Ouvrir un livre dont le sujet est ce que l'on appelle l'Antiquité tardive n'est plus seulement l'expérience dépaysante, mais somme toute assez tranquille, qu'elle a dû représenter pour des lecteurs du XIXe siècle ou même du suivant. Certes, le dépaysement est toujours là, mais il vient s'y mêler, au tournant de nombreuses pages, des résonances qui paraissent d'abord saugrenues, avant de devenir vaguement angoissantes, ou au moins attristantes ; elles se produisent chaque fois que, croyant plonger dans un passé fort lointain et absolument révolu, le lecteur se retrouve soudain face à un miroir. J'avais déjà vaguement évoqué ce phénomène au moment où je lisais le livre de Michel de Jaeghere, Les Derniers Jours, consacré à la fin de l'empire romain d'Occident.
Cet effet de brouillage des époques, ou de répétition inexorable, se produit aussi dans La Vie de saint Augustin que l'on doit au grand historien de cette période, Peter Brown, et que j'ai commencée ce matin, juste après avoir vidé le lave-vaisselle et ramassé les merdes de Bergotte dans le jardin (un peu de réalité triviale pour donner de la chair à ce billet…). Dès la page 28, je suis tombé sur ce début de paragraphe, où l'auteur évoque le troisième quart du IVe siècle, temps de la jeunesse du futur évêque d'Hippone :
« Et cependant, comme il arrive si souvent, ce monde au bord de la dissolution s'était installé dans la croyance d'une durée éternelle. Ce n'est qu'au temps de la vieillesse d'Augustin [premier tiers du siècle suivant] que se feront entendre les Jérémie du déclin de l'Empire romain. Dans sa jeunesse au contraire il ne peut qu'être frappé de l'optimisme qui règne autour de lui. Les inscriptions d'Afrique parlent de “l'âge d'or partout instauré” ou de “la jeune vigueur du nom romain”. Tel évêque chrétien considère comme coextensifs christianisme et civilisation romaine : comme si la vertu chrétienne pouvait exister au milieu des barbares ! »
Deux pages plus loin, Peter Brown cite saint Jérôme, contemporain d'Augustin, dans la rapide évocation qu'il fait d'une enfant tout juste venue au monde : « Voilà l'époque où Pacatula est née, tels sont les jouets parmi lesquels se déroule son premier âge : elle va connaître les larmes avant le rire, les pleurs avant la joie… Elle ignore le passé, fuit le présent, désire l'avenir. »
La dernière phrase, rapportée aux nourrissons de notre siècle, me paraît un portrait d'une parfaite justesse et d'une actualité effrayante. Comme si, soudain, alors qu'on la croyait paisiblement endormie sous l'épaisseur des siècles, la petite Pacatula resurgissait parmi nous, pour devenir l'enfant naturel et inexorable de Modernœud et de Ségolène Royal.
Que dire ?
RépondreSupprimerEn tout cas c'est excellent.
A voir l'épisode de quarante-huit heures de pluie qui nous est annoncé, on pourrait aussi parler de la disparition de l'Atlantide. Et puis non finalement, les manuscrits ne se conservent guère dans l'humidité.
RépondreSupprimerLes bibliothèques sont encore leur meilleur écrin si les Infidèles ne décident d'y bouter le feu...
Il faut reconnaitre que vous avez un sacré métier !
RépondreSupprimerTant de mots pour un seul à la fin !
Je vois que vous n'êtes pas du tout prêt à comprendre ce que va être cet Homme nouveau, dont on nous annonce tous les jours la naissance !
RépondreSupprimerHeureusement, l'enfant naturel de Modernœud et de Ségolène Royal sera submergé par le Grand Remplacement.
RépondreSupprimerEst-ce que le mot : "submergé", laisse entendre que la nouvelle Pacatula aura des chances accrues d'être violée par rapport à celle de l'époque d'Augustin ?
Supprimer@Arié De toute façons pour nous autres occidentaux, c'était ça ou la maison de retraite a ciel ouvert ultra robotisée a la japonaise Consciemment ou inconsciemment "modernoeud" a choisi de mourir dans la joie (ou plutot dans le bordel violent mais ça peut faire office de gigantesque fiesta décadente)plutot que dans la tristesse ou la grande déprime "a la nippone"
SupprimerA vos propos, on devine que vous êtes dans doute encore jeune...
SupprimerOr, il n'y a rien de plus pénible pour un vieillard qu'un décor qui bascule autour de lui. A défaut de stabilité, il lui faudra dès lors une bonne dose de philosophie pour traverser ce champ de ruines, l'ancien monde qui se désagrège...
@ Barbara Schreyer
SupprimerN'en croyez rien, c'est exactement l'inverse: il est au contraire très consolateur de voir, au moment où sa vie se termine, que le monde que l'on a toujours connu et aimé se termine aussi :! on a l'impression de ne rien louper. Ensuite, d'autres mondes pour d'autres générations, on ne se sent pas concerné.
Oui, ça peut être une approche mais à mon sens, elle est construite sur une grande sophistication intellectuelle et beaucoup de mauvaise foi.
SupprimerSachant que les vieilles personnes sont en général curieuses et avides de nouvelles fraîches, vous présentez là un caractère assez minoritaire, celui d'un ermite retiré du monde peut-être...
Hors sujet, mais peut-être cas de force majeure :
RépondreSupprimerNotre ami Nicolas Jégou semble avoir oublié de renouveler la location de l'espace-disque pour ses sites. Toujours est-il que tout a disparu, c'est la page noire. Quelqu'un a peut-être son adresse mail et/ou de bons conseils à lui procurer !
Son nouveau comptoir est juste à votre gauche, dans la blogroll…
SupprimerA y regarder de plus près, il a dû oublier de renouveler son nom de domaine... ça fait bizarre.
SupprimerOn est bien peu de chose.
Merci beaucoup !
SupprimerIndispensable Nicolas...
Il me semble que l'endroit n'est pas trop mal choisi pour parler de ce Prix Nobel de littérature décerné à Bob Dylan !
RépondreSupprimerLes "Nobel" ayant décidé d'accorder le prix à un Américain, ils n'ont rien trouvé d'autre que ce chanteur à la voix nasillarde, idole des baby-boomers et autres bobos. Que Philip Roth et les autres - il paraît qu'il y a beaucoup de bons écrivains américains - aillent se rhabiller. Les Nobel sont modernes et même modernoeuds, et la classe médiatique d'entrer en pâmoison !
Gageons que si Modiano n'avait pas lui-même été nobellisé - ce qui l'oblige sans doute à une certaine réserve - il n'aurait pas manqué de trouver ce choix "un peu scoubidou" !
Tant qu'à faire, alors, Trenet ou Brassens l'auraient bien mérité.
SupprimerDécidément vous ne comprenez rien au monde qui vient ! Le prochain prix Nobel de littérature pourrait plutôt aller à Djamel Debbouze !
SupprimerC'est pourtant assez simple à comprendre : quelle que soit la qualité poétique des chansons de Bob Dylan,la littérature est différente de l'expression orale, le mécanisme de transmission n'est pas le même (il n'y a de littérature que solitaire); il suffit que le prix Nobel de littérature change de nom ( je me demande bien lequel il pourrait adopter, d'ailleurs...)
SupprimerPrix Nobel de Variétés ?
SupprimerCyril Hanouna, prix Nobel 2018 ?
SupprimerExcellent !
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