Enfant, je pensais que les seaux dits hygiéniques, ce qu'ils n'étaient guère, obéissaient aux mêmes coutumes que les humains, c'est-à-dire portaient des noms différenciés et bien distincts les uns des autres ; ainsi, celui qui était encore en usage dans les années soixante, à la conciergerie de la Chambre de Commerce de Sedan, s'appelait-il Jules ; et mon grand-père René prononçait chaque soir (du moins est-ce là mon souvenir) la phrase rituelle : « Il faut que j'aille vider Jules. » – et il y allait.
En grandissant, j'ai bien dû constater que la plupart des seaux hygiéniques de nos provinces, qu'ils fussent encore en service ou ne subsistassent plus que dans les mémoires, s'appelaient presque tous Jules – et je ne laissais pas de m'étonner de cette homonymie fraternelle. Ce n'est qu'hier que l'explication m'a été donnée, par Jean de La Varende, dans l'une des nouvelles de son recueil Heureux les humbles, paru en 1951 à l'enseigne de la librairie Plon.
Dans La Phœbé ou le dernier des galériens, récit se déroulant en 1760, l'écrivain nous informe que les forçats enchaînés à leur banc d'infamie se soulageaient dans un pot de fer, qui était rangé du côté de l'eau, sous les jambes du dernier rameur, lequel avait pour charge de le vider par-dessus bord lorsque cela s'avérait nécessaire. La Varende nous enseigne également que, un siècle avant son histoire, durant la Fronde, les galériens avaient eu l'idée gentiment blasphématoire de baptiser leur pot Mazarin, lequel n'était point fort aimé, ainsi que l'on sait. Comme nommer aussi clairement le cardinal pouvait se révéler hasardeux, y compris pour des forçats, le mazarin devint prudemment Jules.
La Varende conclut ce paragraphe en précisant que ce nom « est encore employé dans beaucoup de ports, et mêmes aux campagnes de l'Ouest ». Je puis donc lui assurer que, à l'époque où il écrivait cela, et encore un peu ultérieurement, Jules vivait également aux marches de l'Est, pas loin des boucles de la Meuse, par la grâce de René tout au moins.
Jules vivait encore dans les années 70 en Centre Bretagne et partait l'été aux quatre coins de la France dans une caravane...
RépondreSupprimerEn ce qui concerne Sedan, Jules a vécu jusqu'en 1974, date du départ en retraite de mon grand-père. Pour lui trouver un successeur comme concierge, la Cambre de commerce a bien été obligée de lancer des travaux dans la maison de gardien afin d'y faire installer une vraie salle de bain… avec toilettes incorporées.
SupprimerNos Jules sont toujours à la maison (à Baden), à la disposition de tous (cas d'urgence, vu qu'il n'y a pas de toilettes à l'étage. De fait, ils n'ont pas été utilisés depuis des années. Ce qui m'étonne toujours, c'est qu'on puisse en avoir "autant" (sans les avoir reconvertis en vulgaire seaux, toujours utiles dans une maison ou un jardin pour stocker des cochonneries).
SupprimerPassionnante conversation. Heureusement que votre blog existe. J'espère que Juan a suivi nos conseils : les commentaires sont quand même d'un autre niveau que ceux d'Aurore, Stanislas et Aramis Carron.
Vous devriez user de votre influence sur ce garçon pour qu'il se reconvertisse dans le billet "hygiénique" : je suis sûr qu'il y ferait merveille.
Supprimerhttp://nikosolo.voila.net/toilettes.htm
RépondreSupprimerUn chef déco m'a demandé un jour de construire le "progrès" que je retrouve dans le lien ci dessus comme chaise percée avec tiroir
Le Jules est aussi le mec ,ne pas confondre pour le rencard :)
Le voilà, ton lien, fainéant !
SupprimerJ'en détiens un, ainsi que la cuvette à ablutions assortie. Mais sans la chaise ad hoc, donc si je souhaite le vendre...
RépondreSupprimerÀ mon avis, vous êtes assise sur un tas d'or et vous n'en saviez rien !
SupprimerEt , dans ma jeunesse, fleurissait encore dans la bonne bourgeoisie parisienne, pour indiquer que l'on allait user de ce vase,l'expression : "aller tirer l'oreille à Jules".
RépondreSupprimerJolie expression, inconnue de moi ! Comme quoi le bas peuple ardennais a toujours à apprendre de la haute bourgeoisie parisienne…
SupprimerAu Québec Jules s'appelait Catherine ! Ce qui faisait ricaner ma belle-mère quand elle me saluait et avait le don de m'énerver !
RépondreSupprimerhttp://fr.wiktionary.org/wiki/pot_de_chambre
D'un autre côté, un jules qui devient une catherine, c'était d'un transgenrisme furieusement post-moderne !
Supprimer(Mais tu es sûre que ce n'était pas plutôt une "latrine", prononcée à la québécoise ?)
Non, non, c'est pour ça que j'ai mis un lien. Et puis je ne m'appelle pas Latrine !
Supprimertiens, encore un lien http://fr.wiktionary.org/wiki/catherine
SupprimerJe n'avais pas vu le premier lien ! Et bien failli manquer aussi le second…
SupprimerMon père m'avait raconté que la corvée qui consistait à vider les latrines dans les casernes s'appelait aller tirer les oreilles à jules...?
RépondreSupprimerUne seule expression et deux significations ? Qui a raison, de Michel Desgranges ou de vous ? Le mystère s'épaissit…
SupprimerEt personne pour se souvenir de ces merveilleux pots de chambre avec un oeil bien ouvert dessiné sur le fond, à l'intérieur du pot ?
RépondreSupprimerSans parler du pot de chambre "garni" que l'on apportait aux jeunes mariés le matin suivant la nuit de noces…
SupprimerQuand il se fut assis sur sa chaise dans l'ombre
SupprimerEt qu'il eut fermé l'huis de ce lieu vespasien,
L'œil attendait l'étron, mais n'apercevait rien.
(je me demande si j'ai bien fait de revenir, moi...)
C'est avec une certaine tristesse que j'apprends que vous étiez parti…
SupprimerEn effet j'ai vu ça dans l'est de la France, le pot de chambre garni!
SupprimerA Lisbonne il existe un bistrot extraordinaire "O pavilhão chinês" où les salles qui se succèdent abritent des milliers d'objets rangés par collections. La collection de Jules en porcelaine est suspendue au-dessus de l'entrée des toilettes. A Lisbonne c'est un lieu à ne pas rater, le bistrot, pas ses toilettes! https://www.facebook.com/pavilhaochineslisboa
Saviez-vous que vous étiez lu depuis New Delhi ?
RépondreSupprimerAh non, je l'ignorais ! D'où sortez-vous ça ?
SupprimerJ'ai mes espions !
RépondreSupprimerA Paris comme dans le Puy de Dôme, maman, dûment assise, fréquentait Jules assidument.
RépondreSupprimerEh bien, puisqu'on en est à déballer sa vie intestine sur vos pelouses, Goux, voici un témoignage aux tantiques : mon paternel disait "je vais chez Jérôme" quand il voulait annoncer au monde qu'il se dirigeait vers les gogues (pas de pot de chambre à cette époque, je ne suis pas né en 1920!). Où avait-il pêché ça ?
RépondreSupprimerJules, Jérôme, le mystère s'épaissit.
En effet, ça devient limite angoissant…
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