Je veux parler de ces mots que l'on ne sait jamais écrire ; ou plutôt dont on n'est jamais tout à fait sûr de l'orthographe, sur lesquels le cerveau bute chaque fois qu'il les rencontre, même après cinquante vérifications dans les livres idoines. Mon principal caillou, en ce domaine, sont les mots à accent circonflexe. Pas tous, fort heureusement : les deux tiers voire les trois quarts d'entre eux ne me posent aucun problème, n'engendrent aucune hésitation lorsqu'ils se présentent dans la phrase en cours d'élaboration. Restent les autres. Ceux-là, à la seconde où ils arrivent, l'esprit s'arrête et, debout sur les freins, se demande : « N'lui faudrait-y pas un petit chapeau à cette saloperie d'a ? À ce fucking e ? » Le simple fait de s'être posé la question entraîne immédiatement la mort de toute certitude : rien à faire, il faut recourir au dictionnaire – le plus agaçant étant que, neuf fois sur dix, c'est pour constater que votre premier mouvement aurait été le bon. Il faut dire qu'il ne fait guère d'effort pour se faire aimer, cet accent : pourquoi est-on infâme lorsque l'on commet une infamie ? Ou extrême si on se porte aux extrémités ?
Deuxième exemple (tout personnel bien entendu) de ces pierres d'achoppement : les mots se terminant en “ote”. Ou en “otte”. Je pense que je ne saurai jamais écrire sans hésiter carotte, menotte ni bigote. C'est vraiment une paralysie idiote.
Il arrive pourtant que l'on puisse, à la longue, avec beaucoup de persévérance, désempierrer un peu le chemin. Ainsi, pendant de longues années, au moins jusqu'à trente ans, voire plus, je n'ai jamais su avec certitude comment s'écrivaient d'abord et davantage. Je pouvais vous donner du dabord et du d'avantage sans bouger un sourcil. Eh bien, cela m'a tout à fait passé, sans que je sache pourquoi, ni même exactement quand. De même, il m'a fallu plusieurs décennies pour devenir capable d'écrire sans m'interrompre, sans le plus petit ralentissement, des mots comme Méditerranée, Apollinaire ou ressusciter – et la liste n'est pas close.
Quel pouvoir ont-ils, ces vocables d'anodine apparence, pour refuser ainsi de venir prendre leur place, à côté de leurs frères, dans les casses du cerveau de l'homme ?
Sur l'orthographe de sûr (ou de sur), êtes-vous sûr de vous ?
RépondreSupprimerPour une fois, oui !
SupprimerJ'hésite toujours quand j'écris le mot bateau : faut-il ou non un accent circonflexe sur le a ? Sans doute la proximité avec le mot gâteau, qui lui prend un accent.
RépondreSupprimerParfois, j'en ai assez de la langue française et de ses chausse-trapes (un seul p ou bien deux ?). Tiens, vous n'avez pas encore évoqué le pluriel des noms composés. Encore une source de perplexités.
Le pluriel des mots composés est un vrai casse-tête, en effet. Mais ce l'est réellement, tandis que je parlais plutôt, dans ce billet, des mots qui sont simples pour tout le monde sauf pour soi.
Supprimer"Méditerranée, Apollinaire ou ressusciter"
RépondreSupprimerCes trois là, déjà, et aussi Pyrénées et aussi Mitterrand... Sans moyen mnémotechnique, hein... Dieu que ce commentaire fut dur à écrire...
Et le trait d'union entre trois et là, c'est moi qui le mets peut-être ?
SupprimerMoi qui pensais que vous étiez quelqu'un de serviable...
SupprimerN'importe quoi ! je suis un gros égoïste de droite qui prend plaisir à voir les mouches dans les yeux des petits n'enfants nègres.
SupprimerEt bien...
SupprimerC'est pas très gentil !
Il y a un peu j'écrivais à un ami pour lui indiquer que j'avais dégotté un coffret Patrick Dewaere à un pris fort attractif. Robert s'est voulu rassurant, dégoter ou dégotter sont acceptés.
RépondreSupprimerA un pris ou à un prix ? Attractif ou attrayant ? On est (ou on n'est) pas sorti de l'auberge...
SupprimerComme le verbe n'est pas réellement français, il est normal que l'orthographe en soit flottante, je pense.
SupprimerAscenseur ! Voilà ma bête noire ! Je n'arrive pas à me mettre dans la tête cette suite "sc, s" pour le même son exactement. Pendant un moment ce fut cimetière, auquel je voulais coller deux "r", mais celui-là m'est passé.
RépondreSupprimerPrenez l'escalier et optez pour l'incinération.
Supprimerparisyllabique, tu me rétorqueras d' aller sur facebook ?? :)
SupprimerBises et bon WE
C'est sûr que c'est plus difficile que Paris Hilton.
SupprimerAscenceur contient l'infixe inchoatif "sc" indiquant une progression cf adolescent (qui grandit). C'est ainsi que je me souviens de son orthographe...
SupprimerCher Jacques Étienne,
Supprimermerci beaucoup pour cette information précieuse. Nous verrons si la piste de l'infixe inchoatif me reviendra mieux que l'orthographe de ce foutu engin.
Ah, l'accent circonflexe n'a pas son pareil pour faire éternuer. D'avantage doit bien m'échapper, parfois.
RépondreSupprimerEt le pluriel des couleurs, tiens, allez expliquer ça à un étranger : un beur, des... beurs, ou des beurre ?
Le pluriel des couleurs, c'est déjà bien difficile à expliquer à un français, alors…
SupprimerCela dit, comme je le disais plus haut, là on a affaire à une authentique difficulté et non à un simple blocage de l'individu.
Et moi c'est le fameux accord avec le verbe avoir, doit-il s'accorder ou pas avant ou après le COD. Il va falloir que je remette le nez dans le fameux " bled".
RépondreSupprimerQuant à vous, vous déplacez carrément le problème de l'orthographe des mots vers celui de la grammaire : c'est pas bien…
SupprimerQue voulez-vous, il faut que je reprenne tout, c'est un comble ! Vous m'en voyez tout confus.
SupprimerPersonnellement c'est la raison pour laquelle mon Littré abrégé est toujours ouvert sur ma table.
RépondreSupprimerJe pousse même le vice jusqu'à avoir du plaisir à aller le consulter, non seulement sur l'orthographe de certains mots, mais également sur leur signification, car quand on balance des mots comme "outrecuidance" ou "superfétatoire" à la tête des gens, il vaut mieux être sur qu'on a bien dit ce qu'on a voulu dire.
Oui, ou bien pulvérulence et fuligineux…
SupprimerL'orthographe des mots ! Une horreur ! Je trouve ça fascinant. Un abbé de mes amis, aujourd'hui décédé, qui m'avait pendant des mois initié aux règles grammaticales, entre autres choses, répondait invariablement à mes nombreux "pourquoi" : "il n’y a pas de pourquoi, c’est comme ça, c’est tout !"
RépondreSupprimerMagnifique Jean Le Roux !
C'est vrai qu'à l'âge des dictées – et même encore bien après – on envie les Espagnols, de ce point de vue ! Parce que, là, à part le “v de vaca” et le “b de burro”, c'est du nanan…
SupprimerBurro est un terme que j'affectionne ! Pourquoi ?
SupprimerJe me sens moins seule et moins honteuse. Merci !
RépondreSupprimerOh, mais on est tous plus ou oins comme ça, il ne faut pas croire !
SupprimerCela dit, la honte est un excellent moteur pour s'améliorer. J'en profite pour vous signaler que Renaud Camus a publié (chez P.O.L), dans un livre intitulé Éloge du paraître, un texte d'une cinquantaine de pages qui s'appelle justement Éloge de la honte. Je vous recommande vivement ce petit ouvrage.
Plus ou oins ? Plus ou oins ?
SupprimerMais quelle andouille je fais ! L'Éloge de la honte se trouve dans le livre qui s'intitule Syntaxe ou l'autre dans la langue et non dans Éloge du paraître ! La ressemblance des deux titres a dû m'enduire avec de l'erreur.
SupprimerCela dit, les deux ouvrages sont remarquables.
Merci pour les conseils. La honte...oui, je sais très bien ce qu'il en est.
SupprimerVotre message est empreint de bon sens, et justement, j'ai eu pour ma part longtemps du mal avec "empreint" et "emprunt". Je viens d'ailleurs de lire dans le dernier livre de Marcheschi sur Goya (excellent au demeurant : "Voir l'obscur", Éditions Art 3) : "Cette peinture (il s'agit du "Saturne") est emprunte d'une terrible beauté". Il me semblait bien qu'il y avait une erreur, mais je sentais néanmoins le doute m'assaillir...
SupprimerCyCee : comme on en parlait, je viens de relire cet Éloge de la honte. Il devrait d'autant plus vous intéresser que, en son début, Camus s'emploie à bien marquer les différence entre la “bonne” honte, celle dont il va parler ensuite, et la “mauvaise” qui, à ses yeux, est essentiellement la honte sexualité, la honte de sa propre sexualité, notamment lorsqu'elle se trouve être “déviante” : un thème que vous avez vous-même abordé ici ou là, si ma mémoire est bonne…
SupprimerEmmanuel : si même Marcheschi s'y met, c'est à désespérer de tout et de tous !
SupprimerEn ce qui concerne "extrême" et "extrémité", il fut une époque où ces mots ne portaient pas d'accent sur le deuxième "e". Comment étaient-ils prononcés, mystère !
RépondreSupprimerExtrait du TLF :
Extrémité :
Prononc. et Orth. : [e(epsilon)kstRemite]. Cf. é-1. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1265 au propre « partie la plus éloignée » estremités de la terre.
Extréme :
Prononc. et Orth. : [e(epsilon)kstRe(epsilon)m]. Cf. é-1. Enq. / /. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. A. Adj. 1. 1370-72 necessité extreme ou souveraine
Note : j'ajoute "epsilon" car apparemment les caractères grecs ne passent pas :-)
A part ça, il faut bien un accent différent pour le deuxième "e" de chacun des mots car "extrême" est un "e" ouvert (qui pourrait être remplacé par un "è"), tandis que "extrémité" est un "e" fermé. Mais la prononciation peut évoluer : voir "événement" de plus en plus prononcé (et parfois écrit...) "évènement" !
Pour ces mots, et pour d'autres, la règle de base de l'accent circonflexe (il remplace un "s" disparu : hôpital >>> hospitaliser) ne fonctionne pas. Hélas !
Geneviève
De toute façon, vous aurez beau faire, je n'y arriverai jamais !
SupprimerBon, du coup j'ai mangé l'accent circonflexe de "Extrême" dans la description du TLF !
RépondreSupprimerGeneviève
Enfin! Un très bon billet de l'infâme DidierGoux...
RépondreSupprimerIl était temps. Merci.
Je ne le ferai plus, c'est juré.
SupprimerSauf votre(vôtre) respect je pense être plus jeune que vous . Je dois faire parti(e)(s) des derniers qui ont bénéficié(s) d'un enseignement de l'orthographe , qui , sans être aussi poussé que le vôtre me permet encore d'écrire sans faire trop de fautes . Mais ayant cotoyé des jeunes (24 ans ) dans le cadre du travail et ayant commis deux enfants ( 18 et 15 ans ) je peux vous dire que le problème est bien plus grave que les accents ( jeu de mots aurait dit capello ). Désormais ,certains écrivent mi français / mi texto et nous pouvons lire des "kommen allais vous ?" "pouvaient vous m'indiqué la sorti " et je vous promet que je n'exagère pas ! Le plus grave reste l'incapacité chez certains à retranscrire une pensée par écrit : une idée simple va devenir à l'écrit une pleine page ou s'enchaînent contradictions , répétitions et synonymes .
RépondreSupprimerEt, ces jeunes, vous avez en plus eu le courage de les côtoyer sans accent circonflexe ? Bravo, c'est couillu !
Supprimerc'est vraiment infernal . je crois que je vais faire l'impasse sur tous les accents
SupprimerLes Méridionaux ont le petit avantage de se le dire en patois pour lever le doute. Bon, c'est vrai aussi des latinistes, mais je parle de gens normaux. C'est plus à la mode.
RépondreSupprimerEt les Coréens en coréen, mais ça ne change rien à mon problème…
SupprimerMoi, je m'en fous, je tiens un blog politique de gauche, alors l'orthographe, hein !
RépondreSupprimerOh mais je connais des libéraux réactionnaires qui ont eux-mêmes une orthographe pitoyable, rassurez-vous !
SupprimerVoilà un sujet qui laissera peu de monde indifférent. Lacan appelait la "lalangue" la langue privée, maternelle et chargée d'affects propre à chacun, et dont le langage tel qu'on le pratique contient des bribes.
RépondreSupprimerPeut-être dans votre cas quelque chose du coté du breton ? Y a-t-il des accents circonflexes en breton ?
Ah mais c'est que je ne suis pas breton du tout, moi ! Faudrait voir à pas trop mélanger les Goux et les Jegou…
SupprimerC'est pourquoi j'ai mis des points d'interrogation. Mais l'occasion était trop belle de s'interroger sur le mariage/divorce de la langue française et du breton qui, possédant une tradition écrite assez riche, se transmet aussi oralement.
SupprimerHé ho ! Le vieux ! Et l'accent à Jégou ? Il est où ?
SupprimerVous mériteriez que je vous colle un circonflexe, pour vous apprendre à râler !
SupprimerFinalement on peut se demander si ce n'est pas plus facile pour quelqu'un de s'exprimer dans une langue qui n'est pas sa langue maternelle ?
RépondreSupprimerSi l'apprentissage d'une nouvelle langue vers huit ou neuf ans, en oubliant l'ancienne, n'aide pas à accepter toutes sortes d'anomalies orthographiques, sans qu'on ait même l'idée de demander son reste.
En tant que monoglotte de stricte obédience, je ne puis malheureusement vous répondre sur ce point.
SupprimerSi le maître des blogs est fâché avec certains mots à qui peut on se fier pour écrire sans fautes en français.
RépondreSupprimerDe mon côté , je suis fâché avec beaucoup de mots, j'ajouterais la ponctuation mais ici ce n'est pas le sujet.
Oh, la ponctuation, presque tout le monde est fâché avec ! Et puis, même s'il y a des règles précises (voir l'excellent Traité de la ponctuation française de Jacques Drillon), c'est aussi, peut-être même avant tout, affaire de musicalité personnelle, d'oreille.
SupprimerMusicalité, c'est peut-être un bien grand mot, pour ce qui nous concerne ici.
SupprimerJe dirais que c'est une affaire de respiration.
Quelques exercices pour le week-end :
RépondreSupprimerhttp://www.ccdmd.qc.ca/media/allo_accent_026Allophones.pdf
N.B. : c'est un site québécois, et donc la nouvelle orthographe est prise en compte (il paraît que c'est plus facile...)
Geneviève
sensé / censé. Un enfer.
RépondreSupprimer'tain, Didier, qu'est-ce que vous écrivez bien... et vous ne pouvez pas savoir à quel point je suis réticente à reconnaître comme écrivains des gens qui ne sont qu'auteurs même de choses bien foutues.
RépondreSupprimerJe suis arrivée ces derniers jours à la conclusion, toute personnelle, que pour écrire le livre que je voudrais écrire, il me faudrait renoncer à toute trace de style. Vertige.