Quand j'étais très jeune, je connaissais des gens qui étaient vieux ; je n'y faisais pas trop attention : vous savez comme on est. Je suppose qu'ils vaquaient gentiment à leurs inoccupations, en attendant le repas qu'une fois l'an la mairie leur offrait, dans une salle lugubre, avec assiettes en plastique et vin bouchonné ; à la fin, abrutis par l'accordéon moulinant les scies les plus idiotes de leur âge vert, beaucoup s'endormaient et basculaient en avant, le nez dans le reste de choucroute.
Devenant moins jeune, je me suis un jour avisé que les vieux avaient disparu, presque du jour au lendemain, impitoyablement chassés des villes et des campagnes par les personnes âgées. Je ne m'en suis pas trop alarmé, dans la mesure où l'on continuait de les voir s'aligner chaque 11 novembre, vacillants médaillés, de part et d'autre du monument aux morts. Tout de même, j'aurais dû me demander un peu pourquoi le repas des vieux s'était mué en repas des anciens, même si cela ne changeait rien à la qualité de la choucroute.
J'ai commencé à m'inquiéter en mon âge presque mûr, lorsque les personnes âgées à leur tour sont descendues silencieusement aux tombeaux pour être aussitôt remplacées par les séniors, de la même manière effrayante que celle des body snatchers prenant la place des humains qu'ils viennent de tuer. C'était d'autant plus terrifiant que les nouvelles entités imitaient à la perfection leurs victimes, reproduisaient avec un naturel monstrueux leurs gestes les plus familiers. Ils allaient même jusqu'à ingurgiter avec des airs de gourmandise la choucroute annuelle : je suppose qu'on leur avait prévu une poche de plastique au-delà de l'arrière-gorge, afin de stocker les filaments graisseux qu'il allaient ensuite régurgiter dans un endroit discret connu d'eux seuls.
Enfin, un dernier stade fut franchi, une dernière mutation s'accomplit ; la répugnante métamorphose est encore toute récente, peut-être même n'est-elle pas achevée partout, c'est pour cela que vous ne vous en êtes sans doute pas encore avisés. Je vous l'annonce sans la moindre précaution, car nous n'en sommes plus là : dans le secret de quelque laboratoire démoniaque, les séniors se sont transformés une fois de plus, pour devenir des Toujours jeunes.
Fort heureusement, j'ai depuis longtemps perdu toute faculté d'indignation et même d'étonnement. Le rire sonore et libérateur lui-même, je sens bien qu'il me quitte irrémédiablement.
Essayons d'imaginer la prochaine étape. Les anciens fœtus ?
RépondreSupprimerLes gouttes de sperme ?
SupprimerLes lueurs de désir ?
SupprimerJe vois pas ce que Kafka vient faire là-dedans ....
RépondreSupprimerCherchez mieux…
SupprimerLa métamorphose, c'est pas pertinent.
Supprimert'as pas connu quelques troisième age avant les seniors ?
RépondreSupprimerSi, mais l'expression désigne plus une classe d'âge prise globalement que des personnes réelles.
SupprimerLa vache !
RépondreSupprimerVous venez de me coller un de ces cafards ...
Voilà qui va peut-être mettre M. Duret sur la piste de mon titre…
SupprimerHeu... Kafka, même dans ce texte si célèbre, c'est bien autre chose... de la vie, de l'humain... Lui qui est mort très jeune.
SupprimerDaniel DUREX est vraiment imperméable.
Supprimer" Ce qui est terrible, ce n'est pas qu'on vieillit, c'est qu'on reste jeune " ( Oscar Wilde, mort à 46 ans, ce qui n'était plus jeune, à son époque ; et n'oublions pas que Phèdre, femme plus que mûre dans la pièce, devait avoir la trentaine.)
RépondreSupprimerMais une belle salope tout de même !
SupprimerMême morts ils seront encore jeunes.
RépondreSupprimerhttp://lesrevenants.canalplus.fr/#!/
On finira tous en cadavres au biberon.
SupprimerOn se rassurera avec cette pensée d'un grand philosophe: "Etre vieux, c'est être jeune depuis plus longtemps que les autres" (Le Chat - Geluck)
SupprimerLorsque j'étais jeune :-), j'avais beaucoup aimé le livre de Christian Combaz, "Éloge de l'âge", dans lequel il pourfendait - déjà - le refus de vieillir.
RépondreSupprimerMaintenant que je suis vieille, je lis et relis toujours avec beaucoup de plaisir le "Savoir vieillir" de ce brave Cicéron. Je me demande ce qu'il aurait pensé de ces "toujours jeunes"...
Geneviève
Et tous ces jeunes dont les journaux sont pleins, métamorphosés en cadavres avant d'avoir passé par la case vieux débris ?
RépondreSupprimerJ'ai beau être toujours jeune, il est de plus en plus rare qu'on me demande ma carte d'identité quand j'achète des cigarettes ou du whisky !
RépondreSupprimerVous m'avez bien fait rire !
Moi, j'ai compris que j'étais devenu vieux le jour où;, à l'hôpital, où tous les médecins se tutoient, les internes que j'avais beau tutoyer comme avant n'arrivaient plus à ne pas me vouvoyer .
SupprimerTout ça est quand même très bizarre : les jeunes ont l'impression que les vieux sont nés vieux, ont toujours été vieux ; et les vieux (et même les adultes jeunes) ont beaucoup de mal à comprendre les jeunes et les enfants, alors qu'ils l'ont tous été .
RépondreSupprimerLes vieux, faudrait les tuer à la naissance...
RépondreSupprimerles vieux n'ont pas encore rejoint les "en situation de.." ? Peut être que les "en situation de handicap" veulent garder leur situation pour eux seuls. C'est les "en situation de mobilité réduite" qui freinent le plus. J'imagine.
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