Parce que ma dernière villégiature ne m'incitait guère à la lecture, mais qu'on ne peut tout de même pas épuiser tout son temps à remplir des grilles de sudoku, j'ai passé les quatre jours qui viennent de s'écouler, bas-parleurs fichés dans les pavillons, à récouter les entretiens accordés par Paul Léautaud à Robert Mallet ; 38 émissions de la Radiodiffusion française, propagées sur les ondes de novembre 1950 à juillet 1951 : en ces temps, la radio était encore capable de s'honorer elle-même, et sans avoir l'air de trop y penser, qui plus est.
Lire la transcription de ces échanges, dans le volume paru au Mercure de France du vivant de l'écrivain, voilà qui n'est pas suffisant : il faut vraiment les écouter si l'on veut vraiment les entendre. Très vite, ce qui n'était que radio se révèle aussi théâtre, tout comme Maurice Boissard perçait sous Léautaud. Il faut ne rien perdre de ses rires grinçants, des éclats de cette voix montant en vrille vers les aigus, des coups de canne frappés sur la table pour marteler physiquement, auditivement, ses oukases, des grommellements et des interjections.
Retour à la maison, on sent bien qu'on ne quittera pas Léautaud. Pas comme cela, pas tout de suite, pas si aisément. À présent qu'on l'a bien et longuement écouté, il faut le lire ; et l'on reprend In memoriam, puis Passe-Temps, et encore les Mots, propos et anecdotes, cet irremplaçable fourre-tout étincelant d'ironie, pétillant d'intelligence, dans lequel toute l'époque se met à revivre, à reprendre souffle le temps d'une petite centaine de pages. Et l'on se dit, on se le dit parce qu'on le sait, on se dit que ce serait tout de même un long détour et beaucoup d'efforts inutiles que de vouloir contourner le Journal littéraire, à seule fin de prouver je ne sais quelle indépendance de notre esprit. Donc, on en lira quelques années, c'est entendu comme cela. Enfin seulement, on refermera les volets du pavillon de Fontenay (mais y en avait-il, des volets ? C'est là que la lecture du journal va nous être bien utile ! et il faudra encore, après, revenir ici pour préciser), en prenant bien soin de laisser bâiller la porte, afin que les chats et les chiens puissent continuer d'entrer et sortir, comme ils le font silencieusement depuis 57 ans, à la barbe des bonnes gens.
"Amours", vous avez oublié "Amours" !
RépondreSupprimerJ'ouvre le livre (presque) au hasard :
"...Mais mon souvenir le plus personnel, c'est un jour où j'allai déjeuner à Levallois avec Jeanne, dans la semaine. Ambert et son père étaient à Paris à leur travail. Nous étions seuls avec Laure et son fils. Après le déjeuner, l'enfant s'en allant en classe, Laure nous laissa seuls un instant dans la salle à manger, pour aller avec lui dans une autre pièce le préparer. Jeanne, jetant sa serviette, voulut absolument faire l'amour là, sans plus de préparatifs, et s'étendant aussitôt sur le parquet, les jupes troussées, je l'aimai là en deux minutes... Pauvre belle chérie, qui est aujourd'hui une énorme bourgeoise, une femme mariée et une mère de famille à principes..."
J'ouvre le livre (presque) au hasard
SupprimerOui, j'imagine assez que votre exemplaire doit s'ouvrir automatiquement à cette page parce que les autres sont collées par on ne sait quelles sécrétions mystérieuses...
Les femmes ont l'avantage de pouvoir ranger leurs supports onanistes dans leur bibliothèque alors qu'un exemplaire de Playboy s'y ferait immédiatement repérer.
Il faut beaucoup d'imagination (ou de mémoire) pour utiliser "Amours" comme "support onaniste" : le texte est vraiment très sage et toutes les descriptions sexuelles (assez rares d'ailleurs) y sont remplacées par des (...). Cela donne par exemple ceci :
Supprimer"On prenait du thé, on bavardait, on jouait au loto. Ah ! les premiers serrements de main de la femme aimée, moi aussi. Jeanne était toujours assise à côté de moi, et la partie bien engagée elle glissait une main sous la table (....) et restait ainsi (....) tout le temps que durait la partie."
Ou encore ceci :
"Je sortis à mon tour, et j'allais passer sans la voir, quand elle me prit le bras et m'attira pour m'embrasser, et là, en une minute (..................................)"
Et puis, franchement, "les jupes troussées, je l'aimai là en deux minutes", il n'y a vraiment pas de quoi déranger la Brigade mondaine !
Oui, mais:
SupprimerLes plus belles notes, celles qui sont vraiment justes, sont celles qu'on ne joue pas, mais qu'on force l'auditeur à jouer dans sa tête.
Ah, les coups de canne...
RépondreSupprimerAttention, pour le journal littéraire. On est en automne, et il vaut mieux ne pas s'enfoncer dans l'hiver avec la lecture quotidienne du journal de Léautaud. Ou alors, il faudrait presque le prendre par la fin. Il s'amenuise dans son journal. Je l'ai lu en hiver après avoir écouté les entretiens pleins de malice et de vigueur et j'ai déprimé fin novembre avec la fin du Journal.
T'as pris un sacré coup de vieux man !
RépondreSupprimerJe viens d'acheter le "journal particulier"...
RépondreSupprimerJ'ai un grand faible pour la seconde photo que je trouve très émouvante, avec les chats, le vieux fauteuil, le petit bazar mais surtout, Léautaud assis qui semble dire à quel point il nous emm…
RépondreSupprimerTout est comme il faut.
Ce qu'il y a de bien qu'avec des tartines comme ça, c'est que je passe à peu près autant de temps à vous lire que pendant vos vacances au Club.
RépondreSupprimerDoit-on en conclure qu'en plus de difficultés à l'écriture, vous avez aussi des difficultés à la lecture ?
SupprimerLes entretiens avec Léautaud, un marronnier increvable des nuits de France-Culture, surtout pendant l'été, quand le sévice public est en vacances.
RépondreSupprimerLes rediffs de Frônce-Cul, voilà un truc de réac, qui permet de comprendre ce que signifie parler un français correct à la radio, avoir une vraie discussion entre savants (et non entre "intellectuels"), etc.
Même le socialisme, c'était mieux avant, dis-donc.
Bon, j'ai entendu quelques débats assez gratinés entre gauchistes des années soixante, mais ça avait quand même plus de tenue qu'aujourd'hui. Ne serait-ce qu'au niveau du langage, de la façon de s'exprimer, des intonations, de l'articulation, etc.
Aujourd'hui, tout le monde dit ch'crois que, ch'pense que. Tout à l'heure, j'ai passé plusieurs minutes à me demander ce que pouvait bien vouloir dire le mystérieux verbe quatger dont une interviouvée parsemait ses phrases sur BFM (à moins que ce ne fût un nom ?). Il m'a fallu un certain temps pour comprendre qu'elle parlait d'Internet mobile accessible par le protocole 4G.
La premiéte fois où j'ai entendu parler de Paul Léautaud c'est dans une chanson de Pierre Perret s'intitulant "Mon petit loup".
RépondreSupprimerLa première fois que j'ai eu connaissance de cet écrivain, c'était en 1980, j'avais 15 ans. A l'école on ne risquait pas de nous le recommander.
SupprimerC'est donc suite au conseil d'un ami plus âgé que j'ai découvert une toute petite partie de l'oeuvre de Léautaud, en me rendant dans une librairie de quartier et en achetant le seul exemplaire du seul ouvrage présent.
C'était "Amours". Je me souviens encore de l'aquarelle présente en pleine page sur la couverture du livre dans l'édition de poche, ou folio... je ne sais plus, et représentant une explosive rouquine que l'on devinait prête à être rapidement dénudée, la bretelle du corsage diablement légère.
Pour le reste la lecture d'"Amours" m'a intéressé assez moyennement, plutôt ennuyé pour être franc, mais j'ai le souvenir d'une écriture fondamentalement libre. Sans doute étais-je un peu jeune pour apprécier pleinement le propos. Expérience sans doute à recommencer.
J'ai lu deux ou trois livres de Paul Léautaud et ça me rendait très triste à chaque fois...pourquoi, je ne sais pas !
RépondreSupprimerAh oui ? C'est curieux comme réaction ! C'était quels livres ?
SupprimerLe petit ami et lettres à ma mère
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