Le snobisme consistant à trouver très chic, lorsqu'on est normand, auvergnat ou artésien, de donner à sa progéniture des prénoms étrangers, ce snobisme-là n'est pas né d'aujourd'hui ; mais il est longtemps resté judicieusement confidentiel, ne touchant que des individus isolés n'ayant aucun pouvoir d'entraînement ; comme par exemple ces parents d'un écrivain pour adolescents qui, au tout début des années vingt, prénommèrent leur fils Boris. C'est lorsque les prénoms anglo-saxons apparurent sur les registres d'état-civil de France que la peste commença à se propager tel le feu sur une traînée de poudre, d'autant plus vite que le mal ne tarda pas à gagner la populace : c'est ce qu'on pourrait appeler le snobisme quart-mondiste, ou quart-mondial.
Bien avant les actuelles armées de Kevin, de Brandon, de Jérémy, de Priscilla ou de Paméla, il y eu la petite troupe des avant-gardistes : les Jonathan ; lesquels sont devenus l'objet d'une étrange mutation, sans doute parce que le prénom est désormais perçu comme français à cent pour cent, comme prénom de souche. Du coup, les snobs au carré ont décidé de réagir vigoureusement en réaméricanisant ce pauvre Jon. C'est ainsi que, voilà quelques jours, à la faveur d'un fait divers sans intérêt, on a vu bondir sur scène un Jonathann ; dont, j'imagine que, dans l'esprit des géniteurs, le redoublement final sert à indiquer que le prénom de leur fils doit impérativement rimer avec âne, ou à la rigueur avec Anne.
Trouvaille ingénieuse, certes, mais qui risque de s'éventer assez vite. Quand, dans quelque temps, par le simple effet d'émulation de la bêtise, on se retrouvera avec des Jonathann à tous les carrefours, il faudra bien que les snobs au cube trouvent autre chose pour singulariser leurs rejetons. Dès maintenant, je leur suggère d'adopter la graphie Djonathann, qui, convenez-en, a fort belle allure. Ceux qui vont souffrir, je le crains, ce sont les futurs snobs puissance 4, dans la mesure où aucune lettre française ne pourra rendre la prononciation, même approximative, du th anglais. À moins que, d'ici là, les cerveaux en émulsion permanente de la post-modernité n'en aient bricolé une : c'est avec une certaine confiance que j'attends.
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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.