lundi 19 mai 2008

Jouons à Goliath et David

À mes amis blogueurs - les purs.


Ils se croyaient bien tranquilles, dans leur petit pré carré, protégés ad vitam par le barré tricolore de leur carte de presse, laquelle ne vaut pas plus que son poids de plastique, mais suffit encore à impressionner quelques gogos d'arrière-province. Ils dînaient en ville tous les soirs, entre eux le plus souvent, ou en compagnie d'une danseuse politique vieillissante qui, à force de minauderies et de privautés buccales, leur donnait facilement l'illusion de jouer dans la cour des grands.

Ils étaient l'information, ils étaient la presse, ils étaient tout à la fois la liberté et ses garants. Ils voulaient le beurre et l'argent du beurre, les obtenaient sans difficulté. L'argent était souvent liquide, le beurre en motte - ce dernier leur étant fort utile pour se lubrifier la déontologie quand le directeur de la rédaction, au nom d'intérêts supérieurs, exigeait d'eux qu'ils revoient leur copie.

Ils savaient, pratiquement par décret, par constitutive aptitude, ce qui est bon pour le peuple, et aussi ce qui est mauvais pour lui - ils ne se faisaient jamais faute de le lui rappeler, au peuple, d'une voix doctorale et apaisante, mais qui savait aussi se montrer sévère en cas d'avis de tempête. Lorsque le bon devenait mauvais, et l'inverse, au hasard d'un changement d'équipe gouvernementale, ils tournaient leur clavier dans l'autre sens et continuaient de dispenser la bonne parole. Et le rêve continuait, un état de grâce perpétuel.

Ils s'appelaient eux-mêmes des journalistes. Ils revendiquaient une parfaite connaissance du terrain. Et l'habitude fut prise, en effet, de les nommer ainsi et de leur concéder ce mystérieux savoir d'arpenteur.

Or, il advint qu'un matin, d'autres voix se firent entendre, d'abord très faibles, puis de plus en plus audibles. Des voix non autorisées, pas encartées le moins du monde, qui ne prenaient pas leurs ordres au Château. Tels de joyeux barbares abattant les statues de César et faisant rôtir les oies du Capitole, les blogueurs prirent possession de l'espace public, ou, tout au moins, s'y répandirent, firent des émules, s'armèrent de porte-voix et en profitèrent pour rire de tout, de chacun, et même des journalistes.

Les folliculaires prirent très mal cette intrusion d'une parole libre, et parfois débraillée, au milieu de leurs discours policés, de leurs délicates musiques d'antichambres. Bientôt, ils brandirent des chartes comme des baïonnettes, exigèrent des lois, les obtinrent, elle furent inopérantes. Gambadant entre les colonnes de leurs temples, les blogueurs installaient sans gêne leurs étals au pied de l'ancien autel, devant quoi plus personne ne songeait à s'agenouiller. Tout était en l'air dans le landernau médiatique et le monde s'en moquait. Les blogueurs disaient certes beaucoup de sottises, mais au moins n'étaient-elles pas rétribuées. Et puis, les grains de vérité qui s'y mêlaient faisaient çà et là exploser quelques dents de sagesse - c'était bien réjouissant.

Quelques grands noms de la presse proposèrent d'interdire les blogs ou, au moins, de les museler aussi solidement que l'étaient leurs propres journaux. Une telle perte de sang-froid ne pouvait signifier qu'une chose : le roi était nu et chacun pouvait désormais s'en apercevoir.

La ronde continua, des blogueurs rigolards et querelleurs, cependant que de méchants courants d'air balayaient les salles de rédaction. Un autre matin, enchifrenés et chagrins, les journalistes purent constater qu'ils s'étaient mis à parler du nez. Nul ne leur tendit de mouchoir.

12 commentaires:

  1. Le jambon roulé dans le torchon ... c'est comme ça qu'on dit aux Halles ?

    iPidiblue coup de torchon

    RépondreSupprimer
  2. Je refuse de faire un billet pour vous remercier.

    Héhé. ;-)

    RépondreSupprimer
  3. Je conseille aux journalistes de se remettre au boulot et de profiter de leur temps de travail pour refaire des enquêtes et de l'investigation.
    Les blogueurs s'occuperont bien des dépêches tout seuls !
    :-)

    [Je préfère et de loin cette version-ci !]

    RépondreSupprimer
  4. Ce qui est terrifiant c'est de penser que toutes ces archives télévisuelles sont immortelles et que dans deux siècles nos lointains petits-enfants diront "iPidiblue vivait à l'époque des philosophes Ruquier et Zemmour" comme on parle de la vie dans la "Rome de la décadence" !

    RépondreSupprimer
  5. Si nos petits-enfants ne voient le monde qu'au travers d'iPidiblue, ce ne sera déjà pas si mal.

    RépondreSupprimer
  6. Voir le monde à travers IPidiblue, c'est chanter ma vie en rose, ou bien en blues ?

    RépondreSupprimer
  7. Ah ah ah ah Ah ah ah ah Ah ah ah ah Ah ah ah ah Ah ah ah ah

    iPidiblue pâle imitateur de Ruquier.

    RépondreSupprimer
  8. Que la dérision vous va bien !

    RépondreSupprimer
  9. Didier,

    Je pense que Circé voulait parler de "dérisoire"

    (smiley ! smiley !)

    RépondreSupprimer
  10. " rôtir les oies du capitole"... C'est pas gentil, ça Didier... de blanches, elles vireraient donc au bien cuit ? Et pourquoi ne pas se les farcir ?

    RépondreSupprimer

La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.