Si je croyais à Dieu et à diable, je dirais volontiers que c'est le second qui a instillé dans l'esprit de l'homme ce désir d'égalité qui le ravage, de nos jours plus qu'en aucun siècle. Désir inassouvissable, ce qui signe encore plus son origine diabolique, puisque, chacun s'en rend compte au fond de soi, l'égalité parfaite entre les hommes, entre tous les hommes (surtout si on leur adjoint les femmes…), ne saurait être atteinte. Mais le diable, cette vénéneuse chimère, a bien vu que ce qui importait pour son commerce, c'était qu'ils s'en approchassent suffisamment pour que l'envie les empoigne de l'embrasser tout à fait ; car c'est seulement alors que le désir pourra produire ses effets les plus dévastateurs, propager ses épidémies les plus meurtrières. Je ne sais d'ailleurs pourquoi je mets le verbe au futur : nous y sommes.
Lorsque les hommes sont inégaux entre eux (on peut aussi être inégal à soi-même, mais c'est une autre question…), radicalement inégaux, la distance qui les sépare est si grande qu'elle leur demeure invisible. De même qu'une fourmi est beaucoup trop petite pour seulement apercevoir l'humain qui vient de l'enjamber. C'est valable aussi pour l'injustice : l'une comme l'autre, l'inégalité et l'injustice, n'apparaissent aux regards que quand elles se réduisent. Et plus elle se font petites, plus elles deviennent insupportables. Lorsque l'injustice devient microscopique (songeons à l'hystérie de certaines féministes post-modernes, rendues folles de rage par la vacuité de leurs luttes picrocholines), quand l'inégalité se fait infinitésimale, c'est alors qu'elles déclenchent de terribles frustrations, qui se muent en rancœurs, avant de déboucher sur ce que René Girard appellerait des “conflits mimétiques”, c'est-à-dire sur une violence sans frein, ivre d'elle-même, sans plus aucun mobile fixe.
Pour finir, à force de s'amenuiser, les inégalités deviennent purement fantasmagoriques ; elles n'en paraissent que plus énormes et tyranniques, scandaleuses, intolérables, aux yeux des pourfendeurs de géants obnubilés par ces moulins à vent virtuels que le diable – si c'est bien lui – leur projette en 3D. Il me semble que nous abordons ce stade. Bientôt, nous traquerons inégalités et injustices à l'intérieur de nous-mêmes, et ce sera une manière de suicide infiniment neuve et attrayante.
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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.