mardi 21 octobre 2008

Exercices bathmologiques

Dans le message où je vous relatais mes deux jours de stage à la Prévention routière, j'écrivais entre autre ceci, à propos de l'un de mes compagnons de banc : « coiffeur (ainsi qu'il nous le dit) et, comme il se doit, visiblement pédé ».

Or, le lendemain, lors de notre unique et courte conversation, durant une pause cigarette-café, par deux fois il mentionna sa femme et leurs deux enfants, d'une manière qui laissait entendre qu'ils vivaient effectivement ensemble. Je sais bien que l'on peut être marié, père de famille ET homosexuel - au moins à temps partiel, si je puis dire -, néanmoins, ce jeune homme fit se lézarder ma belle et sotte assurance, à propos de ses moeurs. Pour le coup, il valait la peine de s'interroger afin de tenter de comprendre comment j'avais pu ainsi me fourvoyer, si tant est, encore une fois, que je me sois fourvoyé.

Le première idée qui vient à l'esprit est que, malgré que j'en aie, je serais tombé victime du cliché coiffeur = homosexuel. Ici, il faut noter que le garçon en question n'a donné aucune précision quant à son travail. Or, toujours d'après le même cliché, ce sont les coiffeurs pour dames qui sont censément homosexuels.

Il se peut aussi que j'aie été influencé par les signes extérieurs de "marginalité" qu'il arborait : piercing au sourcil gauche et clou dans la langue. Mais ce serait là une mauvaise excuse que je me donnerais, dans la mesure où je ne sache pas que, chez les hommes, le piercing soit un "marqueur" spécifiquement homosexuel. Donc, retour au cliché seul.

Ai-je pensé et écrit cela (coiffeur et, comme il se doit, pédé) en y mettant du mépris ? Je ne le pense pas, je suis même persuadé d'être totalement exempt de cette tendance-là, dans ce domaine particulier. Lorsque l'on fait mine de m'en soupçonner, ou si l'on m'en accuse franchement, j'ai coutume de répondre qu'il est difficile d'être à la fois lecteur de R. Camus ET infecté d'homophobie.

Mais justement : qui me dit que, en l'espèce, je n'utilise pas Camus comme un étendard ou, pour mieux dire, un bouclier ? En d'autres termes, ses livres ne me formeraient-ils pas une sorte de rempart, derrière lequel je pourrais discrètement abriter une homophobie ne demandant qu'à resurgir au grand jour, le plus souvent maquillée en plaisanterie, ou en provocation ? Un peu comme ces gens qui vont publiquement traiter un ami noir de grand con de nègre, avec force sourire, à seule fin de maquiller en largesse d'esprit décomplexée leur propension non avouée au racisme.

Un autre problème surgit aussitôt, dans la mesure où s'interdire absolument l'emploi du mot pédé pour désigner les homosexuels peut être, et est souvent, la preuve du mépris voire de la haine dans laquelle on les tient. Ainsi, dans les années quatre-vingt, Jean-Marie Le Pen et ses sbires employaient-il le terme Maghrébin de préférence à Arabe ou Nord-Africain, beaucoup plus fâcheusement connotés à l'époque.

Il est sans doute utile de préciser que je ne me sens pas le moins du monde homophobe, ni ne me souviens me l'être senti jamais. Mais comme dirait l'autre, avoir un bouc émissaire c'est ne pas savoir qu'on l'a.

Revenons à mon coiffeur. Je peux essayer de botter en touche, en avançant le fait que ses manières (gestuelle, élocution, poses de tout le corps) le désignaient assez fortement comme homosexuel, ou au moins comme possiblement homosexuel. Mais c'est contourner un piège pour tomber dans un autre. Car c'est là étendre à tous les homosexuels l'image restrictive de l'homosexuel efféminé, c'est-à-dire au fond le seul que voient réellement les hétérosexuels et celui dont ils ont donc le plus tendance à se moquer. Ce qui trahirait chez moi l'existence, même à basse fréquence, de ce qu'on pourrait appeler un «fond beauf » (et j'en vois déjà se présenter sur le devant de la scène afin d'y proclamer qu'ils n'ont eu besoin d'aucun raisonnement tordu pour se convaincre de l'existence d'un tel fond chez moi...).

Du reste, ces manières, mon coiffeur les avait-il au point que j'ai dit ? N'est-ce pas moi qui les lui ai attribuées (ou au moins outrées), à partir de son identité de coiffeur ? Ou de ses malencontreux piercings ? Il s'ensuivrait que j'aurais littéralement fabriqué un homosexuel, uniquement sur la conjonction de trois indices, dont l'un (le piercing) est absolument impertinent, et les deux autres à peine moins. Pour les coiffeurs, inutile d'y insister ; quant aux allures quelque peu efféminées, j'ai eu il y a longtemps un ami (une relation plutôt) qui en était affecté et qui, par ailleurs, était l'un des plus ardents foufounophiles qu'il m'ait été donné de croiser.

Quelle conclusion tirer de tout cela ? Aucune, évidemment. On pourrait continuer encore longtemps, il ne surgirait jamais que de nouvelles questions ; lesquelles, invariablement, nous ramèneraient à notre point de départ, puis à nouveau nous en éloigneraient, mais toujours avec un petit quelque chose en plus, ou en moins. De toute façon, je m'en fous, je ne vais jamais chez le coiffeur.

25 commentaires:

  1. "je ne vais jamais chez le coiffeur." Même pour une petite pipe ?

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  2. Ce qui me pose question dans ce cadre là, c'est votre volonté de lui attribuer un statut sexuel ? En quoi sa présence au même stage vous invite-t-il à vous interroger sur son comportement social ?
    :-))

    [Question secondaire : avez-vous repéré aussi des homos femmes ? :-) ].

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  3. C'est bien aussi l'autocritique de temps en temps...

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  4. Didier, nous connaissons tous votre passion à peine cachée pour un blogueur bien connu doté de superbes cravates.

    Hors, ce blogueur, la contemplation de sa toison cranienne vous en convaincra mieux que moi, fréquente peu les coiffeurs.

    De plus ce garçon possède la rare et désagréable caractéristique de former avec vous un couple quasiment homophone.

    Je ne pense pas qu'il soit vraiment nécessaire de convoquer Freud pour en tirer les conclusions sur votre homophobie, auxquelles s'ajoutent de façon bienvebue un début de rhube du à ube bétéo de saison.

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  5. Belle analyse, très belle ! Comme dit Dorham, c'est bien...

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  6. Franssoit,

    Je peux pas, plutôt, homophoner avec Mme Goux ?

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  7. Nicolas : taisez-vous, Catherine écoute !

    Poireau : nulle volonté de ma part, en l'occurrence, mais une simple remarque que je me suis faite, au moment où ce fut son tour de se présenter aux autres.

    Dorham : dans mon esprit, il s'agissait moins d'une autocritique que d'un auto-questionnement.

    Franssoit : grâce à vous j'apprends beaucoup sur moi-même...

    Zoridae : elle est incomplète, il aurait fallu creuser davantage. Mais bon...

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  8. Vous pouvez poursuivre, nous sommes tout-yeux !

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  9. euh, si ce n'est pas ce qui s'appelle couper les cheveux en quatre...

    Suzanne

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  10. Un mec qui a un clou dans la langue est avant tout un con.

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  11. Mais c'est qu'on va finir par entendre le coeur battre et tout le tremblement!

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  12. Je trouve ce cliché du menuisier homosexuel particulierement éculé.

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  13. Après le crépi on enlève quoi ? Ah remettez ce fard qu'on vous voie à nouveau.

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  14. Zxamen de conscience ou coupage de cheveux en un multiple de quatre?

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  15. Après le crépi on enlève les clous.

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  16. Nicolas, on a déjà la même chevelure... ça suffit !

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  17. Pour moi critique et questionnement, c'est kif-kif, vous conviendrez qu'une critique peut être positive ou négative... ou ne mener vers aucune conclusion.

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  18. L'ardent foufounophile aux allures efféminées : j'aurais aimé voir ce gars, ça me parait antinomique.

    Anna R.

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  19. Didier, j'ai pas mal d'amis homosexuels et je paie un coup à boire à quiconque peut déceler leur penchant. Pire que ça, j'ai beaucoup de succès auprès d'eux mais je ne suis que sympathisant...

    Pluton foufounophile

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  20. Catherine,

    Vous ne suivez pas mon blog ? Nous n'avons plus la même coiffure !

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  21. Nicolas, j'ai été un peu absente des blogs. J'aurais voulu vous y voir, tiens, à surveiller 2 petits monstres qui courent partout ! J'y vais (chez vous).

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  22. Catherine,

    Hein ? Didier et Tonnegrande font du jogging ?

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.