Aujourd'hui, nous étions là. Ou presque. À trois kilomètres de là. Chez ma soeur cadette (une morveuse : née en 1964, et en plus à la fin de l'année, vous imaginez la jeunesse ?). Avec mes parents, venus des Ardennes (où, dans le même temps, la sublime Nefisa doit être occupée à poser ses valises, cette valeureuse nièce mienne que je salue bien bas car elle le mérite).
Je n'avais pas vu mes parents depuis deux ou trois mois : ils ont bien vieilli, merci pour eux. Mon père sans doute à cause du cancer ; ma mère parce qu'elle s'occupe d'un mari cancéreux : c'est le genre de choses qui vous fait bien vieillir, on dirait.
En dehors de cela, ma mère sait toujours aussi bien cuisiner la salade au lard – plat très typiquement ardennais (demandez à ma nièce d'adoption). C'est très compliqué, de réussir une salade au lard. Parce que ça dépend essentiellement de la salade : si elle est pleine d'eau : vous foirez le truc ; si elle manque d'eau, vous le foirez itou : c'est très compliqué ; il y faut soixante ans de vie ; être descendue, petite fille, couper les pissenlits dans la prairie ; la surveillance des saucisses, le lard ; avoir maîtrisé les rires, les grandes tablées de quand j'étais petit garçon et où je voulais (absolument : je voulais !) devenir adulte pour parler avec les autres, etc. : c'est toute une vie, la salade au lard, mes drôles ; c'est le boulevard Fabert rendu, mais vous ne pouvez par comprendre, bien sûr... Aujourd'hui, ma mère nous a offert la quintessence de son art : il y avait du sublime dans l'assiette, je vous le dis.
Pour le reste... Eh bien, pour le reste, rien qui vous regarde, en fait. Un père amaigri, une mère fatiguée, deux enfants sur trois qui font l'animation. La vie qui va. Qui ne va pas forcément bien. Les années qui s'entassent.
Je n'avais pas vu mes parents depuis deux ou trois mois : ils ont bien vieilli, merci pour eux. Mon père sans doute à cause du cancer ; ma mère parce qu'elle s'occupe d'un mari cancéreux : c'est le genre de choses qui vous fait bien vieillir, on dirait.
En dehors de cela, ma mère sait toujours aussi bien cuisiner la salade au lard – plat très typiquement ardennais (demandez à ma nièce d'adoption). C'est très compliqué, de réussir une salade au lard. Parce que ça dépend essentiellement de la salade : si elle est pleine d'eau : vous foirez le truc ; si elle manque d'eau, vous le foirez itou : c'est très compliqué ; il y faut soixante ans de vie ; être descendue, petite fille, couper les pissenlits dans la prairie ; la surveillance des saucisses, le lard ; avoir maîtrisé les rires, les grandes tablées de quand j'étais petit garçon et où je voulais (absolument : je voulais !) devenir adulte pour parler avec les autres, etc. : c'est toute une vie, la salade au lard, mes drôles ; c'est le boulevard Fabert rendu, mais vous ne pouvez par comprendre, bien sûr... Aujourd'hui, ma mère nous a offert la quintessence de son art : il y avait du sublime dans l'assiette, je vous le dis.
Pour le reste... Eh bien, pour le reste, rien qui vous regarde, en fait. Un père amaigri, une mère fatiguée, deux enfants sur trois qui font l'animation. La vie qui va. Qui ne va pas forcément bien. Les années qui s'entassent.
Vous ne dites pas si Catherine maitrise l'art de la salade au lard ?
RépondreSupprimerJ'espère que votre père se portera mieux...
Non, y a que ma mère que sait faire la salade au lard ! C'est une chose qui ne se discute pas !
RépondreSupprimerVous verrez : quand vous serez très vieille, ou très morte, il y aura un grand con de Kéké qui dira : " y a que ma mère qui savait faire..." (complétez suivant les pointillés). Et, du coup, vous n'aurez pas tout raté dans votre vie.
Je vous embrasse (vous et le petit con qui vous sers de géniteur). A bientôt.
Didier, vous nous transmettez beaucoup d'émotion. Votre texte me replonge dans mon enfance, le gratin d'aubergines à la tomate remplaçant la salade au lard. A très bientôt !
RépondreSupprimerPluton "on duty"
Pluton : on vous sens du sud, là !
RépondreSupprimerMais, évidemment, c'est du tout pareil au même...
C'est triste. On vit tous ça un jour où l'autre, mais on souffre égoïstement parce qu'un parent qui meurt emporte avec lui tout un pan de notre enfance, la mémoire de notre mémoire.
RépondreSupprimerLa jeunesse de votre sœur en dit long sur la votre, frère aîné !
RépondreSupprimerSympa ces réunions familiales teintées de lard, de bonnes blagues et de retour aux sources.
Quand je pense que j'ai pris de belles photos...
RépondreSupprimerEt je confirme, il n'y a que Christiane qui sache faire une bonne salade au lard. Elle y met beaucoup de gras, c'est ça le secret.
RépondreSupprimerMerde ! Ca me rappelle les pommes de terre au lard de ma mère (ouais, j'suis breton). J'ai vingt fois essayé la même recette sans jamais retrouver la même chose. Les miennes sont très bonnes, mais ça n'est pas ça...
RépondreSupprimerLa génération de 64 morvait, c'est vrai. Le meilleur cru, c'est 62. À consommer sans modération.
RépondreSupprimerNicolas, c'est parce qu'il manque un ingrédient impossible à retrouver : votre enfance.
RépondreSupprimerMais non. Enfin oui. Elle continue à m'en faire parfois. C'est autre chose. Donc je retrouve mon enfance. C'est compliqué.
RépondreSupprimer"Je n'avais pas vu mes parents depuis deux ou trois mois : ils ont bien vieilli, merci pour eux. Mon père sans doute à cause du cancer ; ma mère parce qu'elle s'occupe d'un mari cancéreux : c'est le genre de choses qui vous fait bien vieillir, on dirait."
RépondreSupprimerAprès cela, il est impossible de lire la suite.
Didier Goux ou l'Art de bouleverser sans aucun sentimentalisme, la brusquerie faite émotion immense de pudeur.
Je ne sais quoi vous dire, Mon Cher Didier, à part que j'aime énormément vous lire.
La subtilité de l'ambivalence: "bien vieillir" : vieillir bien, vieillir beaucoup. Remarquable.
RépondreSupprimer"On aime sa mère presque sans le savoir, sans le sentir, car cela est naturel comme de vivre ; et on ne s'aperçoit de toute la profondeur des racines de cet amour qu'au moment de la séparation dernière. Aucune autre affection n'est comparable à celle-là, car toutes les autres sont de rencontre, et celle-là est de naissance ; toutes les autres nous sont apportées plus tard par les hasards de l'existence, et celle-là vit depuis notre premier jour dans notre sang même.
RépondreSupprimerEt puis, et puis, ce n'est pas seulement une mère qu'on a perdue, c'est toute notre enfance elle-même qui disparaît à moitié, car notre petite vie de fillette était à elle autant qu'à nous. Seule elle la connaissait comme nous, elle savait un tas de choses lointaines insignifiantes et chères qui sont, qui étaient les douces premières émotions de notre coeur. À elle seule je pouvais dire encore : "Te rappelles-tu, mère, le jour où... ? Te rappelles-tu, mère, la poupée de porcelaine que grand-maman m'avait donnée ?" Nous marmottions toutes les deux un long et doux chapelet de menus et mièvres souvenirs que personne sur la terre ne sait plus, que moi.
C'est donc une partie de moi qui est morte, la plus vieille, la meilleure. J'ai perdu le pauvre coeur où la petite fille que j'étais vivait encore tout entière. Maintenant personne ne la connaît plus, personne ne se rappelle la petite Anne, ses jupes courtes, ses rires et ses mines."
Maupassant
"une morveuse : née en 1964", vous fréquentez donc des jeunes!
RépondreSupprimerYanka
RépondreSupprimer1962 on a pas fait mieux
Cela dit, ma mère faisait bien le couscous et elle était normande, va comprendre...
Les parents prennent une sorte d'engagement d'éternité avec la salade au lard qu'ils nous serviront toute la vie mais finissent toujours par cesser de le faire par cause de fermeture définitive des cuisines. Il y a là une très profonde trahison quant à la tendresse qu'on aurait du pouvoir conserver…
RépondreSupprimer:-)
Emouvant et très bien écrit...
RépondreSupprimerComment le dire, en ne dévoilant que très peu de chose : Monsieur Goux, 10 ans de plus peuvent s'afficher sur un visage en l'espace de quelques mois quand on accompagne un malade... je ne parle pas là du malade lui-même c'est bien trop dur (je crois que vous comprenez ce que veux dire)...
Deux mots comme "bon courage" frisent la banalité, je préfère le silence et vous saurez lire à travers.
Les souvenirs d'enfance, les pommes de terre au lard, les gâteaux bretons et tout le tintoin... de bons souvenirs...
enfin, pour ceux qui ont pu vivre auprès de leurs parents... il est des enfants mis en pension très tôt et qui ont d'autres souvenirs de plats "moyennement bons" mais qu'ils peuvent décrire avec un certain humour
Un morveux de 64 ... j'en ai un et il est adorable avec sa petite belle-mère...m'a même promis de ma balader à Paris en moto, si l'occasion se présentait... impensable en ce moment, dommage...
À tous : merci d'être passés.
RépondreSupprimernon, rien... on se dira ça jeudi à la comète
RépondreSupprimerOlivier : je crois que subsiste un léger malentendu : JE NE SERAI PAS à la Comète jeudi !
RépondreSupprimerNos mères ont toutes ou presque leur savoir-faire inimitable, ma mère c'est la crème renversée, ma belle-mère c'était les barquettes au jambon, mais pour reprendre une expression lue dans les commentaires "la cuisine est fermée".
RépondreSupprimerMerci Didier pour votre texte, l'émotion pudique que vous faîtes passer.
Un moment de plaisir pur de lecture.
Ma mère est la meilleure pour mettre des torgnoles à qui l'emmerde, mais à part ça, elle n'a pas le sens de la finition, ce qui rend sa cuisine fade en comparaison de ma grand-mère.
RépondreSupprimerMais, disons que son Osso bucco n'est pas dégueu !
Tiens, c'est amusant que vous parliez de grand-mère et d'osso bucco : la mienne (de grand-mère), qui n'avait rien d'italien et ne savait pas faire la cuisine, réussissait pourtant deux plats à la perfection : le bœuf bourguignon et l'osso bucco.
RépondreSupprimerEt on est prié de remarquer que j'ai enfin appris à faire les œ. Et même les Œ.
Tu as de beaux oe tu sais ?
RépondreSupprimerI sait même pas les fai-reu !
RépondreSupprimerVotre embrassade me fait très plaisir mais la formule me trouble. Je vois bien ce que vous voulez dire mais quand je vois le mot géniteur, je pense d'abord à mon père !
RépondreSupprimerZoridae : vous avez raison, la formule était bien maladroite de ma part ! Mais vous vous doutez que jamais je ne me serais permis...
RépondreSupprimerBref, claquez-en deux au gars Balmeyer : c'est plus clair, là ?
Mon père à moi est mort mercredi.
RépondreSupprimerEt pour le reste, c'est un peu pareil...
Et je ne sais pas si ça rend plus ou moins triste de le lire, ni de l'écrire.
Je passerais bien plutôt chez Catherine mais, de toute façon, la vie est pleine des regrets de ce qu'on a fait et de ce qu'on n'a pas fait.
Christine, permettez-moi de vous présenter mes condoléances.
RépondreSupprimerMerci Didier, voilà déjà quelque temps que nous partageons doléances, douleurs et le reste, et c'est vrai qu'on se sent moins seul.
RépondreSupprimerChristine, moi aussi, je vous présente mes condoléances. J'ai perdu mon père il y a quelques années. Pas facile.
RépondreSupprimer@ Christine :
RépondreSupprimerMes sincères condoléances aussi. et de tout coeur...
@ Dorham
Il fallait descendre jusque chez nous, il y avait de l'osso bucco au menu aujourd'hui....et du pâté aux pommes etc...
Ma mère aussi distribuait des torgnoles à tir larigot et autres punitions (de son cru) à chaque mot de travers - dit ou soupçonné - alors que nous n'avions à peine le droit d'énoncer quelque chose... c'était comme ça...
@ Catherine,
RépondreSupprimerMerci.
pour rester "positif"...je ne retiendrais que la salade au lard !!! ,o)
RépondreSupprimerj'ai connu aussi, c'est la rude loi de l'espèce...c'est joliment dit, la salade au lard restera toujours dans les mémoires et dans les papilles.
RépondreSupprimermalgré la fatigue, c'est de la joie...
une bise à vos parents!