Dans ce monde stupide et vindicatif qui est le nôtre, chacun réclame des lois à sons de trompe, pour tenter, j'imagine, de masquer tant soit peu la trouille qui le fait trembloter à l'intérieur. Eh bien, à mon tour : j'en veux une ! Je souhaiterais, Monsieur le législateur, si ce n'est pas abuser de vos temps et patience, qu'un édit dûment circonstancié contraignît les critiques littéraires – je parle de ceux qui font les recensions dans les journaux –, lorsqu'ils tentent de nous vendre un roman, à toujours en publier un extrait d'une douzaine de lignes au moins, en exergue de leur dithyrambe : cela ferait faire à leurs lecteurs, neuf fois sur dix, de substantielles économies, grâce auxquelles ils pourraient participer à la réfection du maître autel de leur église paroissiale, ou bien aller aux putes.
Je songeais à cela il y a une poignée de minutes, en lisant sur Causeur une critique de Jérôme Leroy, consacrée à un écrivain dont je n'ai jamais lu une ligne : Christian Laborde. A priori, le fait que cet homme soit contre la corrida et pour Claude Nougaro m'aurait incité à demeurer dans cette saine ignorance, campant plutôt sur des positions inverses des siennes. Cependant, étant d'une largeur d'esprit qui confine à l'encombrement pénible, j'étais tout prêt à remiser mes préjugés afin d'accorder à M. Laborde et à ses pages quelques heures d'attention. M'avait tout de même un peu refroidi le titre de son dernier opus, comme disent les sentencieux imbéciles : Le sérieux bienveillant des platanes ; franchement…
Mais enfin, là encore, j'étais disposé à me faire une violence bienveillante. Seulement, pour illustrer le fait que, selon lui, M. Laborde fait “swinguer la langue”, Jérôme Leroy avait cru bon de nous proposer deux petits extraits de son livre. Le premier disait ceci :
« Seul le frémissement des seins sous un chemisier peut
rivaliser avec celui du feuillage quand le vent d’été s’égare dans les
branches des arbres. C’est un truc que je sais et ne lis nulle part. Y a
pas le corps dans les livres d’aujourd’hui bien que leurs auteurs
prétendent le contraire. Ca exhibe, ça affiche, ça filme de près, mais
le corps, ils le ratent, ils passent à côté, parce que le merveilleux,
c’est pas leur truc. Ce sont des huissiers, des adeptes de l’inventaire.
Et les poètes, les mecs qui marchent à l’imagination, ils les dénoncent
aux flics. »
Et le second, cela :
« Quand je te parle des vaches, je te parle de toi, également de
lenteur. C’est pas un truc de vieux, la lenteur. La lenteur, c’est un
truc de gourmand. II s’agit d’écouter, de regarder, de savourer, de
méditer, comme le faisaient les vaches. Je les ai vues faire, les
vaches. Elles n’accéléraient jamais. Le sabot sur le champignon,
jamais. »
Je venais d'économiser quinze euros.
Vous avez économisé quinze euros... et fait une publicité gratuite à ce monsieur qui ne vous remerciera même pas !
RépondreSupprimerLes écrivains sont des ingrats, que voulez-vous. Ou, pour parler comme M. Laborde : les écrivains, la reconnaissance c'est pas leur truc.
SupprimerBonsoir Monsieur Goux :
RépondreSupprimerLe (ridicule) titre du bouquin "Le sérieux bienveillant des platanes" a certainement été généré par le générateur électronique de titres (et de couvertures de livres) que je vous joins en lien :
http://www.omerpesquer.info/untitre/
(Au vu du style de ce livre je pense qu'il a été aussi "généré" par un site électronique...)
Peut-être bien que l'auteur lui-même…
Supprimer« Quand je te parle des vaches, je te parle de toi, également de lenteur. C’est pas un truc de vieux, la lenteur. La lenteur, c’est un truc de gourmand. II s’agit d’écouter, de regarder, de savourer, de méditer, comme le faisaient les vaches. Je les ai vues faire, les vaches. Elles n’accéléraient jamais. Le sabot sur le champignon, jamais. »
RépondreSupprimerSi on rajoute ici ou là trois petits points et des points d'exclamation, ça rappelle un peu Louis-Ferdinand.
Oui, enfin, ça ressemble à du Céline comme Angelo Rinaldi ressemblait à Proust. Ou Barillet et Grédy à Labiche.
SupprimerOu Jean Claude VanDamme: " Une vache, ça te bouffe trois hectares, moi, avec trois hectares, je te fais deux mille kilos de riz... avec trois hectares, je te nourris Avignon, tu vois... "
SupprimerCher Didier,
RépondreSupprimervous devriez de plus exiger que les critiques ne recensent que des livres bien plus chers que quinze euros. Ainsi, vous économiseriez beaucoup plus.
(C'est l'histoire du type qui, plutôt que de prendre le taxi, préfère courir derrière ; ainsi, il économise bien plus que s'il courait derrière le bus.)
J'ai en effet été un peu déçu par le prix modeste de l'ouvrage.
SupprimerOn dirait un pastiche, j'ai bien ri, merci pour la découverte.
RépondreSupprimerEt ce n'est même pas un pastiche ! (Enfin, je ne crois pas.)
SupprimerAssez efficaces, en effet, ces citations. Il faudrait que le livre n'ait rien à voir avec ces phrases pour qu'on ait l'idée d'aller l'acheter. Du coup on se demande si le recenseur n'est pas un ennemi personnel et vicieux de l'auteur.
RépondreSupprimerL'hypothèse n'est pas à écarter totalement, en effet.
SupprimerMerci du conseil, Didier. Mes civilités à Madame.
RépondreSupprimerQuand on peut rendre service, n'est-ce pas…
SupprimerSupprimer six jeunes d'un coup, ça ne vous semble pas relever de la bienveillance ?
RépondreSupprimerBien sûr, je n'achèterai pas le livre. Mais le frémissement des seins et la lenteur des vaches, j'aime bien. Peut-être parce que j'aime bien les seins et les vaches.
RépondreSupprimerDélicieux article, prolongement de l'été qui déjà vire déjà au rouge, prolongement d'un passé qui tarde à s'enfuir...
RépondreSupprimerC'est ce même passage que vous citez et dont je raffole par son côté faussement naïf que je ne résiste pas à reproduire une nouvelle fois !
"Ce sont des huissiers, des adeptes de l’inventaire. Et les poètes, les mecs qui marchent à l’imagination, ils les dénoncent aux flics."
« Le sérieux bienveillant des platanes ; franchement… » Merci de me rappeler un passage de l’entretien radiophonique entre Robert Mallet et Paul Léautaud qui semblait aussi s’indigner lorsqu’il parlait de ce poème de Paul Valéry, Hélène:
RépondreSupprimer« Et les Dieux, à la proue héroïque exaltés
Dans leur sourire antique et que l’écume insulte,
Tendent vers moi leurs bras indulgents et sculptés ».
J’ai demandé à Valery: « Pourquoi diable avez-vous associé deux adjectifs, un du domaine moral et un du domaine physique? » il m’a répondu: « Parce que ça me fait plaisir. »
C’est comme ça qu’on écrivait à ces époques là. Il n’y a pas « des bras indulgents et sculptés », c’est une préciosité. Comme les gens qui disent: « Elle avait une robe rouge et relevée ».
« j’écris une chose parce que ça fait bien »: bonsoir! Il faut écrire des choses qui ont un sens. Tout ça, c’est de la fabrication! Une poésie de construction purement cérébrale. J’ai une horreur sans bornes pour les poètes; cette idolâtrie, cet agenouillement perpétuel au mépris de toutes les règles de la langue française. Quand Vigny écrit: « Et s’appuyant du bras aux branches incertaines ». Les branches ne sont pas incertaines! C’est leur solidité, leur résistance qui est incertaine pour s’appuyer dessus. Les branches, elles, sont immuables. On doit écrire en langage exact. C’est du mauvais français! »
15 euros d'économisés c'est toujours ça, mais l'immense nausée promise par ces deux citations et à laquelle vous échappez, c'est là que vous pouvez remercier le ciel de n'être pas quelque malheureux écolier d'aujourd'hui soumis aux découvertes littéraires de son professeur de collège.
RépondreSupprimerJe me suis fait avoir il y a quelques années à propos du même Laborde avec un livre intitulé "L'Os de Dionysos", dont on m'avait vanté le lyrisme transgressif et solaire (je sais, j'aurais dû me méfier immédiatement !). Depuis, je me tiens très à l'écart de tout ce que publie cet auteur dont l'insignifiance n'a d'égal que la prolixité...
RépondreSupprimerLa poitrine des femmes qui frémi sous les chemisiers, la placidité des vaches.
RépondreSupprimerVoilà des thèmes épatants. Je cours acheter ce livre.
Et j'apporte peut-être à cette conversation quelques divergences.
La littérature ne respire-t-elle pas par la non-unanimité dans le point de vue?
A propos, que devient votre vache dépressive ?
RépondreSupprimerElle voit quelqu'un une fois par semaine et elle va mieux. je vous remercie.
Supprimer15 euros par ci, 15 euros par là... Nous voilà riches. Pour ce qui est des vaches, mieux vaut sans doute lire Marie Hélène Lafon qui sait de quoi elle parle.
RépondreSupprimer