » lorsqu'il les entend parler des droits de l'homme. C'est encore pire pour le métissage, les avantages des mélanges culturels, la supériorité de ces heureux de la terre qui ne sont de nulle part et sont chez eux partout. Non pas du tout que ces discours-là soient nécessairement faux, là n'est pas la question ; mais ils sont tellement omniprésents, nous sommes si étroitement enserrés dans leur glu, ils nous sont assénés avec une telle constance, un tel esprit de suite, si peu d'espace entre les formules toujours les mêmes, que nous n'arrivons pas à nous persuader que ceux qui les profèrent avec sérieux ne veulent pas plaisanter, ne se moquent pas de nous, ne pratiquent pas le collage de citations. »
(P. 32.)
Photo : Irrempe.

12 commentaires:

  1. Il y a des fois quand même où je me demande si R.C, sans doute pour se faire mal exprès, ne regarde pas trop la télé, pour décrire le monde tel qu'il le décrit, car enfin, ce qu'il voit ce qu'il dit, c'est la couverture "consensuelle et médiatique du monde" ce sont les effluves, mais le plat reste roboratif, le vin est consistant et puissant, le monde ne manque pas de vraies consciences, de vraies artistes et lui les connaît bien.
    Au fil des journaux, je suis en train de finir ou presque (j'en suis à Rannoch Moor"), il me semble de plus en plus attiré par une sorte de "sombreté (oui) existentielle", qui n'existait pas dans ses premiers journaux.Il avait vis à vis de la vie des enthousiasmes qui ne ressurgissent aujourd'hui que pour des vieilles pierres ou des pensées parfois un peu ressassées
    Je connais votre passion pour Camus, c'est un auteur que j'affectionne aussi, mais en même temps j'avais envie de vous dire ça. Depuis ce qu'on a appelé l'affaire Camus, dont il a beaucoup souffert, je crois, il existe une sorte de bifurcation dans son oeuvre.

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  2. "Je partage tout à fait le sentiment de Houellebecq..." et moi je partage tout à fait le sentiment de Camus et le votre Didier. C'est pour cette raison que je ne peux pas partager le sentiment que partagent presque tous vos "admirateurs" qui barbotent dans la glu. Un petit coup d'acétone, de temps à autre est absolument nécessaire pour ne pas mourir étouffé sous le supplice de la poix. Je comprends mieux votre envie de vous détacher de madame Wikio et de sa troupe de domestiques collants.
    Bon lecture et bon weekend.

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  3. Henri : vous n'avez pas tort, de noter cela. Mais c'est aussi ce qui fait le prix d'un journal d'écrivain, lorsqu'il est réussi : le passage du temps sur lui devient palpable au lecteur, les inflexions de la pensée, peut-être le resserrement sur certaines préoccupations qui, parfois, menacent de tourner à l'idée fixe, etc. Personnellement, je suis très sensible à cela.

    Il faut noter aussi que 2000 n'a pas correspondu seulement à "l'affaire Camus" mais également à sa rencontre avec Pierre...

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  4. Scheiro : on écrivait au même instant, apparemment !

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  5. Je suis en train de le lire aussi, je l'ai acheté ce matin.

    Dès les premières pages j'ai éclaté de rire à un passage qui n'est pas sans rappeler le début du journal de Léautaud. Les deux auteurs, à cent ans de distance, se plaignent du comportement et du bruit des enfants ou des jeunes gens, des nuisances, des nocences.

    Henri, je suis en partie d'accord avec vous, mais l'auteur vieillit et quand on vieillit, on change. Déjà, jeune, R.Camus était un peu ressasseur. Les mêmes plaintes reviennent sans cesse : le bruit, les portes qui claquent dans les hôtels, l'oubli des convenances, les chemins qui se ferment, les paysages qui s'enlaidissent, le vide culturel que laisse la disparition de la grande bourgeoisie lettrée, et tout et tout. Ce qui avait trait à ses amours a disparu, aussi, depuis qu'il s'est mis en ménage.
    Restent (et restent n'est pas le bon mot) la beauté de l'écriture, le temps attrapé par des mots, l' univers personnel d'un écrivain intelligent, cultivé et curieux de tout.

    Suzanne

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  6. Suzanne : que la comparaison avec Léautaud (pour très pertinente que je la tienne) reste entre nous : elle ne plaît pas beaucoup à Renaud Camus, j'ai déjà eu l'occasion de le constater...

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  7. Didier : zut alors...

    Je voulais juste souligner la ressemblance de formes d'humour que j'aime beaucoup chez l'un et l'autre.

    Suzanne

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  8. Suzanne : moi aussi les ressemblances m'ont frappées (les différences aussi, bien entendu) dès que je me suis plongé dans le journal de Camus, voici un peu plus de deux ans. A mon avis, c'est sans doute à cause de ses ressemblances que RC n'aime pas trop que l'on fasse ostensiblement le rapprochement...

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  9. (D'un autre Henri)
    Il serait bien difficile à un Journal de ne pas ressasser, puisque son essence même est de noter ce que les jours apportent de nouveau comme de routinier. L'identité d'un être est un peu sa routine, en quoi il se reconnaît chaque jour; le fait de la coucher par écrit, en fait, tend à polir et à user cette routine, comme font ailleurs les séances chez l'analyste. Il faudrait que je relise 'Loin de moi' de Clément Rosset, il y dit je crois des choses intéressantes sur le sentiment de soi. En tous cas, dans la marée d'un volume du Journal de Renaud Camus, j'ai l'impression de vivre avec un être, et ses redites, assez rares quand on y songe, ne me gênent jamais. En revanche, je tremble de frayeur à la lecture des passages bancaires. Je me serais suicidé déjà cent fois avec tous ces découverts!

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  10. Henri II : d'accord avec vous, quant aux démêlés financiers : j'ai l'impression, chaque fois, qu'en ce qui me concerne je ne supporterais pas cela plus de 48 heures !

    D'un autre côté, c'est un peu comme au cinéma : on ne meurt pas "en vrai", dans le journal. Puisque l'auteur est toujours là en 2008, toujours à Plieux, toujours avec Pierre, toujours chez Fayard et P.O.L, etc., c'est donc que les ennuis de 2005, que nous découvrons, se sont bien terminés... ou prolongés sans trop de casse majeure.

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  11. Henri : vous avez raison.

    "Le Journal n'est pas essentiellement confession, récit de soi-même. C'est un Mémorial. De quoi l'écrivain doit-il se souvenir ? De lui-même, de celui qu'il est, quand il n'écrit pas, quand il vit la vie quotidienne, quand il est vivant et vrai, et non pas mourant et sans vérité. Mais le moyen dont il se sert pour se rappeler à soi, c'est, fait étrange, l'élément même de l'oubli: écrire.
    De là cependant que la vérité du Journal ne soit pas dans les remarques intéressantes, littéraires, mais dans les détails insignifiants qui le rattachent à la vie quotidienne. "
    Maurice Blanchot - L'espace littéraire - Folio (page 24)

    Suzanne

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.