Curieuse anecdote que celle racontée par Maurice Garçon, dans son remarquable Journal. Vers l'année 1925, revenant de Boulogne-sur-Mer à Paris au volant de son automobile, il est le témoin direct d'une violente sortie de route de la voiture qui le précède. Il s'arrête, descend, s'approche ; aidé par un autre témoin, il parvient à extraire de l'amas de tôles le jeune conducteur, inconscient et déjà couvert de sang. Maurice Garçon s'aperçoit que le sang en question jaillit du poignet à demi sectionné du blessé ; il lui détache donc ses bretelles afin d'improviser avec elles une sorte de garrot ; puis, chargeant l'accidenté dans son propre véhicule, il l'amène dare-dare à l'hôpital le plus proche, qui se trouve être celui d'Amiens. Là, ces messieurs de la Faculté lui disent qu'il était vraiment temps que le blessé leur arrivât, et que sans son garrot de fortune…
Le jeune homme à qui Me Garçon vient de sauver la vie se nomme Louis Darquier, et va bientôt se faire appeler Darquier de Pellepoix. Apprenant que son ancien obligé vient d'être nommé par les autorités de Vichy haut-commissaire aux questions juives, l'avocat note, le 14 mai 1942, qu'il y a des jours où il regrette vraiment ses accès d'humanité. Suit, du nouveau commissaire, un portrait moral qui n'est pas dans un pot, comme aurait dit Léautaud ; Léautaud que l'on croise d'ailleurs assez régulièrement en ces pages, mais c'est une autre histoire.
Nous étions encore au début des années 60. Tout fier de sa belle Ondine Gordini, celui qui allait devenir mon mari, conduisait, façon Fangio, dans les virages du Cerdon, entre Genève et Lyon. Il faisait nuit-noire, et voilà qu'aparaissent dans le rétroviseur, les phares d'un voiture lancée à grande vitesse et donnant tous les signes de vouloir nous doubler. Le jeune émule de Fangio redouble d'ardeur, tour à tour, un coup sur le double-débrayage et un coup sur le freinage : pas question de faire vivre à notre Régie cette honte qu'on avait visiblement la prétention de lui faire subir ! Et voilà qu'à la sortie d'un virage particulièrement serré, on entend derrière nous, un crissement déchirant de pneus, suivi d'un grand bruit de ferraille. Mais nous étions déjà loin dans la nuit.
RépondreSupprimerNous ne saurons donc jamais, si cette nuit-là, nous avons sauvé la France de quelque nauséabond qui la menaçait !
Ce suspens est absolument insoutenable !
Supprimer(Mais l'Ondine Gordini : toute mon enfance…)
Suspense, mon cher Didier, suspense (comme disait l'homme à qui son chien léchait l'abdomen, ce qui est sans doute le jeu de mot le plus abominable du cher Francis Blanche)
RépondreSupprimerLà, mon cher, vous perdez votre énergie et votre temps : voilà plus de quarante ans que je me trompe une fois sur deux quand je dois écrire ce mot, je pense donc être incurable.
SupprimerLe français Pierre Lafleur qui a sauvé Bismarck de la noyade à Biarritz en 1862 a dû le regretter aussi...
RépondreSupprimerIl accordait même des interviews depuis son havre espagnol pour faire savoir qu'à Auschwitz, "on n'avait gazé que des poux"...
RépondreSupprimerMouais....personne n'est irremplaçable, un autre aurait pris la place...
RépondreSupprimerCe fut aussi la première réaction de Catherine à ce billet. Je lui ai fait observer qu'il pouvait y avoir des degrés dans l'ignominie et que, par exemple, le prédécesseur à ce poste de Darquier, Xavier Vallat, s'était révélé plutôt “moins pire”.
SupprimerJ'ai bien aimé l'histoire à épisodes de Jean Gautier.
RépondreSupprimerDécidément, et malgré les [sic] assez souvent incongrus des éditeurs, ce Journal fait mieux que se laisser lire. À vrai dire, je l'ai dévoré en quatre nuits. Chuis bien content d'avoir été prescrit par vozigue (si je puis m'exprimer ainsi).
Oui, elle est terrible, cette histoire. Sinon, je suis ravi d'avoir joué ce petit rôle prescripteur.
SupprimerM'ont agacé aussi, quelques fautes de français chez Me Garçon, que, apparemment, les maîtres d'œuvre n'ont pas repérées, puisqu'elles ne sont pas assorties de ce sic que vous pointez. Par exemple (comme la plupart des gens, y compris quelques écrivains, il faut le noter) il ne sait pas conjuguer le verbe "se départir" : il écrit : « Il ne se départit jamais de son calme. », alors qu'il faudrait : il ne se départ. Ou bien : « Les guerres se sont succédéES », alors qu'il faudrait “succédé”. Etc. Mais enfin, il n'y en a pas tant que cela non plus.
SupprimerSi je vous suis bien (vous et le garçon), quand on est témoin d'un grave accident, la bonne attitude consiste à achever le blessé à coups de talon, juste au cas où...
RépondreSupprimerOn n'est jamais trop prévoyant, n'est-ce pas ?
SupprimerQuand je dis talon, ce n'est qu'un exemple : une grosse clé à molette ferait tout aussi bien le travail.
RépondreSupprimerOu alors, avant de porter secours, questionner le blessé à propos de ses idées, ce qu'il aime dans la vie, ce qu'il hait.... Il faut en effet pouvoir savoir au préalable si la personne fait partie du clan des gentils et si elle est effectivement digne d'être sauvée, merde quand-même.. !
SupprimerNon, ça ne marchera pas : combien de collaborationnistes, de ministres de Vichy étaient, quelques années auparavant, de gentils socialistes ?
SupprimerJ'imagine toujours un brave médecin qui aurait réussi à guérir d'une grave maladie Hitler lorsqu'il était enfant, et qui était content de lui, ignorant qu'il venait de tuer ainsi 50 millions de personnes, ce qui est beaucoup, même pour un médecin qui a une grosse "patientèle" ( on ne doit plus dire "clientèle", c'est comme ça.)
SupprimerMais je crois bien me souvenir qu'il existe une histoire à peu près semblable, non pas avec Hitler enfant, mais jeune soldat, blessé durant les combats de 14, hospitalisé et sombrant dans une espèce de folie, dont un psychiatre s'intéressant à son cas a réussi à le sortir.
Supprimer